Le point de départ
L’évolution du marché international du miel est lié à deux événements de portée internationale dont les conséquences persistent encore aujourd’hui :
1. La crise financière de 2007-2008 et la crise du système bancaire des pays européens de la zone euro a provoqué un affaiblissement de l’euro et un brusque changement des importations de miel de l’Union européenne. Les importateurs et les conditionneurs ont progressivement concentré leurs importations sur le miel chinois moins cher que celui des pays exportateurs traditionnels.
2. Suite à l’imposition de droits antidumping sur les importations de miel chinois par les États-Unis en 2001, des acteurs malhonnêtes ont élaboré des stratégies frauduleuses afin de les contourner. En 2007, de grandes quantités de miel chinois à bas prix étaient importées illégalement par le biais de programmes d’évasion conduisant ainsi les prix du miel américain à des niveaux inférieurs aux coûts réels. En 2008, les agents américains de l’« Immigrations and Customs Enforcement » (Administration des douanes et axises ont lancé ce qu’on a appellé le « Honeygate ». En 2010, les autorités américaines ont inculpé une entreprise allemande pour escroquerie frauduleuse sur miel aux États-Unis (Coursey, 2013). L’affaiblissement de l’euro et le « Honeygate » ont provoqué un changement de destination des miels chinois vers le marché européen (figure 1), ce qui signifiait aussi un changement clair de la politique historique d’achat du vieux continent délaissant la qualité pour le prix.
De 2007 à 2015, les importations de miel chinois par l’Union européenne sont passées de 4,6 % à 49,4 % des importations totales de miel de l’UE. L’Allemagne, en maintenant élevées ses normes de qualité faisait exception. De nouveaux pays exportateurs de miel sont apparus en Europe, profitant de l’hétérogénéité des prix du miel liée à leur origine géographique. Ceci a incité certains pays européens à importer du miel bon marché en provenance de Chine et à le réexporter comme produit local (García, 2016).
Les importations de miel des États-Unis ont évolué au cours des dernières années (figure 2). Après 2010, il y a eu une augmentation initiale des importations en provenance des principaux pays américains producteurs de miel. Mais à partir de 2013, une augmentation progressive des importations en provenance de plusieurs pays asiatiques a remplacé les importations des producteurs de miel américains habituels.Actuellement, les volumes importés de deux régions du monde sont à peu près égaux.
En 2016, la production nationale de miel aux États-Unis ne représentait qu’environ 31% des besoins totaux des États-Unis (consommation + exportations), le reste étant couvert par les importations (figure 3).
La majorité des pays exportateurs orientaux qui exportent actuellement du miel aux États-Unis sont généralement considérés comme des pays à « haut risque ». À l’exception de l’Ukraine, les autres pays asiatiques ne peuvent pas exporter de quantités importantes vers l’Europe. Les évolutions inexplicables des exportations aux États Unis se poursuivent. Ainsi, l’Inde et le Vietnam ont développé une place dominante jamais vue sur le marché américain avant 2001. L’annonce publique en 2017 de la possibilité de dépôt d’une plainte antidumping contre un groupe mondial de pays exportateurs de miel a généré durant cet été, un marché à deux niveaux entre le miel américain et le miel importé.
L’image globale des offres de miel a également changé vers 2010 (figure 4). Si les exportations totales des cinq principaux exportateurs de miel américains sont restées stables de 2001 à 2016 avec une moyenne de 146.000 tonnes/an, les exportations totales des principaux pays exportateurs de miel d’Asie et d’Ukraine ont connu une évolution très différente. De 2001 à 2009, elles sont restées assez stables avec une moyenne d’environ
108.000 tonnes/an, mais à partir de 2010, les exportations totales de ces pays ont augmenté de 22.000 tonnes/an. Si l’Ukraine a un marché fort en UE, il n’en est rien des pays asiatiques comme l’Inde et le Vietnam.
A la recherche d’un prix juste et équilibré
La situation apicole actuelle n’est pas rassurante. L’intensification de l’agriculture avec la destruction des milieux naturels, la contamination des zones de butinage par des pesticides en conjonction avec l’apparition de nouvelles maladies des abeilles font du miel une denrée naturelle de plus en plus rare, difficile et coûteuse à produire.
L’âge moyen croissant des apiculteurs dans le monde est également préoccupant. Les nouvelles générations préfèrent des activités moins difficiles et plus rentables. Si le nombre d’apiculteurs semble augmenter, en particulier dans certains pays développés, la plupart d’entre eux sont des producteurs amateurs.
Il n’en va pas de même du nombre d’apiculteurs professionnels dont le revenu dépend principalement d’un miel dont les prix non rémunérateurs n’assurent aucune durabilité. Les coûts de production augmentent constamment et les rendements en miel par ruche diminuent, faisant de l’apiculture professionnelle une activité peu attrayante, du moins sur le plan économique.
Mais, quel serait le juste prix du miel pour qu’il couvre les coûts de production et laisse un bénéfice raisonnable au producteur ? Bien sûr, les prix équitables ne sont pas homogènes car les coûts de production et les niveaux de vie diffèrent largement d’un pays à l’autre. En tenant compte de cela, essayons de trouver un prix de vente moyen en utilisant une régression linéaire basée sur l’historique des prix du miel.
Si l’on considère l’évolution du prix du miel en vrac des principaux pays exportateurs, on peut constater une nette tendance à la hausse des prix, probablement en raison de l’augmentation de la demande mondiale et des difficultés de production croissantes (figure 5). Sur un marché non réglementé, l’offre et la demande interagissent et atteignent enfin des prix justes et durables qui maintiennent l’incitation à produire sans décourager la consommation.
Lorsque, pour une raison quelconque, le prix du marché est inférieur au juste prix, la production est alors découragée, et un volume plus faible est offert après un certain temps, et un cycle inverse de hausse des prix commence. Mais lorsque le prix est plus élevé que le juste prix, la consommation peut être affectée et les prix redescendent. Cependant, il est probable qu’il existe de réelles possibilités d’augmenter les prix du miel car le miel ne contribue pas beaucoup au portefeuille du consommateur.
Le Dr Stan Daberkow (communication personnelle) a signalé que même lorsque les prix augmentent de façon significative, il n’y a pas de baisse de la consommation, ce qui montre l’élasticité des prix du miel. L’élasticité à la hausse des prix du miel augmente à mesure qu’un marketing créatif et des normes de qualité plus élevées se développent pour ce produit. Un marketing créatif et un contrôle de qualité plus strict sont les facteurs clés pour établir des prix équitables, durables et équilibrés.
Tout cela peut être vrai tant que les facteurs de production et la consommation ne sont pas sérieusement affectés par un facteur externe ; c’est ce qui a probablement prévalu pendant de nombreuses années. Cependant, ces dernières années, l’utilisation abusive et généralisée de l’adultération a agi comme un facteur externe qui déséquilibre le marché et, si on ne l’arrête pas rapidement, les dommages causés à la production de miel pourront être irréversibles.
La ligne pointillée de la figure 5 représente la ligne de régression du prix du miel classique en vrac. Elle donne une bonne estimation de l’évolution d’un prix à l’équilibre pour ce type de miel.
Sur cette base, le prix du marché en 2001 était d’environ 1 600 $ la tonne, et en 2017, il serait d’environ 3 520 $ la tonne. Pourtant, le prix moyen du marché était de 2 770 $ la tonne. L’écart observé entre le prix théorique et le prix réel du marché a une ampleur pas facilement retrouvée dans l’histoire récente. Cela nous donne une bonne estimation de la gravité du problème auquel la production de miel est actuellement confrontée. Nous ne devons jamais oublier que la vitalité du commerce du miel est un facteur dominant pour le nombre de colonies conduites par les apiculteurs (Moritz et Erler, 2016). Ceux-ci remplacent les pertes de colonies, ou augmentent le nombre de colonies seulement si les prix sont incitatifs. Pour atteindre des conditions équitables et un marché stable et sain, il faut utiliser des technologies plus avancées pour évaluer la pureté du miel, son pays d’origine et son authenticité (Phipps, 2016).
L’adultération du miel, facteur le plus inquiétant de ces dernières années
L’augmentation spectaculaire du volume des exportations de miel des principaux pays exportateurs de miel d’Asie ne peut s’expliquer par une augmentation parallèle du nombre de leurs ruches (voir A&C 174 - Le prix du miel, l’effondrement). Les nouvelles voies d’adultération du miel basées sur l’utilisation de sirops C3 (principalement de riz, indétectables selon la méthode officielle C13-IRMS) et sur l’utilisation du passage de miel sur résines (García, 2016) permettent d’expliquer plus facilement cette augmentation. De plus, des pays comme la Chine utilisent l’ultrafiltration pour masquer l’origine du miel qui est ensuite transbordé pour déguiser sa provenance réelle et parfois mélangé à de petites quantités de miel additionnés de pollens pour tromper les analyses.
L’industrie du miel a besoin à la fois de méthodologies scientifiques plus performantes et d’une plus grande intégrité pour surmonter l’adultération. L’avancée la plus marquante vient du développement de la résonance magnétique nucléaire (RMN) qui permet de tester dans une certaine mesure la pureté du miel et son origine botanique et géographique. Le nombre croissant de supermarchés européens exigeant déjà ce test pour leurs achats, va dans le sens d’une meilleure défense de la pureté du miel.
Cette exigence par certains supermarchés européens a eu comme conséquence une forte baisse des importations européennes de miel en provenance de Chine en 2015 (figure 6). Par contre, les conditionneurs et importateurs du Royaume-Uni ont une politique qui se différencie du reste de l’UE en n’appliquant pas ces tests et poursuivent l’augmentation des importations de miel en provenance de Chine.
Cette initiative européenne devrait être mise en œuvre par les supermarchés américains en raison de leur responsabilité sociale et de leur engagement à prévenir la fraude à la consommation. Ils ont la responsabilité de maintenir des producteurs de miel honnêtes qui aident indirectement à maintenir l’environnement.
Nous entrons dans une ère de traçabilité renforcée et d’approche scientifique plus sophistiquée. Bien que la traçabilité soit pertinente, il est plus important qu’une méthodologie scientifique plus sophistiquées puisse détecter l’adultération, les transbordements et les contournements. Ceux qui se livrent à une collusion pour contourner la législation et / ou adultérer le miel savent qu’il est plus facile d’échapper à des régimes de traçabilité efficaces que d’échapper aux techniques analystiques les plus puissantes comme la RMN.
Le rôle des autorités nationales
La question de la fraude alimentaire est une préoccupation mondiale. On estime que cela coûte à l’économie mondiale 49 milliards de dollars par année et ce chiffre est en augmentation.
Le rôle des autorités nationales devient absolument nécessaire pour protéger notre activité apicole qui a un rôle immense mais pas toujours reconnu. Les autorités américaines et celles des institutions de l’UE sont de plus en plus conscientes de l’impact négatif énorme que l’adultération du miel a sur l’avenir de l’apiculture et la sécurité alimentaire de leurs pays.
En 2015, la Commission européenne a lancé un plan de surveillance coordonné pour étudier la prévalence des miels frelatés sur le marché européen. En décembre 2016, les résultats ont été publiés (Commission européenne, 2016) et près de 20 % des échantillons sont adultérés (voir A&Cie 178 p.28-31). Mais ce que nous ignorons, c’est la partie de l’iceberg qui reste immergée sous la surface
En avril 2017, la Direction Générale de la santé et de la sécurité alimentaire de l’UE a également envoyé une alerte aux parties prenantes sur l’utilisation des résines échangeuses d’ions pour purifier le miel et la cire d’abeille. La Commission européenne a averti que « les produits à base de miel et de cire d’abeille ne peuvent pas être vendus en tant que produits biologiques après avoir été purifiés à l’aide de résines échangeuses d’ions pour altérer l’origine et éliminer les résidus d’antibiotiques et de pesticides. De plus, l’utilisation de ces résines échangeuses d’ions pourraient nuire à la santé des consommateurs ».
De l’autre côte de l’océan Atlantique, la FDA a précisé que le miel traité avec des résines échangeuses d’ions ne peut pas être vendu comme « miel ». De plus, le Département de l’agriculture des États-Unis a lancé une description commerciale du miel (CID Commercial Item Description) qui inclus des tests RMN. Un CID pour le miel, bien que n’étant pas un standard, est un outil de référence très important pour améliorer la qualité du miel aux États-Unis. Le National Honey Board (Conseil National du Miel) des États-Unis travaille également actuellement sur le problème du test de pureté du miel et a embauché les services de conseil d’un spécialiste en fraude alimentaire.
Le gouvernement chinois a engagé des scientifiques américains et des experts universitaires pour aider à établir un régime sophistiqué pour prévenir la fraude alimentaire qui afflige leur propre population.
Conclusion
Tant que l’adultération, la fraude alimentaire, la fraude douanière et la violation des lois commerciales internationales et nationales à motif économique persistent, le bien-être et la stabilité des apiculteurs mondiaux restent menacés.Bien qu’il y ait toujours de l’espace pour être optimiste et continuer d’être proactif...
Une technologie forte et efficace pour détecter la fraude de miel est disponible.
Le monde prend conscience du problème de la fraude des miels et de son impact sur la durabilité de l’apiculture. De nombreux consommateurs de miel reconnaissent l’importance des abeilles pour le maintien de la biodiversité et de nombreuses cultures importantes et, last but not least, les gouvernements deviennent tous les jours plus proactifs pour prévenir la fraude alimentaire. Nous avons considérablement amélioré l’intégration des connaissances scientifiques dans les laboratoires privés, universitaires et gouvernementaux sur la chimie du miel.
En réalité, la base de données la plus vaste et la plus diversifiée d’échantillons de miel du monde entier a été établie. Les apiculteurs du monde entier et membres responsables du commerce international du miel ont contribué à cette base de données. La complexité et le charme du miel proviennent de l’immense diversité chimique du miel. Nous pouvons utiliser des capacités de calcul actuelles et une base de données complète du profil chimique et physique des miels au niveau mondial. Ces techniques sont applicables et fourniront les méthodes les plus efficaces pour prévenir l’adultération à motif économique du miel. L’alliance traçabilité et science avancée avec base de données complètes constituent l’opportunité stratégique la plus convaincante.
L’article a été réalisé sur base d’une traduction synthétisée par E. Bruneau de l’article The International Honey Market : still searching for a new balance
(*) Prof. Norberto García
Departamento de Agronomía.
UNIVERSIDAD NACIONAL DEL SUR.
Bahía Blanca. ARGENTINE.
(**) Dr Ron Phipps
President, CPNA International Ltd. U.S.A. Co-Chairman, Committee for the Promotion of Honey and Health.
Références :
- Coursey M., 2013. Honeygate II Highlights Supply Chain Risks For U.S. Buyers Of Imported Goods. http://www.metrocorpcounsel.com/articles/25516/honeygate-ii-highlights-supply- chain-risks-us-buyers-import.
- European Commission, 2016. https://ec.europa.eu/food/safety/official_controls/food_fraud/honey_en.
- García N., 2016. A Study of the Causes of Falling Honey Prices in the International Market. American Bee Journal, August 2016 p. 877-882.
- Luellmann C., 2017. Food Fraud and Adulteration of Honey. National Honey Packers and Dealers Association Meeting. Galveston, TX, USA.
- Moritz R. and S. Erler, 2016. Lost colonies found in a data mine : Global honey trade but not pests or pesticides as a major cause of regional honeybee colony declines. Agriculture, Ecosystems and Environments 216:44-50.
- Phipps R., 2016. International Market Report. American Bee Journal. July 2016:749-753. Phipps R., 2017. International Market Report. American Bee Journal. June 2017 : 598-604.