Miels adultérés ou fraudés, comment les détecter ?

Etienne BRUNEAU

Si certaines fraudes sont relativement simples à mettre en évidence, d’autres font appel à des techniques très sophistiquées. Les problèmes d’adultération sont très nombreux et génèrent de gros problèmes au niveau du marché du miel. Voyons ici les analyses qui vont permettre de détecter différents types de fraudes.

Avant même de parler de fraudes, il faut que le produit bénéficie d’une bonne définition ce qui est le cas du miel contrairement à d’autres produits apicoles. La définition des miels est très claire et décrit bien ce qu’on commercialise sous cette appellation. La législation de l’Union européenne, précise que le miel doit être produit par Apis mellifera. D’autres espèces d’abeilles produisent également des miels qui n’ont cependant pas toujours les mêmes caractéristiques physico-chimiques (humidité, acidité, enzymes…), polliniques et organoleptiques que les miels de notre abeille.
L’adultération des miels est liée à l’ajout de substances étrangères comme des sirops de sucres dans les miels, des acides, etc. Il existe d’autres types de fraudes comme un mauvais étiquetage de l’origine botanique ou de l’origine géographique, l’absence de conformité à la définition du miel due à l’extraction d’un miel non mature (miel trop humide et déshumidifié industriellement) ou provenant d’un nourrissement des abeilles en période de miellée.

L’ajout de sucres exogènes

L’adultération des miels existe depuis de très nombreuses années. Au début des années 1900, certains écrits font référence à l’ajout de sucre (saccharose) dans les miels. C’est ce qui a probablement poussé le législateur à fixer une teneur maximale en saccharose comme un des critères spécifiques du miel. Aujourd’hui, les choses ont bien évolué et les fraudeurs ne se contentent plus d’ajouter ce disaccharide. Ils cherchent à utiliser les sucres proches de la composition en sucres des miels à faible coût. C’est ainsi que l’on peut trouver une série d’adultérations avec des sucres de nombreuses origines.
Différentes voies de production de sirops de sucre existent : sirops invertis provenant de sucre de canne ou de betterave ou provenant d’amidon (sirop de riz, de maïs ou de maïs riche en fructose (HFCS)). Ces techniques laissent des marqueurs (enzymes, polysaccharides, difructose anhydrides ou DFAs, 2-acetylfuran-3- glucopyranoside ou AFGP) qui permettent la détection d’adultération. De plus, en fonction de la façon dont les plantes fixent le carbone : en C3 (betterave, froment, riz) ou en C4 (maïs, canne…), le rapport isotopique 12C/13C sera différent. Les plantes en C3 fixent le CO2 atmosphérique en utilisant le cycle de Calvin, et elles ont un rapport 12C/13C inférieur aux plantes en C4 qui fixent le CO2 à l’aide du cycle Hatch-Slack.

En matière de détection, l’approche la plus courante se base sur la présence de marqueurs ou résidus liés à l’origine botanique des sucres (sucres de betterave, de canne, sirops de riz, de maïs, etc.) ou à la technique utilisée pour produire le sirop. On peut ainsi rechercher les enzymes artificielles (beta-/gamma-amylase, ß fructofuranosidase) utilisées pour la production du sirop. Ces enzymes sont thermostables et sont utilisées en grandes quantités (>1000 U - unités d’activité enzymatique). La transformation en sucres simples de longues chaînes laisse souvent des résidus de polysaccharides (chaînes ≥ 4 saccharides) qui ne sont pas présents dans les miels et indiquent l’ajout de sucres exogènes. On peut également retrouver d’autres produits générés dans le processus de réalisation des sirops tels que les DFAs dans les HFCS et les sirops invertis et le AFGP dans les sirops de riz.
On peut également rechercher des sucres provenant de plantes en C3 sur base du rapport 12C/13C.
Différentes techniques chromatographiques de plus en plus sophistiquées ont ainsi été développées au fil du temps : chromatographie en couche mince, chromatographie en phase gazeuse couplée à un spectromètre de masse, chromatographie liquide à haute performance avec une détection de la diffusion de la lumière par les évaporats (evaporative light scattering detection). Des techniques détectant spécifiquement les marqueurs de l’adultération des miels comprenant les DFAs, les polysaccharides et l’AFGP ont été développées en parallèle. Chacune de ces techniques présente des limites analytiques. La technique utilisée par le Join Research Center (JRC) de la Commission européenne (EA/LC-IRMS - Isotope ratio mass spectrometry) fait partie de ces nouvelles techniques qui demandent des gros investissements. Elle prend en considération tous les sucres présents y compris les oligosaccharides. Elle n’est cependant pas validée internationalement pour l’instant et sa calibration va dépendre de la banque de miels authentiques sur lesquels elle repose.
Les limites de détection et de quantification vont dépendre de la méthode mais peuvent également varier en fonction du type de sirop recherché. Par exemple, la technique utilisée par le JRC ne permet pas de connaître l’importance de l’adultération. La technique est cependant très sensible pour les sirops de sucres utilisés en nourrissement par les apiculteurs car elle permet de détecter des ajouts proches de 1 % pour des sucres de type HFCS, de 3 % pour des sucres de type sirop de riz et de 10 % en cas de mélanges (HFCS - sirop de riz). Elle donne dans ce cas un signal positif identique à celui généré par une dose plus importante. Cette technique permet donc de détecter de faibles remontées de sirop de nourrissement. Par contre il semble possible de pouvoir contourner ce contrôle en modifiant les rapports 12C/13C par l’ajout de certaines substances dans les miels. Il va de soi que seuls de très gros opérateurs travaillant sur des volumes importants pourraient calibrer correctement de tels apports vu les coûts analytiques que cela représente.

Le second type de techniques de détection se base sur la composition globale du miel mais malheureusement dans ce cas, la grande variabilité naturelle du produit au niveau international constitue un handicap majeur. La RMN (résonance magnétique nucléaire) est la technique la plus récente dans ce domaine. Comme elle analyse la globalité du miel (la totalité des éléments présents et non seulement les sucres), elle peut mettre en évidence des fraudes plus sophistiquées qui ne portent, par exemple, que sur les sucres. Aujourd’hui, la calibration de la technique compte près de 10.000 miels mais la base de données appartient à une firme privée. Frauder face à une telle technique est plus difficile car il est pratiquement impossible à un coût économiquement viable de reconstituer la composition complète d’un miel (sucres, acides, arômes, protéines etc.). Ce profil très complexe est analysé statistiquement avec la technique RMN. Cependant dans ce cas et au vu de la variabilité importante des différents miels à l’échelle internationale, seuls des ajouts importants (≥ 10 %) de sucres exogènes donnent une réponse positive lorsqu’on ne dispose pas des informations nécessaires sur l’origine du miel.


Marqueurs de sirops de sucre et méthodes de détection
Marqueurs de sirops de sucre et méthodes de détection

Lorsqu’on recherche les adultérations, aujourd’hui on ne peut donc se fier à une seule technique et il faut cibler ce qu’on recherche. Cherche-t-on à identifier les ajouts massifs de miel artificiel ou veut-on détecter de faibles quantités (± 1 %) ? Dans ce dernier cas, il est intéressant de pouvoir détecter les remontées de réserves de nourrissement dans les hausses. La détection est facilitée si le laboratoire connait la composition du sirop utilisé pour la fraude mais c’est rarement le cas. Les gros laboratoires suspectent prioritairement certains sirops en fonction de la zone géographique originaire du miel.

Visualisation des déviations par rapport à la base de donnée d'échantillons authentiques
Visualisation des déviations par rapport à la base de donnée d’échantillons authentiques

Fraudes sur les appellations florales

Pour utiliser une appellation florale, un miel doit, selon sa définition, provenir « essentiellement » du nectar d’une espèce florale récoltée par les abeilles. Il faut comprendre par essentiellement que la grande majorité du miel provient de l’origine florale et non pas simplement, plus de 50 %. Le miel devra correspondre aux caractéristiques physico-chimiques, polliniques et organoleptiques de l’appellation. Les laboratoires vont naturellement analyser le spectre pollinique. Le pourcentage de pollen de l’espèce florale donne une indication de la pureté de l’origine mais peut varier fortement en fonction de l’espèce florale et de l’environnement floral dans la zone de récolte. En fonction de la région et naturellement du pays, les caractéristiques d’une appellation vont présenter une certaine variabilité dont il faut tenir compte lors de l’analyse. Les critères discriminants seront ainsi différents pour chaque origine florale. Pour les miels de robinier faux-acacia, le rapport glucose/fructose sera prépondérant. pour un miel de lavande, il faudra connaître le pays de provenance et la flore d’accompagnement et le type de lavande concernée. Les caractéristiques organoleptiques seront importantes. L’IHC a ainsi publié une caractérisation des principaux miels monofloraux et un pays comme l’Allemagne a défini des critères spécifiques pour les miels européens les plus largement commercialisés.
Sur les marchés internationaux, c’est le miel de manuka qui fait l’objet du plus grand nombre de fraudes. La valeur commerciale très importante de ces miels fait qu’on commercialise près de dix fois plus de miel étiqueté manuka que la production réelle. Là, les australiens ont mis en place une série de tests spécifiques très pointus qui leur permettent d’établir le niveau de pureté des miels commercialisés comme miels de manuka. Sur le plan international il n’existe cependant aucune règle officielle même si certains conditionneurs et certains pays ont défini leurs propres cahier des charges pour les échanges commerciaux.

Le savoir faire du laboratoire est donc essentiel. L’idéal est de s’adresser à un laboratoire qui analyse régulièrement les appellations de miel à contrôler.

Fraudes sur les appellations géographiques

Lorsqu’un miel est commercialisé sous une appellation géographique, il doit provenir intégralement de la zone indiquée (selon la législation européenne). Contrairement à l’origine botanique qui bénéficie de caractéristiques bien spécifiques, l’origine géographique sera souvent plus difficile à cerner. Généralement, on va vérifier si le spectre pollinique du miel correspond bien à la zone annoncée. On va rechercher plus particulièrement des pollens très représentés dans cet environnement et qui seront spécifiques à une zone climatique définie. Le châtaignier indique une origine tempérée de basse altitude, l’eucalyptus une zone de type méditerranéenne, le mimosa pudica une zone tropicale… Certaines plantes ne poussent que dans l’hémisphère sud… La combinaison de plusieurs plantes peut également décrire l’environnement. Ainsi la présence de pollen de gui dans les miels d’acacias de Hongrie confirme cette origine géographique. Il faut cependant rester très prudent avec les pollens provenant de plantes de cultures car les emblavements peuvent évoluer rapidement au fil des années.
Plusieurs études (France, Gallice, etc.)ont également porté sur certains métaux lourds comme des indicateurs d’origine géographique mais les résultats sont parfois contradictoires et je ne crois pas que de telles analyses soient réalisées en routine aujourd’hui. Aujourd’hui les analyses NMR permettent de reconnaître certaines origines géographiques liées à une spécificité des spectres produits lors de l’analyse.

Un plan de contrôle européen

En 2015, la Commission européenne a organisé un plan de contrôle coordonné entre les états membres visant à étudier la prévalence sur le marché des miels adultérés avec des ajouts de sucres et des miels dont l’étiquette ne correspond pas à l’origine botanique ou géographique. Un premier rapport portant sur 2264 miels tant européens qu’importés a été publié fin 2015. Il mettait en évidence que 7 % des miels ne correspondaient pas à l’origine botanique annoncée, que 6 % étaient contaminés avec des sucres et que 2 % ne correspondaient pas à l’origine géographique indiquée. 863 échantillons reconnus comme répondant aux critères de la directive miel (2001/110) par les Etats membres ont alors été envoyés au centre de recherche de la Commission pour des examens complémentaires. La Direction Générale Santé de la Commission européenne a publié sur son site le 1er mars de cette année (https://ec.europa.eu/food/safety/official_controls/food_fraud/honey_en) le rapport du Join Research Center (JRC) « Soutien scientifique à la mise en œuvre d’un plan de contrôle coordonné en vue d’établir la prévalence de pratiques frauduleuses dans la commercialisation du miel. Résultats du test d’authenticité du miel par chromatographie liquide-spectrométrie de masse du rapport isotopique ». Les résultats sont vraiment inquiétants car ils mettent en évidence que 14 % des échantillons fournis présentent des ajouts de sucres. Cette fraude n’avait donc pas été détectée par les techniques mises en œuvre par les pays membres lors des analyses qu’ils avaient réalisées sur ces miels.

Si l’on pouvait s’attendre à un tel pourcentage de miels adultérés, trouver deux fois plus de fraudes (20 %) dans les miels européens (en mélange ou monofloraux) que dans les miels d’importation (10 %) (mélange de miels hors UE ou UE et non UE) ne peut nous laisser indifférents. De plus, le JRC dit clairement que la technique d’analyse qu’ils ont utilisée ne permet pas à elle seule de détecter toutes les adultérations. Quelle est donc la part de l’iceberg qui reste immergée ?
A ma connaissance, la RMN qui permettrait probablement de détecter les fraudes de gros opérateurs n’est cependant pas encore reconnue par les autorités. En effet, celle-ci se réfère à une base de données de laboratoires privés et contribue à la réticence des autorités.
La qualité de la base de données des miels qui ont permis la calibration des techniques est essentielle pour fixer les limites du contenu d’un miel naturel. Plus la base de données sera étoffée et plus les limites seront probablement larges. Actuellement ces bases de données contenant plusieurs milliers de miels sont dans les mains de quelques gros laboratoires et de producteurs de matériel de laboratoire.

Comme on le voit, la détection des fraudes et adultérations n’est pas facile et est très onéreuse. Tous les efforts vont devoir être faits pour préserver la qualité de nos miels et pour éviter autant que possible les dérives qui nuisent gravement à l’image de ce merveilleux produit naturel. C’est ce que nous verrons dans un prochain article.