Il est intéressant de revenir à la base, c’est à dire dans la ruche lors de l’apport de nectar par les abeilles. La concentration en sucre du nectar va dépendre de la plante mais également des conditions d’humidité du sol et de l’air extérieur. On sait qu’en deçà de 15 % de sucres, les abeilles ne sont plus intéressées vu qu’elles vont devoir dépenser l’énergie apportée par les sucres pour déshydrater le nectar. D’autre part, les nectars trop concentrés en sucres ne pourront pas être prélevés par la langue des abeilles pour être stockés dans leur jabot. Elles pourront éventuellement ajouter de la salive pour fluidifier le nectar ou le miellat. Généralement la concentration en sucres tourne autour de 30-55 %. Lors de l’arrivée de la butineuse dans la ruche, elle transmettra son butin à d’autres abeilles qui vont l’enrichir en enzymes mais également le déshumidifier activement en étalant le nectar avec leur langue et en l’exposant à l’air de la ruche avant de le placer sur les parois de cellules. Á ce moment la concentration en eau sera proche de 50 %. Ce miel sera soumis à une ventilation de la ruche et à un séchage progressif pour l’amener à une teneur en eau inférieure à 18 % (séchage passif). Pour que tout cela fonctionne, il faut que les abeilles puissent travailler comme un conditionnement d’air, à savoir prélever de l’air extérieur, le réchauffer (ce qui correspond à le sécher) afin d’augmenter sa capacité de séchage et enfin, une fois chargé de l’excès d’eau du miel, le rejeter à l’extérieur de la ruche. C’est l’odeur miellée que l’on sent très bien en soirée en période de miellée.
Dans un tel processus, plus la différence de température entre l’extérieur et l’intérieur de la ruche sera forte et l’air extérieur sera sec, plus le système sera efficace et les miels stockés seront secs. Au contraire, plus la température extérieure sera proche de la température de la ruche et plus l’air extérieur sera humide, plus l’efficacité du système de déshumidification sera mauvaise. C’est ce qui explique qu’en période de grosse chaleur par exemple sous les tropiques, il est pratiquement impossible de récolter des miels à moins de 18 % et parfois même en deçà de 20 % d’humidité même s’ils sont operculés. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, on constate que des cadres peuvent être operculés par les abeilles malgré une humidité trop importante.
Une fois récolté, le miel qui est délaissé par les abeilles lorsqu’elles se regroupent pour maintenir la température du couvain (nuits froides), peut très bien se réhumidifier vu qu’il n’est plus dans la zone de la ruche thermorégulée par les abeilles. Là, la température peut non seulement baisser mais l’air humide extérieur peut venir en contact avec le miel et le réhumidifier. Le miel operculé sera un peu plus protégé mais l’opercule ne constitue pas un bouchon hermétique à l’eau. C’est simplement un frein à sa progression.
Notion de maturité
La définition du miel au niveau du CODEX et de la « Directive Miel » 2001/110 nous dit que le miel doit être maturé par les abeilles. Si cette définition nous semble évidente, il n’en va pas de même dans d’autres pays et plus particulièrement en Asie où cette notion de maturation n’est pas reprise dans la définition du miel. De ce fait, les apiculteurs peuvent récolter du nectar fraîchement déposé dans la ruche par les abeilles. C’est ce que beaucoup d’entre eux font car moins les abeilles auront de réserves et plus elles seront incitées à partir butiner. De plus, l’énergie nécessaire au séchage du miel ne devra plus être dépensée et cela représente une consommation importante de la récolte qui peut aller dans certains cas jusqu’à 50 %. Dans ce cas, le « nectar-miel » devra absolument être déshumidifié rapidement sous peine de fermenter. Des circuits de récolte des miels extraits sont organisés pour apporter à l’unité de traitement ces nectars un peu concentré pour les amener avec des extracteurs d’humidité sous vide qui vont en faire un produit stable appelé chez eux « miel ». Les miels trop chargés en ferments pourront être ultrafiltrés ou passés sur des résines qui ne laisseront passser que les sucres et quelques éléments très fins. Cela donnera des « miels » clairs et peu aromatisés sans aucun pollen. On comprend ici qu’une telle déshumidification est totalement interdite dans le cadre du CODEX vu qu’elle s’attache à remplacer le travail de l’abeille par une machine. Il en va de même pour notre « Directive Miel ».
Déshumidification interdite !
En cherchant des arguments pour interdire ce type de déshumidification, des chercheurs allemands sont retournés analyser ce que dit la Directive Miel en allemand. Là, il est surprenant de constater que le texte allemand ne correspond pas aux traductions dans les autres langues (anglaise ou française en tous cas) sur le fait que l’eau est reprise dans cette langue comme un « constituant particulier du miel ». Comme les textes de la directive Miel et du CODEX interdisent d’enlever un de ces constituants, toute déshumidification est dès lors interdite.
C’est cette vision des choses qu’a repris la « Déclaration d‘Apimondia sur l’adultération des miels » avec le support d’un grand nombre de représentants et opérateurs de la filière apicole. L’interdiction du retrait d’un ou de « constituants particuliers du miel », vise à ce qu’on évite d’enlever un ou plusieurs éléments qui éventuellement couplés à d’autres apportent une information importante sur le miel. Personnellement, le fait de considérer l’eau comme un constituant particulier me semble étonnant car comment y trouver une justification scientifique et de plus, cela risque de faire jurisprudence et de conduire l’ensemble des apiculteurs à ne plus pouvoir utiliser de déshumidificateur dans leur exploitation. Plus inquiétant, ce point relatif à l’humidité est annoncé dans le texte du CODEX de 2019 comme étant en évaluation pour l’instant.
Il me semble difficile de donner une explication biologique ou chimique au fait que l‘eau comme le sucre ou le profil des arômes peut être utilisé comme un moyen permettant de caractériser l‘origine botanique ou même l‘origine géographique d’un miel. Si l’on peut aujourd’hui retrouver l’origine botanique non seulement sur base des pollens mais également des sucres, des arômes, des minéraux, des acides présents, la teneur en eau ne va pas permettre d’apporter de compléments d’information sur l’origine du miel. On pourrait éventuellement traçer l’origine géographique de l’eau utilisée dans un sirop de nourrissement mais cette technique n’est pas utilisée pour retracer l’origine géographique de l’eau du nectar.
Les limites de la déshumidification
Dans le très célèbre livre « Honey » d’Eva Crane, on peut lire que dans certains endroits du monde du miel mature peut avoir un taux d‘humidité de 25 % maximum. Un chapitre est développé sur l‘extraction de l‘excès d‘eau dans le miel et sur le temps nécessaire aux abeilles pour assécher suffisamment le miel. Cela va de un à deux jours lors d’une miellée moyenne à quelques cinq jours sans apports lors d’une miellée forte (stockage du miel partout dans la ruche). Comme signalé plus haut, cette vitesse va dépendre des caractéristiques météorologiques (sécheresse de l’air, différence de température entre l’extérieur et la ruche), le nombre d’abeilles dans la ruche et l’humidité et la quantité de miel à sécher.
Question de maturité
La définition du codex comme la directive européenne indique clairement que le miel doit être maturé par l‘abeille et sur cette base nous devons exclure l‘extraction prématurée avec réduction d‘humidité par des processus sous vide comme mode de production, même si elle est utilisée dans la plupart des nations asiatiques. Les Chinois appellent ce pseudo-miel « shui feng mi » ou « miel d‘eau » ne peut pas être vendu comme miel et il ne peut pas entrer en compétition avec les miels matures mais nous devons trouver une solution pour ce « nectar collecté par les abeilles » car cela représente entre 30 et 40 % du marché mondial et il serait indispensable de pouvoir lui donner un statut spécifique.
J’espère que la future version de la Déclaration d’Apimondia réactualisée intègrera ces remarques et qu’une note explicative de la Commission et du CODEX pourra venir éclairer les opérateurs du marché sur ce qui est réellement permis et interdit. L’idéal serait d’aller vers une formulation de ce type : « Seuls les miels ayant moins de 20 % d‘humidité peuvent être extraits lorsqu‘ils sont retirés des ruches à certaines exceptions près, à savoir des miels trop humides exclusivement liées aux conditions environnementales en rapport avec la réalité dans différents pays comme dans les zones tropicales ou dans des conditions climatiques particulières (peu de différence de température entre la nuit et le jour...). En aucun cas, le miel mature ne pourrait être récolté s’il dépasse 25 % d’humidité. Un mode de gestion qui vise à remplacer le travail de maturation par l’abeille n’est pas acceptable (processus sous vide...).
Références :
- Eva Crane 1975 Honey a comprehensive survey 608p
- Alexander Lang, Stephen Schxarzinger 2020 Technische Trocknung von unreif geernteten Honigen, Deutsche Lebensmittel-Rundschau February p 57-62