Avant toute chose, pouvez-vous nous dire ce qu’est la permaculture selon vous ?
Il est difficile de résumer cette philosophie appliquée. Je dirais que c’est une boîte à outils qui propose des solutions concrètes à des phénomènes de société majeures. Nous avons aujourd’hui des problèmes concrets qui se posent à nous comme par exemple : comment
produire de l’alimentation dans une société où le pétrole va se raréfier et où il va devenir hors de prix ? Il ne faut pas oublier que 100 % de notre alimentation dépend du pétrole dans le système agricole dominant actuel. Comment lutter contre les conséquences du changement climatique ? Comment va-t-on lutter contre les ravageurs s’il fait sec trop longtemps ou s’il y a trop d’humidité ? Etc. etc. En Région wallonne, les agriculteurs ont connu 18 mois de perturbations climatiques : 6 mois de pluviométrie excessive suivis de 12 mois de sècheresse. Ici, à la ferme, nous avons pu produire en suffisance (y compris des tomates) grâce à un système de récupération d’eau. La permaculture a des réponses à ces questions. Elle permet de créer des habitats humains pérennes, abondants et résilients, en équilibre avec l’écosystème, y compris en zone urbaine. Les principes de la permaculture sont les suivants : prendre soin de la terre, prendre soin de l’humain, partager l’abondance, réduire les déchets et la consommation.
Comment intégrez-vous l’apiculture dans votre système de production en permaculture ?
Je précise tout de suite que l’apiculture est dans mon système mais aussi en dehors. Je pense aussi en dehors du système. Le propre des abeilles c’est qu’elles ne restent pas sur ma propriété et donc qu’elles intègrent des éléments extérieurs. Je suis naturellement en contact avec d’autres apiculteurs des alentours et ce n’est pas toujours simple de cohabiter : manières de voir différentes, races d’abeilles différentes avec des risques d’hybridation et les sources potentielles d’agressivité qui s’ensuivent. J’ai intégré dans mon mémoire sur le design de la ferme, validant mon diplôme de l’Université Populaire de Permaculture, un outil de courbe de distance de vol des abeilles en fonction de la saison. Cela permet de définir les ressources et leurs besoins et de tenir compte de ce qui se trouve en dehors de l’écosystème de la ferme. Cela permet de considérer ce que je peux améliorer dans mon environnement direct pour les abeilles. Et je pense plus large que les abeilles. Je m’intéresse à tous les hyménoptères. Je constate que ce qui a contribué au succès de ma production maraîchère cette année, ce ne sont pas mes abeilles ou celles de ma voisine apicultrice mais les bourdons, présents en abondance sur la ferme cette année.
La permaculture repose sur ce que l’on appelle des « design » qui servent à remettre en route des écosystèmes. On décloisonne, on intègre. La ruche est un élément parmi d’autres qui, comme chaque élément, a plusieurs fonctions. Dans un système en permaculture, chaque fonction est remplie par plusieurs éléments. Un certain nombre de paramètres jouent sur l’élément « ruche ». Par exemple, mes ruches sont placées dans une prairie où se trouvent aussi des ruminants. Je dois veiller à ce que les abeilles ne soient pas gênées par les moutons, qu’elles n’aillent pas se prendre dans la laine des moutons pour ne pas les piquer, etc. C’est ce qu’on appelle le positionnement relatif d’un élément dans l’écosystème. Il faut aussi que les abeilles soient à distance de sécurité par rapport à tous les visiteurs et acteurs du système, jardiniers, visiteurs, élèves. Comment puis-je enrichir mon écosystème pour les abeilles, pour qu’elles volent moins loin et s’éloignent donc moins de mon système ?
Une des problématiques qui m’intéresse beaucoup c’est : comment les apiculteurs vont-ils s’y prendre quand l’augmentation du pétrole ne leur permettra plus d’acheter tout ce qu’ils veulent ? On va devoir être dans une résilience apicole. Il faut la préparer.
Pouvez-vous dire ce que vous entendez par là ? Qu’est-ce que cela aurait pour conséquence ?
L’apiculture conventionnelle dépend de nombreux produits manufacturés, depuis les ruches elles-mêmes jusqu’aux cires du commerce en passant par les produits de traitement. Il faudrait revoir nos approches apicoles pour aller vers plus d’autonomie par rapport à des services liés à la production. On entend de plus en plus parler aujourd’hui d’apiculteurs pratiquant une apiculture naturelle : plus d’introduction de cires bâties, ruches auto-construites, pressage du miel pour éviter l’utilisation d’un extracteur, etc. L’enjeu dans ce contexte est évidemment la lutte contre varroa. Je n’ai pas la réponse. Est-ce que les ruches livrées à elles-mêmes, dans l’état actuel des choses, pourront survivre sans l’homme ?
Est-ce qu’il y a un lien entre apiculture naturelle et permaculture ou peut-on trouver des apiculteurs qui travaillent en permaculture avec des moyens traditionnels ?
Dans le monde de la permaculture, il y a peu d’apiculteurs-permaculteurs à ma connaissance. En ce qui me concerne, je dois encore trouver la voie pour trouver une vraie cohérence dans ma démarche. La démarche logique serait que dans un système en permaculture, l’apiculture soit en phase avec la résilience, l’économie de moyens et le respect du vivant. Donc, avant tout, pas de chimie de synthèse dans les ruches. Le rucher en permaculture doit être en circuit fermé le plus possible, comme une forêt. Idéalement, il ne faut pas d’intrant et tout ce qu’on prend dans l’écosystème on le rend à l’écosystème. Dans un avenir proche, je vais modifier mon apiculture dans ce sens. Je vais réfléchir à comment mieux intégrer ma pratique apicole dans mon écosystème tout en tenant compte de paramètres extérieurs qui sont autant de défis qui attendent tous les apiculteurs : effets collatéraux de la mondialisation (vespa velutina, petit coléoptère des ruches, varroa destructor) et changements climatiques