FICHE : Critères d’évaluation du bien-être animal

Agnés FAYET

Ce sont les vétérinaires qui sont les pionniers dans l’analyse de la question du bien-être animal. Cette notion, qui continue à générer beaucoup de débats, englobe plusieurs critères concernant l’alimentation, l’habitat, la santé et les marques d’états émotionnels des animaux. Ce champ de recherche vétérinaire est surtout relatif aux animaux d’élevage. C’est une catégorie jusqu’ici très défavorisée mais qui rencontre un accroissement des préoccupations du public à leur égard (conditions d’élevage, d’abattage, etc.) sans doute imputable au travail de visibilité fait par des associations activistes. Cet intérêt des consommateurs a conduit à la création de plusieurs certifications incluant le respect du bien-être animal, certifications appliquées au niveau des chaînes de distribution alimentaire allant du producteur au distributeur. Au niveau européen, le projet de recherche Welfare Quality® a établi des « principes et critères pour le bien-être des animaux d´élevage ». Sept « espèces » animales différentes sont concernées par cette étude : les vaches laitières, les bovins à viande, les veaux de boucherie, les truies, les porcs charcutiers, les poules pondeuses et les poulets de chair. Le but est de développer une échelle de mesure du bien-être animal à utiliser dans le cadre des animaux d’élevage dans les pays européens.

Des critères multiples pour une évaluation globale

Quels critères sont pris en compte dans les grilles d’évaluation ? Les chercheurs s’entendent généralement sur des grilles multi-critères qui impliquent les principaux besoins biologiques et comportementaux des animaux d’élevage à savoir l’alimentation (nourriture et eau), l’habitat (en accord avec les besoins de l’animal et son confort), la santé (absence de blessures, de signes cliniques de maladie, de douleur) et le comportement (expression de comportements sociaux, bonnes relations homme-animal, absence de peur). Pour que chacun puisse facilement accéder à cette évaluation et la comprendre, les chercheurs ont établi qu’il faut une réponse positive à ces 4 questions :

• Les animaux sont-ils correctement nourris et approvisionnés en eau ?
• Les animaux sont-ils correctement logés ?
• Les animaux sont-ils en bonne santé ?
• Le comportement des animaux reflète-t-il des états émotionnels optimisés ?

Eleveurs et vétérinaires peuvent évaluer le bien-être des animaux qu’ils cotoient sur base des signes de stress qu’ils perçoivent. Les critères liés à la nourriture et à l’habitat sont aujourd’hui relativement bien connus. Les critères sanitaires relèvent d’un diagnostic médical. Les critères comportementaux s’entendent à travers la perception de signes physiologiques (cris, postures, attitudes) qui restent bien insuffisants pour poser des affirmations incontestables. Depuis les années 2000, une nouvelle approche est utilisée pour évaluer la valence (qualité intrinsèquement agréable ou désagréable d’un stimulus ou d’une situation et sa réponse adaptative) des états émotionnels des animaux non humains. Cette approche est empruntée au champ de la psychologie humaine et repose sur des biais cognitifs. Pour résumer très fortement, disons que tous les processus cognitifs (traitement de l’information, perception, attention, apprentissage, mémoire, prise de décision, choix, etc.) sont affectés et affectent la valence d’un état émotionnel et cela crée des biais cognitifs c’est-à-dire des façons rapides et intuitives d’évaluer une situation ou de prendre des décisions.

Qu’en est-il des abeilles ?

Malgré les doutes qui continuent à planer sur la question de la souffrance des invertébrés, cette possibilité n’est plus évacuée et les difficultés mentales que cela représente s’estompent en même temps que l’on change de paradigme pour ne plus considérer le simple regard anthropocentriste. Pour certains chercheurs en neuroscience, faire entrer les animaux invertébrés dans nos préoccupations morales ne relève désormais plus de l’impensable. Les abeilles mellifères, en tant qu’invertébrés élevés par l’homme, sont au premier plan de ce type de réflexion. Très longtemps, la grande résistance biologique dont fait preuve le superorganisme « abeilles » a occulté la question de ses besoins. Les failles décelées dans cette résistance révèlent chez l’abeille des facteurs de stress aisément perceptibles en particulier au niveau de la santé des colonies. Les communautés humaines autour des abeilles pointent la qualité et la diversité des sources de nourriture, le décalage entre la phénologie des végétaux et le cycle de la colonie, les pratiques apicoles, etc. Trois des quatre questions posées dans l’analyse multi-critères du bien-être animal sont aujourd’hui des préoccupations qui occupent apidologistes et apiculteurs :

• Les abeilles sont-elles correctement nourries et approvisionnées en eau ?
• Les abeilles sont-elles correctement logées ?
• Les abeilles sont-elles en bonne santé ?

Reste la quatrième question qui, si elle est déjà compliquée à envisager pour les mammifères, l’est encore plus pour un insecte, fût-il un insecte social aux capacités cognitives reconnues comme les abeilles mellifères :

• Le comportement des abeilles reflète-t-il des états émotionnels optimisés ?

Des chercheuses de l’Institut de neuroscience de l’Université de Newcastle ont réalisé des tests de comportement sur des abeilles en utilisant des critères actuellement utilisés pour évaluer les émotions animales (observation de changements physiologiques, comportementaux et biais cognitifs). Les abeilles ont été soumises à des secousses vigoureuses conçues pour simuler une attaque prédatrice. Les abeilles ont présenté un biais cognitif pessimiste lorsqu’elles ont été soumises à ce traitement équivalent à un état d’anxiété. Les abeilles agitées sont plus susceptibles de classer des stimuli ambigus comme prédictifs de punition. Les abeilles secouées ont également des niveaux plus faibles de dopamine, d’octopamine et de sérotonine (des neurotansmetteurs influençant le comportement). Les chercheuses ont démontré que les abeilles montraient une modulation comportementale dépendante de l’état de catégorisation, composante cognitive de l’émotion. Leur découverte montre l’intérêt de la méthode utilisant le biais cognitif pour mesurer un état émotionnel chez l’animal non-humain en l’ouvrant aux abeilles c’est-à-dire à des insectes.


Références (global) :

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  • Main, D. C. J., Webster, A. J. F., & Green, L. E.(2001). Animal welfare assessment in farm assurance schemes. Acta Agriculturae Scandinavica, Section A-Animal Science, 51(S30), 108-113.
  • Mason, G. J., & Mendl, M. (1993). Why is there no simple way of measuring animal welfare ?.
  • Raussi, S., Lensink, B. J., Boissy, A., Pyykkonen, M., & Veissier, I. (2003). The effect of contact with conspecifics and humans on calves’ behaviour and stress responses. Animal welfare-potters bar then wheathampstead-, 12(2), 191-204.
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Références (abeilles) :

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  • Bateson, M., Desire, S., Gartside, S. E., & Wright, G. A.(2011). Agitated honeybees exhibit pessimistic cognitive biases. Current biology, 21(12), 1070-1073.
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  • Mason, G.J.(2011). Invertebrate welfare : Where is the real evidence for conscious affective states ? Trends Ecol. Evol. (Amst.) 26, 212–213.
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  • Wright, G.A., Choudhary, A.F., and Bentley, M.A.(2009). Reward quality influences the development of learned olfactory biases in honeybees. Proc. Biol. Sci. 276, 2597–2604.