Des chercheurs israéliens se sont penchés sur les pétales d’une espèce d’onagre : Oenothera drummondii. Ils ont remarqué que la plante réagit aux signaux sonores du vol d’une abeille. En réponse, la fleur produit un nectar plus doux en 3 minutes seulement et augmente ainsi les chances d’être visitée et donc pollinisée par l’insecte. La théorie est donc que la fleur de la plante est une sorte d’organe sensoriel auditif capable de réagir rapidement à des bruits aériens dans le contexte précis des interactions entre les plantes et les pollinisateurs. L’important ici est la notion de rapidité. En effet, on connaissait déjà les facultés des plantes à réagir à des sons. Certains chercheurs ont déjà effectué des tests impliquant des stimuli sonores et ont remarqué des réponses lentes exprimées par des modifications du taux de croissance des plantes par exemple. Ici, la réponse de la plante au bruit du vol de l’insecte se rapproche de l’immédiateté. Les chercheurs ont mesuré la vibration des pétales (vibrométrie laser) et la concentration en sucre du nectar (réfractomètre) produit par la plante en réponse à différentes fréquences sonores : sons synthétiques et enregistrements de pollinisateurs. A des fréquences similaires, sons synthétiques et enregistrements de pollinisateurs provoquent rapidement une augmentation de la concentration en sucre du nectar des fleurs.
4 traitements ont été expérimentés. Dans le traitement 1a, les plantes ont été cultivées à l’extérieur dans un environnement naturel, exposées à des conditions acoustiques naturelles durant l’été. Les stimuli sonores ont été de trois sortes : 1) aucun signal (silence) 2) un signal sonore de basse fréquence (entre 50 et 1000 Hz) qui correspond à la gamme de fréquences des battements d’ailes de pollinisateurs et 3) un signal sonore de haute fréquence (entre 158 et 160 KHz). Dans le traitement 1b, les plantes ont été cultivées à l’intérieur en été et soumises aux stimuli sonores 1), 2) et 3) plus un stimulus 4) qui est l’enregistrement sonore d’une abeille en vol stationnaire (fréquence de 200 à 500 Hz). Dans le traitement 2, les plantes ont été cultivées à l’intérieur en automne et soumises aux stimuli 2), 3) et un stimulus 5), avec une gamme de fréquences intermédiaires (fréquence de 34 et 35 kHz). Dans le traitement 3, les plantes ont été cultivées à l‘intérieur au printemps et soumises aux stimuli 2) et 3).
Quelles ont été les résultats des différents traitements ?
Les plantes cultivées à l’intérieur comme à l’extérieur ont exprimé des réponses significativement différentes aux différents niveaux de fréquence. La concentration en sucre est plus élevée lorsque les plantes sont soumises aux basses fréquences, après 3 minutes :
- Basses fréquences (entre 50 et 1000 Hz) : concentration en sucre 19,8 %
- Abeille en vol stationnaire (entre 200 et 500 Hz) : 19,1 %
- Hautes fréquences (entre 158 et 160 KHz) : 16 %
- Silence : 16,3 %
Une différence s’exprime aussi entre les plantes cultivées à l’intérieur et à l’extérieur avec une concentration en sucre supérieure pour les plantes cultivées dehors.
Par ailleurs, les chercheurs ont enregistré les vibrations des pétales des fleurs en réponse aux stimuli sonores provoqués par le vol de pollinisateurs. On peut dire que les tissus végétaux vibrent en réponse à une gamme sonore correspondant au vol des pollinisateurs, comme pour établir une synchronisation entre la plante et l’insecte.
Ce sont les pétales de la fleur qui assurent la vibration en réponse au signal du pollinisateur. La vibration est d’autant plus forte que le nombre de pétales est élevé. Si la fleur n’a pas ses 4 pétales intacts, elle vibre moins fortement en réponse à l’insecte.
On peut dire que la fleur est l’organe responsable de la réception des bruits de pollinisateurs (l’oreille). Les chercheurs n’excluent toutefois pas la possibilité que d’autres parties de la plante puissent également servir d’organes sensoriels pour des sons émis à d‘autres fréquences.
En résumé, cette étude montre que Oenothera drummondii réagit relativement rapidement aux sons émis par des pollinisateurs. Elle montre aussi que les fleurs de la plante sont des organes de détection sonore qui permet à la plante de réagir en vibrant et en produisant un nectar plus sucré, très probablement pour augmenter ses chances de pollinisation. En effet, on sait que les abeilles perçoivent la concentration en sucre des fleurs même à de faibles pourcentages. Ce phénomène d’attraction des pollinisateurs est particulièrement pertinent pour une plante buissonnante comme l‘onagre qui porte plusieurs fleurs. Une seule fleur répondant en 3 minutes au son d’une abeille peut suffire à susciter la pollinisation de toutes les fleurs d’onagre alentours.
Le monde végétal et ses interactions avec le monde animal est encore largement inconnu. Il est probable que d’autres fleurs d’autres espèces de plantes développent des stratégies comparables. Les chercheurs pensent aussi que la capacité des plantes à détecter des sons dépasse le champ strict de la pollinisation et que les plantes puissent réagir aux sons produits par d’autres animaux et même à d’autres plantes. Un énorme champ de recherche est ouvert. Rien que pour la question de la pollinisation, la synchronisation entre les sons animaux et végétaux représente un enjeu considérable : efficacité de la production de nectar, efficacité de la pollinisation, enjeux de la réduction des bruits parasites anthropiques, etc.
Source :
Veits, M., Khait, I., Obolski, U., Zinger, E., Boonman, A., Goldshtein, A., ... & Kabat, A. (2019). Flowers respond to pollinator sound within minutes by increasing nectar sugar concentration. Ecology Letters, 22(9), 1483-1492.