Les miellées
Nous avons vu que la flore est directement touchée par l’évolution des températures et on observe globalement une avance dans le calendrier des floraisons avec un risque plus important de destruction des premières fleurs par des gelées tardives. On pense naturellement aux fleurs de fruitiers mais également aux bourgeons des robiniers pseudo-acacia. Les miellées sont donc plus précoces mais également moins certaines que par le passé. Aucune augmentation de récolte n’avait d’ailleurs été observée en Pologne sur la quantité de miel récoltée en première miellée. En zone méditerranéenne, des floraisons de printemps comme le romarin peuvent démarrer en plein hiver si celui-ci est chaud, ce qui ne permet plus de récolte pour les abeilles. Par la suite, des pluies très intenses ou de la grêle peuvent pratiquement anéantir certaines miellées de courte durée comme celles sur robinier. Enfin, des sécheresses inhabituelles réduisent fortement les sécrétions de nectar et de là, les miellées.
Globalement, on va probablement observer un déplacement des miellées importantes vers le nord. Les pays méditerranéens vont avoir de plus en plus de mal à produire du miel et ce sont les zones tempérées et surtout plus nordiques qui vont devenir les futurs greniers à miel. Les zones d’apiculteurs professionnels situées aujourd’hui dans le sud et l’est de l’Europe vont peut-être se déplacer progressivement vers le centre et le nord du continent.
Cela va également avoir un impact sur le marché du miel vu que les écarts entre les saisons et les années vont probablement augmenter. Afin de limiter ces perturbations, des formules de stockage et de redistribution devront être étudiées.
De nouveaux miels
Ces nouvelles conditions climatiques peuvent générer dans certaines régions la récolte de miels inconnus jusqu’alors. Le cas le plus classique nous est donné par le miel de lierre qui n’était pratiquement récolté qu’en Bretagne et qui est bien présent chez nous ces dernières années avec les problèmes que cela peut occasionner, comme la cristallisation de ce miel dans les hausses. Le nectar de lierre à l’état pur cristallise dans les cadres aussi vite que le melézitose ce qui le rend indisponible pour les abeilles en hiver.
En Wallonie, en 2017, plusieurs apiculteurs ont eu la surprise de voir qu’au printemps, leur premier miel avait une teneur en saccharose trop importante. Ce phénomène n’était pas lié à une malversation de leur part mais bien à l’arrivée d’un miellat en période de floraison des fruitiers.
Ce sont probablement les miels de miellat qui sont les plus sensibles aux modifications climatiques vu qu’ils dépendent non seulement du végétal mais également du cycle biologique de l’insecte piqueur-suceur qui peut se déplacer assez rapidement et voir sa population croître ou régresser de façon importante en fonction des conditions climatiques de la saison.
L’eau
La gestion de l’eau est capitale pour les abeilles et la sécheresse peut tuer des colonies qui n’ont pas un accès continu à l’eau. Il est bien connu que dans les pays du sud, c’est la présence de points d’eau permanents à proximité qui détermine en priorité l’emplacement des ruchers. Cette condition d’implantation devrait être respectée dans le futur dans des zones habituellement moins soumises à la sécheresse. Il faut également éviter les zones inondables pour éviter de perdre ses ruches suite à des intempéries d’intensité exceptionnelle.
L’alimentation
Si certaines années les floraisons peuvent se télescoper, on peut également être confronté à des trous de miellée assez important qui nécessitent un nourrissement de sauveté. Dans des pays comme la Hongrie, ce phénomène est bien connu et c’est pourquoi certains apiculteurs ont équipé leurs ruchers de systèmes automatiques de nourrissement.
Les automnes très chauds avec le développement important de couvain génèrent une consommation plus importante de sirops que par le passé qui nécessite de renourrir une seconde fois ou du moins de placer des candis sur les colonies en tout début de saison. Les années au climat défavorable comme 2016, beaucoup d’apiculteurs ont donné plus de sirop que ce qu’ils ont récolté de miel. Malgré cela, on observe de plus en plus fréquemment des colonies qui meurent de faim en pleine saison ou lors du démarrage printanier. Une vigilance accrue est donc indispensable. Le choix de colonies économes devient plus que jamais une priorité. Dans la nature, les colonies qui gèrent mal leurs réserves ne survivraient pas.
Lutter contre la varroase
Comme nous l’avons vu, la gestion de la varroase devient de plus en plus difficile. Plusieurs pistes sont possibles et, comme ils le font déjà en Italie, un double traitement annuel sur des colonies sans couvain pourrait devenir un passage obligé. Une autre solution est de travailler avec des colonies tolérantes et là deux pistes peuvent être suivies : soit une sélection basée sur l’élevage exclusif de colonies présentant un caractère de tolérance comme le VSH et/ou le SMR, soit faire une sélection massale sur base d’une conduite beaucoup plus naturelle des colonies (essaimage, réduction des volumes de travail, respect du nid à couvain…) Ces deux pistes demanderont encore quelques années avant de pouvoir permettre une observation des résultats à large échelle.
Améliorer la résilience
Face au changement climatique, des principes de résilience évolutive doivent être intégrés aux efforts de conservation, vu les conditions stressantes que les abeilles et la végétation dont elles dépendent sont de plus en plus susceptibles de connaître. D‘un point de vue évolutif, les paysages doivent permettre la sélection in situ et présenter des niveaux élevés de variation génétique essentiels pour répondre aux effets directs et indirects du changement climatique. Dans ce cadre, la diversité génétique adaptative joue un rôle essentiel et elle est pourtant peu étudiée (u). Aujourd’hui, on sait que les pratiques apicoles ont un impact sur la perte de biodiversité génétique des colonies et que les colonies férales, malgré une moindre diversité génétique probablement liée à la sélection naturelle, se sont révélées plus saines. D’où l’importance de maintenir des colonies à l’état naturel. Malgré un goulot d’étranglement drastique au niveau de l’ADN mitochondrial lié à la sélection naturelle, la diversité de l’ADN nucléaire est maintenue et cela est dû à la polyandrie (v). La fécondation naturelle impliquant de nombreux mâles est donc une des clés du maintien d’une bonne biodiversité. En apiculture, les programmes d’élevage doivent permettre de maintenir un maximum de biodiversité et dès lors reconsidérer toute technique visant à la création de goulots d’étranglement. L’insémination artificielle devrait rester limitée à des besoins très spécifiques. Il faut privilégier les sélections massales et non dirigées… En fonction de la dimension des conservatoires, de l’importance de la diversité génétique adaptative de l’espèce à conserver et de l’importance des changements prévisibles, des introductions avec des individus plus éloignés des zones de conservation peuvent être envisagées afin d’améliorer la capacité d’adaptation des abeilles du conservatoire.
Le suivi des colonies
Face à tout cela, on peut dire que la conduite visant à travailler à dates fixes dans les ruches n’a plus aucun sens aujourd’hui mais qu’en plus, les paramètres classiques de suivi ne sont même plus suffisants. C’est un peu comme si les ruches pouvaient parfois se retrouver dans des conditions méditerranéennes et à d’autres moments dans des conditions plus nordiques ou continentales. La séquence des saisons n’est plus aussi claire que par le passé. On peut par exemple avoir des conditions climatiques printanières en plein été et vice-versa. Il devient de ce fait difficile de prévoir quel sera le comportement des abeilles. Heureusement, les outils de suivi non intrusifs (on ne doit pas ouvrir les ruches) deviennent de plus en plus fiables et accessibles. Le fait de relier les données fournies automatiquement par les apiculteurs lors de leurs visites peut alimenter des bases de données globales qui donnent une image en temps réel de la situation de terrain (w).
La formation et l’information des apiculteurs
Ici aussi, les choses doivent évoluer rapidement. Les apiculteurs devront bien prendre conscience de l’impact des conditions climatiques sur leurs colonies. Des conseils leur permettant de faire face à de nouveaux défis liés au climat devraient leur être donnés. Un travail de fond est à faire dans ce domaine car l’approche qu’on a du suivi des colonies doit évoluer et la multiplication des visites n’est certainement pas la bonne solution.
Par contre, des systèmes d’avertissement peuvent être très utiles car ils peuvent localement signaler aux apiculteurs les éléments à suivre plus particulièrement : arrivée d’une miellée inattendue, risque de famine, période propice aux traitements… Les Américains ont pris une longueur d’avance dans ce cadre. Leur site Bee Informed Partnership est un exemple à suivre (x).
Un tel suivi devient indispensable sous la forme par exemple de réseaux d’avertissement, mais cela va demander beaucoup d’énergie collective.
S’adapter
Nous avons la chance de travailler avec l’abeille, qui a une capacité d’adaptation très importante. Nous devons tout faire pour l’aider à conserver cette capacité de résilience qui lui a permis de rester présente depuis d’aussi nombreuses années.
Si l’abeille sait s’adapter, nous aussi, nous devons nous adapter en changeant certaines habitudes et logiques de travail. Nous devrons utiliser de plus en plus d’outils de suivi évitant de perturber les abeilles (balances, indicateurs d’activité, de température et d’humidité… réseaux d’alertes…).
Nous devrons être capable de diversifier notre production car des années seront plus favorables à la production de certains produits plutôt que d’autres.
N’oublions pas que notre abeille sera probablement plus utile que jamais en tant qu’insecte pollinisateur polyvalent vu la raréfaction de bon nombre de pollinisateurs naturels.
Mais avant tout, faisons tout ce qui est en notre possession pour enrayer ce mécanisme de modification du climat. L’avenir de la terre est dans nos mains et ce n’est que tous ensemble que nous arriverons à un résultat.