Le voyage se poursuit avec les connaissances récentes et importantes portant sur la composante mâle de la ruche qui a toujours été non seulement incomprise et dénigrée, mais même souvent entravée dans sa reproduction et dans son rôle indispensable. Les mâles que, dans l‘article précédent, nous avons osé appeler, avec une simplification délibérée, provocatrice et réductrice, des spermatozoïdes ailés. Nous avons partagé et proposé des aspects, qui sollicitent une évaluation, une confiance et une estime très différentes : comportements, phases, conditions, difficultés dans leur maturation et leur efficacité sexuelle, calendrier de leurs premiers vols d‘orientation, types d‘approche des zones de rassemblement des mâles (DCA), prédilection à exercer leur fonction à proximité de la colonie d‘origine.
Mais sur un aspect, les particularités de leurs activités de vol, nous nous sommes limités à mentionner leur remarquable vitesse de vol - 30 km/h, bien que leurs aptitudes motrices constituent un aspect cardinal et fondamental de tout le cycle biologique des abeilles.
Le vol, fondement de l‘éthologie spécifique des faux-bourdons, dont on commence enfin à connaître et à comprendre une partie des caractéristiques, jusqu’ici obscures.
Cette capacité des mâles qui seule devrait nous inciter à reconsidérer leur importance et qui jusqu’à il y a peu, était enveloppée d‘une aura de mystère et largement méprisée pour son apparente inutilité ; et qu’au contraire, à la lumière des récentes découvertes, joue un rôle crucial non seulement dans la compréhension de l‘évolution et de la spécialisation génétique des abeilles mais également en se mesurant et en essayant de développer des stratégies de reproduction efficaces.
Cela nous demande de reconsidérer la biologie complexe de l‘animal que nous élevons.
Le vol des faux-bourdons, acquisitions récentes
Il existe deux types de vols des faux-bourdons : ceux des jeunes bourdons, vols courts, définis comme des vols « d‘orientation », et ceux des mâles adultes, vols plus longs, définis comme des vols « de fécondation « , pour fréquenter les aires de rassemblement (DCA) (Withe rell 1971, Currie 1987). Les premiers vols d‘orientation sont effectués vers 6/9 jours après la naissance ; ils sont fonctionnels pour la reconnaissance du territoire entourant la ruche, pour entraî ner et affiner les compétences de vol, et pour améliorer la performance du retour au nid (Capaldi 2000). Les bourdons effectuent en moyenne 8/9 vols d‘orien tation au cours de leur vie (normale ment 3 par jour), chacun durant environ 15 minutes, d‘abord à proximité immé diate de leur ruche, puis en s‘éloignant, mais généralement limité à quelques centaines de mètres du rucher d‘ori gine. Il a été vérifié que les mâles qui consacrent plus de temps aux vols d‘orientation présentent ensuite un temps de résidence plus long dans les DCA (Capaldi 2000). Les vols d‘orienta tion jouent donc un rôle formateur et d‘apprentissage important. Contraire ment aux idées reçues, au retour de ces vols, les bourdons restent généralement fidèles à leur propre ruche : la dérive vers d‘autres colonies est en effet limi tée à 20 % des cas (Koeniger 2005).
Environ une semaine après leur naissance, les faux-bourdons effectuent plusieurs vols d‘orientation d‘environ ¼ heure, d‘abord à proximité, puis à quelques centaines de mètres de leur ruche
Après l‘effort consacré aux vols d‘orien tation, il y a une importante période d‘inactivité qui varie de 5 à 12 jours (selon la saison), pendant laquelle les bourdons restent à l‘intérieur de leur ruche jusqu‘à ce qu‘ils aient 21 jours au printemps et 14 jours en été.
Les faux-bourdons commencent alors à effectuer leurs premiers vols de fécondation, qui durent en moyenne 30 minutes chacun, à raison de 2 à 5 vols par jour, pour un total de 14 à 22 vols de fécondation tout au long de leur vie. Le bourdon peut visiter plusieurs DCA en une seule journée (Ruttner 1966) et entre les vols, il se repose dans la ruche et se « recharge » en mangeant du miel (Currie 1987). Le temps passé à l‘intérieur de la ruche entre un vol de fécondation et le suivant est de 3 à 4 minutes ; tandis que la durée totale de séjour dans la DCA (estimée sur la durée totale des vols) est de 510 minutes au printemps et de 327 minutes en été.
L‘activité de vol des mâles est forte ment influencée par : la météo, les températures, l‘heure de la journée et la saison. En général, ils commencent à voler l‘après-midi, entre 14 et 18 heures, avec un pic d‘activité vers 16 heures ; en été, la période de vol est prolongée de 3 heures par rapport au printemps ; des vols ont également été enregistrés, par temps favorable, tôt le matin, de 7 à 9 heures, et tard le soir, de 19 à 22 heures (Fukuda et Ohtani 1977). La température minimale pour des vols satisfaisants, en termes de durée, d‘autonomie, etc. est de 19°C.
Environ une semaine après leur naissance, les faux-bourdons effectuent plusieurs vols d‘orientation d‘environ 1⁄4 heure, d‘abord à proximité, puis à quelques centaines de mètres de leur ruche
Les faux-bourdons sont également extrêmement sensibles aux températures élevées. En effet, pendant la période estivale, on observe une perte considé rable de la longévité des mâles en raison de l‘activité de vol accrue, des condi tions météorologiques extrêmes et du stress des colonies. L‘âge maximum d‘un mâle enregistré en été est de 23,5 jours, contre 33 jours au printemps (Wintherell 1972). De plus, avec des vents supé rieurs à 30 km/h, les mâles (de tout âge) s‘aventurent rarement en dehors de la ruche : dans de telles conditions, on observe des vols très courts à proxi mité immédiate de la ruche, mais vols de « délestage » (Page et Peng 2001).
Une recherche scientifique récente (2019) et très intéressante de Maritza Reyes et al. a commencé à représenter et à décrire ce qui, jusqu‘à il y a peu était encore enveloppé d‘une aura de mystère. Il est crucial d‘essayer de mieux comprendre la reproduction des abeilles et d‘essayer de la quantifier pour dévelop per des stratégies de reproduction et de sélection efficaces, tout cela avec une vision différente de la biologie de la ruche, en particulier de l’impact de l‘activité de vol des bourdons sur l‘ac couplement et la reproduction. L‘étude a été réalisée sur une saison entière à l‘aide d‘une caméra vidéo haute résolu tion et d’un lecteur optique qui recon naît les mâles marqués pour l’étude. Cela a permis de surveiller leur activité dans et hors de la ruche, ce qui donne des données extrêmement précises et... surprenantes. La durée totale moyenne hors de la ruche d‘un mâle au printemps se situe entre 7 heures et 37 minutes et 6 heures et 19 minutes en été. En deux ans d‘étude, le nombre total de vols d‘orientation et de fécondation dans la vie d‘un faux-bourdon a varié de 20 à 27, avec un maximum observé de 106 et un minimum de 1. C’est également dû au fait que respectivement 48 % des faux-bourdons ne vivent pas assez long temps pour faire des vols de fécondation au printemps. Ce pourcentage se réduit à 19 % en été.
Tout au long de sa vie, un mâle consacre quelques heures, environ 7, entre les vols d‘orientation et les vols dans les zones de rassemblement, à la fois pour « apprendre » et pour participer au rassemblement de fécondation des reines.
Plus près, mieux c‘est
Bien que la présence de bourdons pro venant de colonies situées jusqu’à 5 km des zones de rassemblement ait été enre gistrée (Ruttner 1972), et bien que le vol le plus long d‘un bourdon de la sortie au retour à la ruche soit de 2 heures et 51 minutes (Reyes 2019), toutes les recherches scientifiques visant à déter miner la distance des zones de rassem blement par rapport aux ruches d‘origine des mâles concordent et ont montré que celles-ci se situent principalement dans un rayon de 200 m à 2 km, avec une forte prévalence d‘un rayon de 200 à 400 m (Koeniger 2005, Galindo-Cardona 2012). Un faux-bourdon visite de nombreux DCA au cours de sa vie : il « s‘entraîne » à entrer dans la mêlée des « comètes » de fécondation. S’établir en « pole position » dépend de : la vitesse, la capacité de sprint, la quantité de « carburant » suffisante. En général, cependant, il est choisi pour la reproduction ceux qui sont les plus proches de la ruche (Koeniger 2005). D‘autre part, la durée moyenne - 30 minutes - des vols de fécondation (du départ des bourdons au retour à la ruche), confirme que la distance du DCA choisi par les bourdons se situe généralement entre 200 et 800 mètres de la colonie d‘origine (Reyes 2019, Galin do-Cardona 2012).
Et ce, pour des raisons évidentes et concomitantes possibles :
1.la priorité donnée à la « conservation de l‘énergie » de manière à permettre un temps de séjour plus long dans les DCA et à maximiser les chances de se placer en position dominante dans les comètes de fécondation,
2.les bourdons (comme les abeilles) sont mieux orientés et sont plus à même de reconnaître les différences et les variations de la ligne d‘horizon dans un rayon de 200/400 m de leur ruche.
Ces données scientifiques très intéres santes nous suggèrent la possibilité d’une caractérisation génétique spéci fique des colonies d’une zone territoriale qui serait liée aux différents lieux de rassemblement des mâles dans la même zone. Par conséquent, des différences génétiques (possibles, appréciables, intéressantes, voire précieuses) entre des ensembles de colonies d‘abeilles seront liées aux DCA respectives et différentes (Koeniger 2005). Nous avons des raisons de croire que ces populations se sont également souvent développées avec l‘interaction des apports de l‘environnement et de la gestion zootech nique.
Ligne d‘horizon : c‘est la ligne apparente séparant le ciel de la terre, divisant toutes les directions visibles, celles qui coupent et celles qui ne coupent pas la surface de la terre.
Les caractéristiques spécifiques de l‘activité de vol des mâles sont l‘une des pierres angulaires des particularités de reproduction d‘Apis mellifera. Des particularités qui facilitent la déclinaison génétique adaptative des abeilles et donc la remarquable diffusion de l‘espèce dans des environnements aussi divers de la planète. Aujourd‘hui, comme jamais auparavant, l‘abeille et les contextes environnementaux dans lesquels elle survit sont soumis à de nouveaux écueils et transformations dans le temps. Comme nous le verrons, la relocalisation du rôle et de l‘importance biologique des mâles est l‘une des clés pour tenter de développer des stratégies possibles et efficaces de sélection, de reproduction et d‘élevage. Dans la reproduction des abeilles, il est temps d‘essayer de dépasser l‘approche anthropocentrique limitée et plus que douteuse, d‘essayer de mettre à jour la gestion zootechnique, afin que nous puissions également profiter de la capacité des mâles à faire... ce qu‘ils peuvent faire... très bien !
En général, la distance maximale des ruches d‘origine couverte par les mâles, afin de participer aux zones de rassemblement, est de 2 km, avec toutefois une forte préférence pour celles situées à 400 mètres maximum