Résistance à varroa. Où en sommes-nous ?

Agnès FAYET

Lors de la Journée technique de la FNOSAD (Fédération Nationale des Organisations Sanitaires Apicoles Départementales) du 27 novembre dernier, la généticienne Sonia Eynard a fait un état des lieux de la question de la résistance à varroa en passant en revue les méthodes de mesure et les perspectives pour la sélection aujourd’hui. Le thème a également été abordé par le Dr. Małgorzata Bieńkowska lors de Beecome 2021. Elle a souligné l’importance des facteurs environnementaux régionaux dans les programmes de sélection. En avril 2021, le groupe EurBeST (European honey Bee breeding and Selection Team), groupe de recherche européen réunissant les meilleurs spécialistes en élevage et sélection, a diffusé ses résultats sous la forme de conférences désormais accessibles en ligne1. Citons en particulier la communication de la chercheuse allemande Marina Meixner (Bieneninstitut Kirchhain) qui a fait un état de l’art en matière de sélection à la résistance à varroa. Nous disposons ainsi d’une vision complète de la connaissance actuelle en matière de sélection et de résistance à varroa.

Les colonies identifiées <span class="caps">VSB</span> - Source : Locke 2016
Les colonies identifiées VSB
Source : Locke 2016

Résister à varroa

Aujourd’hui, dans plusieurs pays, des colonies ont été identifiées comme VSB (Varroa surviving bee) c’est-à-dire survivantes à varroa sans aucun traitement. Ces colonies VSB ont développé des mécanismes de résistance comportementale ou physiologique pour inhiber la croissance des populations de varroas. Les VSB ont développé une meilleure capacité à reconnaîre les acariens et à les détruire grâce à un comportement de toilettage comparable à celui d’Apis cerana ou à l’élimination des acariens présents dans les cellules de couvain. L’analyse de l’expression des gènes des abeilles VSB montre la surexpression d’un ensemble de gènes liés à la réactivité aux stimuli olfactifs par rapport aux colonies d’abeilles sensibles au varroa. La survie des abeilles VSB peut s’expliquer aussi par certains caractères comme l’inhibition de la reproduction du varroa ou encore des capacités de thermorégulation, sans parler d’une propension à l’essaimage.

Pour résumer très fortement, la définition de la résistance à Varroa destructor se base sur la capacité des colonies à survivre malgré l’infestation, à limiter sa propagation et à limiter l’impact des virus transmis par les acariens. Une très récente étude de Fanny Mondet et al.3 fait un état des lieux très précis des mécanismes de résistance à Varroa et des outils d’aide à la sélection assistée.

Les caractéristiques des abeilles mellifères qui contribuent à survivre au parasitisme par varroa sont soit la résistance, soit la tolérance. Pour rappel, la résistance renvoie à la capacité de l’hôte (ici l’abeille) à limiter la survie et la reproduction du parasite, alors que la tolérance fait référence à la capacité de l’hôte à s’adapter pour limiter les conséquences néfastes dues à la présence du parasite. D’autres facteurs peuvent intervenir dans l’équation qui sont liés soit à la gestion apicole, soit à l’environnement, soit à l’adaptation de Varroa lui-même. Le schéma ci-dessous, publié par Fanny Mondet et al.2020, donne un aperçu synthétique des différents facteurs qui contribuent à la capacité des abeilles mellifères à survivre au parasitisme par varroa.

Mesurer la résistance à Varroa

Aujourd’hui, plusieurs méthodes permettent de mesurer la résistance à Varroa. On a désormais un recul suffisant pour évaluer leurs avantages et leurs limites.

Le suivi d’infestation, qui mesure les chutes sur langes, les varroas phorétiques et les varroas dans le couvain, est une mesure désormais bien connue des apiculteurs et assez simple à pratiquer. Le suivi d’infestation offre en outre l’avantage de pouvoir être pratiqué plusieurs fois pendant l’année apicole. S’il est très utile pour se rendre compte de l’intensité de l’infestation, la méthode ne permet pas de faire de lien direct avec la résistance de la colonie.

Le test hygiénique, pin test ou couvain congelé à l’azote liquide par exemple, permet de mesurer le comportement hygiénique et les capacités de nettoyage des colonies. Sa mise en place demande un peu de temps et de technicité. Le comportement hygiénique n’est pas à proprement parler exclusivement ciblé sur varroa mais plutôt sur l’intégrité du couvain.

Aperçu des caractéristiques de l'hôte et d'autres facteurs qui contribuent à la capacité des abeilles mellifères à survivre au parasitisme par Varroa. - <p>Mondet et al. 2020</p> - Creative Commons Attribution 4.0 International license
Aperçu des caractéristiques de l’hôte et d’autres facteurs qui contribuent à la capacité des abeilles mellifères à survivre au parasitisme par Varroa.
Mondet et al. 2020
Creative Commons Attribution 4.0 International license

La mesure du caractère VSH (Varroa Sensitive Hygiene) des colonies cible le comportement hygiénique sur l’infestation par varroa. Il reste toutefois difficile à mesurer dans le sens où il nécessite du temps, de la technicité et fait intervenir des colonies donneuses de varroas avec des risques de contamination4. La Fondation Arista Bee Research a entrepris un travail de sélection à long terme sur base du caractère VSH5.

La mesure du caractère SMR/MNR (Suppressed Mite Reproduction/ Mite Non-Reproduction) demande une réelle expertise. Elle est complexe puisque plusieurs facteurs peuvent l’expliquer sur base du couvain, de l’imago ou de varroa lui-même. Les données SMR, comme le pourcentage d’acariens non reproducteurs, ne constituent pas une mesure optimale pour la sélection de colonies VSH. Il n’y a pas de corrélation probante6-7. L’Université de Gand (UGent) a développé le projet MASBEEVAR8 dont l’objectif est d’aboutir à un programme de sélection assisté par marqueurs du comportement SMR.

La désoperculation et réoperculation du couvain est en lien avec le caractère hygiénique de la colonie et peut être ciblée vers les cellules de couvain infestées. Il faut un peu d’habitude pour identifier les cellules ayant été réoperculées.

Dans la mesure où la présence de varroas est liée à la présence de virus, la quantification des virus permet d’évaluer l’infestation et surtout l’impact délétère sur la colonie9. La méthode, basée sur une information de type génétique, est très utile pour la recherche mais reste pour l’instant non applicable sur le terrain.

D’une manière générale, en ce qui concerne les programmes de sélection, il existe très peu d’études prouvant l’efficacité des lignées résistantes en situation réelle. Seuls les chercheurs du groupe EurBeST (COLOSS) ont évalué les mêmes lignées dans plusieurs environnements différents et ont ainsi pu démontrer qu’une abeille résistance dans un environnement donné ne l’est pas forcément dans un autre.

Des outils d’identification génétique

On l’aura compris, si les connaissances avancent, l’efficacité des méthodes reste encore trop peu probante sur le terrain. Des outils pour mesurer la résistance à varroa mais aussi d’autres caractères tenant compte de la nécessaire diversité génétique sont en développement10-11. Dans le cadre du projet de recherche européen SmartBees (Sustainable Management of Resilient Bee Populations), un outil d’identification génétique a été développé12. C’est un outil moléculaire composé de marqueurs des variations génétiques du génome. L’objectif est de décrire et conserver la diversité génétique des abeilles mellifères en Europe. Le projet est basé sur la sélection et la diffusion d’abeilles adaptées localement intégrant des caractères apicoles et les caractères de résistance à Varroa destructor.
En France, le projet BeeStrong13 s’est employé depuis 2016 à décrire la composition génétique des abeilles françaises et à détecter les marqueurs de résistance à Varroa. Après avoir identifié le phénotype de près de 1500 colonies, les chercheurs travaillent au développement d’un service de génotypage démocratique pour les apiculteurs avec Labogena. Dans le prolongement de ce projet, le projet BeeMuse (Bee Multicriteria Selection) porté par l’INRAE, l’ADAPI et l’ITSAP a démarré en 2021 et prendra fin en 202414. Il vise à formaliser des objectifs de sélection apicole durable, la durabilité étant un facteur déterminant à la fois pour le maintien de la diversité de l’abeille mellifère et pour la pérennité de la filière apicole.

La piste des signaux chimiques

D’autres travaux scientifiques s’engagent dans la recherche d’outils basés sur des composés volatiles. Des signaux olfactifs sont associés à l’infestation par Varroa destructor. Ces signaux changent à mesure que le cycle de reproduction de l’acarien progresse à l’intérieur de la cellule. Ces changements peuvent être imités dans une certaine mesure en ajoutant des composés volatils spécifiques à la cellule pour induire une élimination hygiénique. Les résultats de certains chercheurs soulignent l’origine chimique du comportement hygiénique contre varroa. Cela pourrait être le point de départ du développement d’outils de sélection hygiéniques améliorés pour élever des colonies d’abeilles mellifères résistantes. Ce type de solution est en cours de réflexion et d’analyse15-16.

En résumé, les choses avancent…doucement. Il n’existe aucun consensus sur une méthode d’évaluation de la résistance. Beaucoup d’études sont publiées mais elles portent sur des populations trop restreintes ou font abstraction de la réalité de terrain, tous les apiculteurs n’étant pas doté de la technicité nécessaire, du temps ou de l’envie à long terme. Se consacrer à des programmes de sélection est très énergivore et chronophage. Le fort impact environnemental, désormais prouvé, rend très instable les caractères de résistance qui apparaissent localement chez certains sélectionneurs. A tout ceci s’ajoute la grande complexité de la résistance elle-même, caractère qui est influencé par de nombreuses zones du génome. Par ailleurs, les mécanismes génétiques identifiés dans telle sous-espèce ne sont pas forcément les mêmes dans telle autre

Références

  • 1. https://eurbest.eu
  • 2. Locke, B. (2016). Natural Varroa mite-surviving Apis mellifera honeybee populations. Apidologie, 47(3), 467-482.
  • 3. Mondet, F., Beaurepaire, A., McAfee, A., Locke, B., Alaux, C., Blanchard, S., ... & Le Conte, Y. (2020). Honey bee survival mechanisms against the parasite Varroa destructor : a systematic review of phenotypic and genomic research efforts. International journal for parasitology, 50(6-7), 433-447.
  • 4.Traynor, K. S., Mondet, F., de Miranda, J. R., Techer, M., Kowallik, V., Oddie, M. A., ... & McAfee, A. (2020). Varroa destructor : A complex parasite, crippling honey bees worldwide. Trends in Parasitology, 36(7), 592-606.
  • 5. https://aristabeeresearch.org/fr/resistance-a-varroa/
  • 6. Eynard, S. E., Sann, C., Basso, B., Guirao, A. L., Le Conte, Y., Servin, B., ... & Mondet, F. (2020). Descriptive analysis of the Varroa non-reproduction trait in honey bee colonies and association with other traits related to Varroa resistance. Insects, 11(8), 492.
  • 7. Sprau, L., Hasselmann, M., & Rosenkranz, P. (2021). Reproduction of Varroa destructor does not elicit varroa sensitive hygiene (VSH) or recapping behaviour in honey bee colonies (Apis mellifera). Apidologie, 1-12.
  • 8. https://honeybeevalley.eu/projectportfolios/bijenpathologie-en-gezondheid/marker-assisted-selectie-programma-bij-honingbijen
  • 9. de Graaf, D. C., Laget, D., De Smet, L., Boúúaert, D. C., Brunain, M., Veerkamp, R. F., & Brascamp, E. W.(2020). Heritability estimates of the novel trait ‘suppressed in ovo virus infection’in honey bees (Apis mellifera). Scientific reports, 10(1), 1-10.
  • 10. Spötter, A., Gupta, P., Nürnberg, G., Reinsch, N., & Bienefeld, K. (2012). Development of a 44K SNP assay focussing on the analysis of a varroa‐specific defence behaviour in honey bees (Apis mellifera carnica). Molecular Ecology Resources, 12(2), 323-332.
  • 11. Jones, B. M., Rao, V. D., Gernat, T., Jagla, T., Cash-Ahmed, A. C., Rubin, B. E., ... & Robinson, G. E.(2020). Individual differences in honey bee behavior enabled by plasticity in brain gene regulatory networks. Elife, 9, e62850.
  • 12. https://www.smartbees-fp7.eu/
  • 13. http://blog-itsap.fr/beestrong-lheure-bilan/
  • 14. https://www6.paca.inrae.fr/abeilles-et-environnement/Projets/Nationaux
  • 15. Liendo, M. C., Muntaabski, I., Russo, R. M., Lanzavecchia, S. B., Segura, D. F., Palacio, M. A., ... & Scannapieco, A. C.(2021). Temporal changes in volatile profiles of Varroa destructor‐infested brood may trigger hygienic behavior in Apis mellifera. Entomologia Experimentalis et Applicata.
  • 16. Wagoner, K., Millar, J. G., Keller, J., Bello, J., Waiker, P., Schal, C., ... & Rueppell, O. (2021). Hygiene-Eliciting Brood Semiochemicals as a Tool for Assaying Honey Bee (Hymenoptera : Apidae) Colony Resistance to Varroa (Mesostigmata : Varroidae). Journal of Insect Science, 21(6), 4.