Pour qu’il n’y ait pas de malentendu, je suis un fervent défenseur des traitements contre la varroase, là où ils sont nécessaires. Par contre, j’estime que l’utilisation préventive irréfléchie de tous les produits, y compris les traitements à l’acide formique et à l’acide oxalique, ainsi que les traitements préventifs de toutes les colonies en hiver, ne sont plus d’actualité.
Un apiculteur doit impérativement être formé pour reconnaître lui-même les seuils de nuisance à la fin de l’été, afin d’agir et de traiter en fonction des besoins et des circonstances. Et ce, avec les moyens qui s’imposent à ce moment-là. C’est ce qu’on appelle la bonne pratique professionnelle.
Une solution durable : une sélection sur la résistance des abeilles au varroa
Il est apparu très tôt que les acariens se reproduisaient plus lentement dans les différentes lignées (groupes de colonies ayant les mêmes ancêtres). Cependant, il n’y avait guère d’indices solides de caractéristiques génétiquement déterminées chez les abeilles qui justifiaient une sélection. C’est pourquoi les scientifiques ont souvent parlé de tolérance au varroa : une cohabitation plutôt indéfinie entre l’hôte et le parasite, comme c’est le cas dans certaines populations d’abeilles isolées dans le monde. Dans les régions à forte densité d’abeilles, comme chez nous, cela est impensable en raison du contact direct entre les colonies d’abeilles d’un même rucher et des ruchers voisins. Seule une résistance prononcée et active des colonies d’abeilles vis-à-vis des varroas peut ici protéger les colonies de manière judicieuse.
La sélection du phénotype (= ce que l’on peut voir) à partir de 1994 des colonies d’abeilles, menée avec constance et cohérence, a conduit à un certain succès dans notre apiculture. La preuve en a été apportée par le fameux essai comparatif Unije sur 14 souches courantes d’abeilles européennes (Büchler 2002) ainsi que par l’expérience pratique : lors des années à problèmes 2012 et 2013, les produits chimiques utilisés presque exclusivement à l’époque contre le varroa, n’étaient plus efficaces ou ne l’étaient pas suffisamment. De nombreux apiculteurs se sont tournés trop tard vers l’utilisation d’acides. De ce fait, environ un tiers des colonies au G.D. de Luxembourg n’ont pas survécu. Par contre, les apiculteurs qui ont utilisé nos abeilles sélectionnées n ́avaient pratiquement pas subi de pertes anormales.
Malheureusement, les données correspondantes ont certes été collectées, mais elles n’ont jamais été évaluées ou du moins les résultats n’ont jamais été publiés. La sélection phénotypique de l’époque avait déjà permis d’obtenir des résultats probants, mais pas de percer vers une résistance totale.
Résistance au varroa, définition
Ce sont surtout des chercheurs américains qui ont progressivement fait la lumière sur les mécanismes de résistance d’Apis mellifera d’origine génétique entre autres. John Harbo, Jeffrey Harris et Marla Spivak ont décrit au tournant du millénaire le comportement SMR (supressed mite reproduktion), la reproduction supprimée des acariens, et plus tard, en tant que partie du SMR, le comportement hygiénique spécial VSH (varroa-sensitive hygienic behavior) : lorsque les abeilles détectent des acariens qui se reproduisent dans le couvain, puis ouvrent et enlèvent ce couvain, le cycle de reproduction est perturbé et la population d’acariens diminue dans la colonie d’abeilles.
Ces caractéristiques, principalement liées à l’hygiène du couvain, sont d’origine génétique et peuvent donc être intensifiées par la sélection et l’accouplement exact. Par contre, le « grooming » souvent cité, le comportement de nettoyage mutuel, a une faible héritabilité et ne peut donc guère être modifié par la sélection (Harbo et Harris, 1999). Selon toute vraisemblance, il peut être appris d’une abeille à l’autre dans la colonie, ce qui suppose toutefois une infestation permanente assez élevée des colonies par Varroa, avec le risque d’une infestation virale permanente.
Nos propres comptages de couvain, effectués à partir de 2014, ont révélé une autre caractéristique qui n’est actuellement qu’à l’état d’ébauche (Wagoner, Spivak 2018) : il est probable qu’en l’absence de certains messagers chimiques du couvain, les acariens ne le reconnaissent pas comme hôte. La pénétration des acariens dans le couvain est donc entravée ou du moins retardée. Ces messagers communs entre les espèces sont appelés kairomones. Elles jouent un rôle important dans de nombreuses relations hôte-parasite dans la nature.
Je ne sais pas si cette caractéristique intéressante chez les abeilles mellifères est physiologique ou si elle est héréditaire. Je n’ai pas non plus connaissance aujourd’hui d’indications scientifiques externes solides à ce sujet.
On peut donc supposer, que plusieurs mécanismes de résistance se combinent pour obtenir des colonies d’abeilles vraiment résistantes et surtout des populations (souches d’élevage) d’abeilles résistantes.
Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’adaptation naturelle de l’abeille à varroa en l’espace de 40 ans ?
Comme le montre le chapitre précédent, l’un des principaux problèmes à l’échelle mondiale réside dans le fait qu’en raison des traitements intensifs, même les plus petits débuts de tolérance ou même de résistance à Varroa, qui existent également dans certaines populations de nos abeilles mellifères occidentales, ne sont absolument pas reconnus, pour autant qu’ils soient présents sous une forme ou une autre dans la population.
Non seulement en ce qui concerne la sélection dans l’apiculture, mais aussi dans la sélection naturelle implacable, la condition est toujours que le comportement soit héréditaire. Pour qu’une adaptation « naturelle » soit possible, il faut en outre que la densité des caractéristiques en question dans le patrimoine génétique des populations soit suffisante, ce qui n’était et n’est toujours pas le cas pour nos sous-espèces européennes en ce qui concerne la résistance à Varroa : dans la plupart des populations d’abeilles mellifères d’Europe occidentale, les caractères intensifs d’hygiène du couvain et de résistance à Varroa ne sont observés que de manière très isolée et sporadique. C’est la raison pour laquelle une adaptation naturelle ne peut pas avoir eu lieu, même après 40 ans.
De plus, comme déjà dit, très peu d’apiculteurs enregistrent systématiquement l’infestation par Varroa avant et après les traitements, afin d’intégrer la sensibilité individuelle de la colonie de manière tout aussi systématique dans leur stratégie de reproduction des colonies : pour la plupart des apiculteurs, il est préférable d ́agir à titre préventif en coupant le couvain de faux-bourdons, de procéder à un prélèvement total ou partiel du couvain, de laisser les colonies essaimer, de les traiter avec du thymol, des acides et des produits chimiques et, pour finir, de procéder à un traitement additionnel avec de l’acide oxalique en hiver. La procédure est exactement la même que dans le reste de l’agriculture. Cette dernière, on le sait, est violemment condamnée par de nombreux apiculteurs pour ses méthodes de travail.
L’objectif du programme d’élevage luxembourgeois, fondé en 2001, était dès le début de trouver ou de « filtrer » les caractéristiques de résistance connues et inconnues dans les populations d’abeilles, conformément aux bases scientifiques qui se développaient à l’époque, et de les assembler au moyen de méthodes d’élevage modernes intensives afin de les intensifier. Cette approche peut être appliquée à toutes les races et sous-espèces d’abeilles mellifères, pour autant que les réserves idéologiques et pseudoscientifiques soient mises de côté. L’intensification de ces caractéristiques comportementales est considérée comme une condition préalable au début d’une adaptation naturelle entre varroa et l’abeille mellifère dans le pays. Or, cette condition de base devait et doit d’abord être créée.
Depuis 40 ans, le varroa n’a enfin plus besoin de traitement
Dans notre apiculture professionnelle, nous avons commencé à partir de 1994 à sélectionner et à accoupler entre elles au moyen de l’insémination instrumentale des reines descendant des colonies dans lesquelle la reproduction de varroa était faible. A partir de 2014, une nouvelle ère a commencé, comme je l’ai déjà mentionné plus haut : plusieurs mécanismes qui conduisent à des colonies résistantes, et qui sont d’origine héréditaire, étaient désormais connus. Il était donc maintenant possible d’intensifier ces caractéristiques dans la souche d’élevage par la voie ciblée de l’élevage combiné : insémination avec le sperme d’un seul bourdon,
infection ciblée et comptage du couvain avec l’aide d’ARISTA après une ou deux périodes de couvain. Les protocoles de travail sont désormais connus.
Résultats après plus de 35 ans de sélection
Dans la station d’élevage de notre apiculture professionnelle, où nous effectuons en été les essais d’élevage nécessaires sur environ 300 petites colonies dans des conditions identiques, il n’y a plus de traitement contre la varroase depuis la cinquième année déjà. Il n’y a plus de pertes dues au varroa. Actuellement, les lignées résistantes ont été/seront progressivement intégrées à la souche principale dans les colonies de production.
J’ai commencé ce dernier travail en 2018, la sélection se fait à un rythme de 2 ans. En 2020, nous avons effectué pour la dernière fois un traitement intégral dans les colonies de production et avons dû constater par la suite, lors des contrôles, que l’infestation de la plupart des colonies ne le justifiait pas. En 2021, nous avons donc d’abord renoncé à un traitement général. Sur les 230 colonies en production, seules 29 colonies ont présenté une infestation trop importante de varroas. Ces 29 colonies ont été traitées, elles ont été rémérés immédiatement après le traitement. Les 201 autres colonies réparties sur 28 sites différents dans le pays n’ont pas été traitées. Leur infestation a été si minime qu’en aucun cas le seuil de nuisibilité n’a été atteint, même de loin.
L’hivernage 2021-2022 a été presque parfait : le taux de pertes sans traitement Varroa (depuis 40 ans !) et sans utilisation d’aucun adjuvant a été inférieur à 2 %. A titre de comparaison : selon le centre spécialisé pour les abeilles et l’apiculture de Mayen, le taux de pertes en Allemagne en 2021-2022 était d’à peine 21 %
Bien entendu : AVEC des traitements intensifs !
En 2022, un scénario similaire à celui de l’automne 2021 s’annonçait pour nos abeilles : la surveillance systématique et les analyses d’infestation ont montré qu’en 2022 également, il était possible de renoncer à un traitement général dans presque toutes les colonies productrices. Dix-neuf colonies ont été traitées.
Il s’agissait sans exception de colonies qui avaient changé leur reine sur des emplacements extérieurs éloignés, c’est-à-dire qu’il y avait 50 % de génétique étrangère dans la colonie. Il est connu que les caractéristiques de l’hygiène du couvain se transmettent de manière récessive (Van Praagh). Pour une colonie d’abeilles, cela signifie qu’au moins une grande partie des faux-bourdons participant à la fécondation des reines doivent porter la combinaison de caractères afin d’obtenir des colonies résistantes lors de la fécondation naturelle. Ce n’est actuellement le cas que sur les deux stations de fécondation Sélange/Fingig et Märendellt.
Nous effectuons ce test sur les colonies suspectes. Pour plus de détails, par exemple le pourcentage d’acariens qui se multiplient dans ce couvain, il faut procéder à un examen sous le binoculaire (comptage). En cas de doute, des morceaux de rayons sont emportés à la maison pour y être examinés.
Afin de pouvoir poursuivre le travail de sélection et de conserver des points de repère concrets pour les tests comparatifs des années à venir, nous avons installé un rucher où se trouve une ancienne lignée non sélectionnée pour la résistance. Dans ces colonies, l’infestation par les varroas dépassait déjà le seuil de nuisance à partir de mi-juillet. Ces colonies ont servi de donneurs d’acariens pour infecter la série de tests à la station d’élevage. De même pour les colonies de référence avec des reines importées des meilleures souches européennes (Carnica et Buckfast) en vue de tests comparatifs.
Ces colonies ont également dû être traitées, car le seuil de nuisibilité était déjà dépassé fin juillet.
Les deux expériences, la comparaison directe de matériel d’élevage importé et évalué sur les mêmes emplacements/ ruchers où se trouvent nos abeilles et en plus l’expérience avec des colonies de notre propre élevage lors d ́un changement de reine sur des ruchers extérieurs éloignés, confirment que la résistance de notre souche est génétiquement déterminée et ne peut pas être attribuée à une influence régionale. Les colonies avec des reines originales n’ont pas dû être traitées dans les mêmes conditions, même si les colonies voisines étaient fortement infestées. Les varroas des abeilles dérivantes de colonies voisines fortement infestées se retrouvent sur la glissière de fond des colonies, le couvain de ces colonies résistantes devient troué.
Nos colonies de production débutent l’hivernage en excellente santé sans traitements en deuxième année. Des pertes ne sont pas en vue.
Contact : paul chez apisjungels.lu