On peut considérer que les éléments moteurs (DRIVERS) consistent en la situation du marché du miel et plus particulièrement la production et la demande de miel, telle qu’elles ont été décrites au préalable (Infographie de l’apiculture A&Cie 172 et Prix du miel l’effondrement A&Cie 174). Nous avons vu que l’augmentation de la demande de miel est en croissance constante, mais pas au même niveau que celui de croissance de la population mondiale. Nous savons que la demande de produits naturels tels que le miel a connu une augmentation très importante ces derniers temps et que, dans les pays où cette demande croissante est observée
(Amérique du Nord et Union européenne), la production perd de la vitesse. Il en résulte une augmentation croissante des échanges entre pays qui augmentent leur production et ceux qui augmentent leur consommation.
Cette demande croissante de produits génère une PRESSION sur les marchés qui devrait conduire à une augmentation des prix, mais ce n’est pas le cas : une contre-pression est opérée au travers des canaux de vente du miel. Aujourd’hui, la plupart des importations de miel sont vendues à travers les supermarchés, et les acheteurs de la grande distribution exercent une forte pression sur les conditionneurs pour maintenir les prix stables et, si possible, réduire leurs prix d’achat. Certains iront même jusqu’à remettre en question leurs engagements commerciaux, n’hésitant pas à aller en justice si nécessaire. Ces opérateurs de la filière répercutent cette pression intense auprès des producteurs. Ce sont toutes les marges des conditionneurs et du circuit du détaillant qui deviennent de plus en plus limitées. On voit ainsi une disparition de plus en plus grande des petits opérateurs qui ne peuvent tirer des marges suffisantes pour survivre.
Ces pressions se traduiront par un ETAT du marché du miel plutôt inquiétant. Au niveau international, nous avons observé une augmentation du nombre de ruches de 8 % en 7 ans, alors que pendant la même période, les exportations de miel augmentaient de 61 %. C’est particulièrement vrai pour les principaux pays exportateurs d’Asie et de l’Est de l’Union européenne. Dans ces pays, pour une augmentation de 13 % du nombre de ruches de production, nous avons observé une augmentation des exportations de 196 %. Dans l’Union européenne, il y a eu une importation massive de miel chinois qui a pris 50 % du marché des importations en 10 ans jusqu’en 2015. En 2016, les importations en provenance de Chine ont diminué au profit d’importations en provenance d’Ukraine qui ne peut plus commercialiser son miel en Russie, et d’Argentine qui a rencontré de gros problèmes suite à la présence de glyphosate dans ses miels ce qui en a fait chuter le prix de plus d’un euro cinquante. Toutes ces pressions s’expriment de façon maximale auprès des producteurs et principalement sur le marché de gros. Afin d’augmenter la production tout en limitant les coûts d’exploitation, les apiculteurs recourront à des pratiques plus risquées qui peuvent avoir un impact sur leurs colonies et/ou sur la qualité du produit. La quantité à tout prix devient le leitmotiv. L’intensification des transhumances sur des grandes cultures mellifères à risque pour les abeilles, l’augmentation de la taille des ruchers avec l’augmentation des risques pour la santé des colonies, la réduction des coûts de production par l’utilisation de médicaments non approuvés, n’en sont que quelques exemples. Dans certains cas, les limites légales sont même ignorées et les apiculteurs récoltent le nectar qui n’a pas été maturé par les abeilles ou, les abeilles sont nourries avec des sirops de nourrissement en périodes de récolte. Les produits issus de ces pratiques ne correspondent évidemment plus à la définition du miel du Codex Alimentarius ou de la Directive Miel (CE 2001/110). Pour les emballeurs, la tentation d’ajouter des sirops de sucre bon marché à leurs miels sera également de plus en plus attrayante, surtout si les méthodes utilisées ne permettent pas de les détecter ou s’il n’y a pratiquement aucun contrôle pour détecter ces falsifications.
Comme vous le savez, tout cela aura un IMPACT direct sur les miels. L’adultération des miels devient un problème international, nous l’avons vu dans l’article précédent. Le miel occupe le triste troisième rang dans la liste des produits falsifiés aux États-Unis et, à la suite d’une enquête menée par la Commission européenne sur l’adultération des miels de l’UE et hors UE, plus d’un quart des miels analysés dans l’étude ont été falsifiés d’autant plus que l’on sait que les techniques utilisées ne permettaient pas de détecter toutes les adultérations. Le problème est sans précédent. En outre, lorsque les prix payés aux producteurs sont inférieurs aux coûts de production réels, de nombreuses exploitations apicoles professionnelles arrêtent leurs activités.
Quelles RÉPONSES peuvent-elles être fournies ?
Au niveau du marché (Drivers), plusieurs pistes doivent être suivies :
- Nous devons chercher à augmenter durablement la production mondiale de miel et à encourager les apiculteurs à diversifier leur production en développant de nouveaux marchés pour des produits tels que la cire, le pollen, la propolis, la gelée royale, les larves de mâles, etc.
- Cette augmentation de la production doit être liée à une augmentation de la qualité des produits en assurant une supervision adéquate du secteur.
- La traçabilité des miels doit être assurée de la ruche au consommateur final. Le programme de certification « True Honey » développé aux États-Unis est un bon exemple de ce qui peut être fait. Aujourd’hui, la technologie de transfert d’information permet de donner des détails sur l’origine géographique et l’origine botanique du mélange de miel. Les systèmes de QR code se développent très rapidement chez nous.
- Le coût réel de la production doit être évalué sur des bases objectives pour les différents pays producteurs et surtout pour les pays exportateurs.
Dans le même temps, les consommateurs doivent être informés :
- Des coûts de production réels du miel pour les apiculteurs afin qu’ils puissent comprendre que lorsqu’ils achètent un miel à un prix inférieur aux coûts de production et de conditionnement, ils ont de fortes chances d’acheter un produit falsifié.
- De la diversité des miels présents sur le marché. La campagne « 1000 couleurs, 1000 saveurs » lancée en France il y a plusieurs années pour promouvoir le miel est certainement un bon moyen de sensibiliser les consommateurs à la variété des miels naturels.
- Des informations concrètes sur les valeurs nutritionnelles et sanitaires du miel par rapport aux sucres simples doivent être développées pour mettre en évidence les différences essentielles entre un miel de qualité et un sucre de table simple pour notre alimentation et notre santé. Ce type d’information devrait également être disponible pour les autres produits de la ruche.
Au niveau des pressions, pour éviter le monopole de l’acheteur sur le marché alimentaire, il est nécessaire de diversifier les réseaux de distribution et de proposer de nouvelles formules de vente qui garantissent aux consommateurs des produits de qualité au bon prix. La création de groupes d’achats collectifs à la recherche de produits de qualité et d’origine connues est une alternative possible.
Les miels devraient être davantage diversifiés au niveau des ventes, en
utilisant davantage les étiquettes de qualité existantes : agriculture biologique, indication géographique protégée (IGP) ou appellation d’origine protégée (AOP), etc.
En outre, un effort devrait être fait pour accroître la connaissance et l’information du grand public sur les caractéristiques de différentes origines botaniques et géographiques des miels dans le monde entier.
Si la situation ne peut être modifiée, il est nécessaire de concevoir des outils pour suivre l’évolution du marché et pour s’assurer que des solutions efficaces soient trouvées pour préserver la qualité du miel et la survie des apiculteurs.
Une base de données internationale devrait être rapidement mise en place pour assurer un suivi correct de la production réelle de miel et de son coût de production dans différents pays. Les coûts de production pourraient ensuite être surveillés afin d’analyser la viabilité économique des exploitations apicoles. À un stade initial, cela pourrait se faire par l’intermédiaire d’un réseau pilote international d’apiculteurs. Ceux-ci seraient chargés de transmettre leurs données de production en temps réel. Les apiculteurs pilotes devraient couvrir les principales régions productrices de miel du monde avec leur modèle de conduite spécifique (sédentaire ou transhumant, etc). Les données générées devraient être accessibles à tous les acteurs du domaine.
Les apiculteurs devraient être rapidement informés des données du marché (volumes et types de miel produits, coûts de production, prix locaux, etc.) et des meilleures pratiques pour répondre à leurs besoins.
Pour éviter les impacts désastreux de la fraude sur le secteur de l’apiculture (image du miel, chute des prix et de qualité), une série de mesures devraient être prises. En voici quelques exemples :
- • Établir dans chaque pays une politique de lutte contre la fraude basée sur une définition claire de la notion de « fraude ». Il faut savoir que l’Union européenne est pionnière dans le domaine de la lutte contre les fraudes avec une législation très avancée par rapport à de nombreux pays. Les critères utilisés pour déterminer si le miel est falsifié devraient tenir compte de toute analyse fiable effectuée par un laboratoire agréé pour cette analyse ou qui possède au moins une expertise suffisante dans ce domaine. L’information sur les espèces d’abeilles productrices de miel peut être importante pour les miels exportés vers l’Union européenne. La composition des miels peut varier en fonction des espèces productrices et l’Union européenne ne reconnaît comme miel que ceux produits par Apis mellifera.
- Les contrôles doivent couvrir à la fois le marché intérieur, les importations et les exportations.
- Un système international d’alerte à la fraude devrait être mis en place pour surveiller le nombre et le type de fraudes détectées. Des listes d’opérateurs à risque pourraient être établies (liste noire).
- Une limite claire doit être établie entre l’adultération volontaire, comme l’addition de sirop de sucre, soit lors de l’écoulement du miel, soit après l’extraction du miel, et avec une présence involontaire et limitée de sirop de nourrissement dans les récoltes de miel. Cette limite devrait être basée sur ce qui peut être observé lorsque de bonnes pratiques d’apiculture sont observées lors des récoltes de miel.
- Les miels extraits non matures (avec plus de 20 % d’humidité) ou des miels filtrés sur résines ne peuvent être qualifiés de miel.
- La mise en place d’une base de données internationale contenant des informations sur les caractéristiques des principales origines botaniques du miel de partout dans le monde entier. Cette base de données devrait bien sûr être fondée sur des miels produits suite à de bonnes pratiques d’apiculture, et devrait être maintenue et mise à jour régulièrement. Elle offrirait une base de référence pour les laboratoires et leur permettrait d’étalonner correctement leurs techniques / outils d’analyses pour la reconnaissance de vrais miels.
- Une base de données analytique de ces miels de référence devrait être mise à la disposition des laboratoires pour faciliter la validation ou la recherche de nouvelles analyses.
- Le partage et la diffusion de techniques analytiques permettant la détection de fraudes non encore détectées par d’autres méthodes
- (p. Ex. RMN) devraient être encouragés et devraient recevoir une reconnaissance internationale peu de temps après leur validation.
- Des analyses de pré-dépistage plus accessibles pour un grand nombre de laboratoires qui ne disposent pas d’équipements très coûteux devraient être mises en place rapidement.
Le secteur de l’apiculture aujourd’hui est confronté à ce défi très important qui peut mettre en danger la survie de nombreux apiculteurs professionnels et de nombreuses autres personnes qui tirent une partie de leurs revenus de l’apiculture. Le rôle des consommateurs est essentiel car ils constituent la demande de nos produits et peuvent fortement influencer l’évolution du marché. Les produits de la ruche ont des qualités nutritionnelles et sanitaires éprouvées qui devraient être favorisées dans une période de préoccupation croissante concernant l’effet de la nourriture sur la santé.
Comme on peut le voir, nous sommes confronté à un problème très complexe qui nécessite la mise en place d’une réelle politique intégrée au niveau international. Nous ne pourrons remédier à la situation actuelle qu’avec la collaboration de tous les acteurs concernés : les apiculteurs, l’industrie de l’apiculture, les conditionneurs, les détaillants, les acheteurs, les consommateurs, les assistants apicoles, les associations d’apiculture, les organisations internationales (Apimondia, FAO, etc.), les laboratoires d’analyses, et les chercheurs dans le secteur des produits de la ruche. Le travail est énorme, mais il profitera à l’ensemble du secteur de l’apiculture et garantira des produits de qualité pour les consommateurs.