ENVIRONNEMENT : Les colonies face au changement climatique - 2

Etienne BRUNEAU

Dans un premier article, nous avons vu l’importance que peut avoir le changement climatique sur la biodiversité et plus particulièrement sur les insectes et sur les plantes. Ici nous allons voir de façon plus détaillée son influence sur les abeilles et dans un troisième article sur la pratique apicole.

AU NIVEAU DES COLONIES

Il existe encore peu d’études qui s’attachent à analyser l’impact du changement climatique sur les colonies d’abeilles.
Chaque apiculteur connaît pourtant l’impact du climat sur ses colonies et a pu faire des observations au niveau du couvain ou des récoltes mais de là à les quantifier, il y a un pas rarement franchi.

Modification des paramètres de la saison

Les Polonais ont publié un article sur le suivi de colonies tests entre 1965 et 2010. Ils ont ainsi analysé l’évolution de divers paramètres apicoles au fil des années et ont pu identifier l’impact de la température sur ces divers éléments (q). Ainsi comme nous le montre la figure 15,

Fig.15
Evolution des paramètres apicoles en fonction des températures moyennes
de certains mois et des années (1970 - 2010)

une augmentation de températures avance les dates du premier vol de propreté, de la première visite de ruches et de la première récolte de miel. La date de la dernière récolte est elle retardée et le nombre de jours entre les deux miellées est naturellement augmenté. Le poids moyen de la première récolte ne change pas mais le nombre de récoltes et la production moyenne annuelle par ruche augmente et de ce fait, le pourcentage représenté par la première récolte diminue. Si l’on n’exprime plus ces différents paramètres par la moyenne de température durant les mois concernés et qu’on les exprime par rapport aux années concernées, on retrouve les mêmes tendances au niveau des droites de régression, ce qui montre clairement le réchauffement climatique à l’est de l’Union européenne (Pologne) (fig. 6).

Fig.6
Moyenne des anomalies des températures maximales

Les auteurs mettent en évidence que la proportion du rendement annuel provenant de la première récolte a diminué au cours de la période étudiée et a été associée à une hausse des températures en été. La phénologie printanière de l‘abeille mellifère a montré de fortes relations négatives avec la température, mais aucun changement global dans le temps parce que les températures des mois clés du début du printemps n‘avaient pas augmenté de façon significative. En revanche, une augmentation des rendements et du nombre de récoltes (et donc une récolte finale plus tardive et une saison plus longue) ont été détectées et ont été liées à une hausse des températures à la fin du printemps et en été.

Des miellées perturbées

A la lecture de cette publication, on pourrait croire que l’évolution climatique que nous connaissons est très positive pour l’apiculture.
Pourtant l’année 2016, la plus chaude jamais enregistrée au niveau mondial, nous a donné un printemps fort perturbé avec une période de froid suivie d’une période d’intempéries d’une violence rare réduisant à très peu de choses les espoirs de première récolte et cela dans une grande partie de l’Union européenne. Ce caractère exceptionnel de réduction des apports en miel avait d’ailleurs été relaté largement dans la presse.

Comme nous l’avons vu, les irrégularités climatiques sont de plus en plus fréquentes et la région méditerranéenne est reconnue pour être particulièrement touchée avec ses inondations ou ses sécheresses extrêmes générant entre autre des incendies de forêt impressionnants. C’est probablement pourquoi les apiculteurs du sud de l’Europe sont les plus nombreux à s’être inquiétés des problèmes ces dernières années. Conscients du phénomène, les scientifiques espagnols ont analysé de plus près l’impact de ces perturbations au niveau de la zone méditerranéenne (r). Ils ont suivi de façon détaillée des ruchers équipés de balances et de stations météorologiques en 2016 et 2017, années particulièrement chaudes et très sèches. Leurs conclusions sont claires : l’évolution des colonies d’abeilles est influencée par ces irrégularités et leur cycle biologique habituel est perturbé. Les réserves moyennes en miel et en pollen sont directement affectées générant de ce fait un stress au niveau des colonies. De plus, même les caractéristiques des miels peuvent être changées.
En Wallonie, en 2018, le début de saison s’est fait avec un retard de 15 jours mais a été suivi d’une période de chaleurs exceptionnelles ce qui a provoqué des productions nectarifères très importantes et un rassemblement des floraisons produisant de ce fait un raccourcissement marqué de la miellée de printemps (plus courte de plus de trois semaines). Comme de nombreuses colonies n’étaient pas prêtes lors des trois premières semaines de récolte, la moyenne de miel de printemps était très bonne (17,9 kg pour une moyenne sur 22 ans de 11,7 kg). La grande période de sécheresse connue par la suite dans la majorité des régions a réduit la miellée d’été (10,7 kg pour 14,2 kg de moyenne). De plus, la ponte des reines s’est souvent arrêtée vu le manque de récoltes (nectar et pollen). A notre connaissance, c’est la première fois que ce phénomène a été signalé en Belgique.

L’impact sur les pathogènes

Nous savons très bien que certaines pathologies comme le couvain plâtré se développent plus rapidement en milieu froid et humide. Le climat n’est donc pas neutre sur les colonies qui ont des difficultés à réguler parfaitement l’ambiance de leur ruche.
Le réchauffement des températures est très probablement à la base du remplacement progressif de Nosema apis par Nosema ceranae vu que ce dernier ne résiste pas bien à des épisodes de froid.
Aux yeux des apiculteurs, c’est cependant l’évolution de la varroase qui est la plus inquiétante. Vu qu’avec des arrières saisons particulièrement chaudes, le couvain peut se développer pendant deux à trois mois de plus que par le passé, la population du parasite va elle se multiplier quatre ou même huit fois plus que par le passé avant l’hivernage. De plus les butinages tardifs vont permettre des réinfestations importantes entre colonies. Mais ce n’est pas tout, la présence de petites surfaces de couvain lors du traitement hivernal va diminuer (très) fortement l’efficacité du traitement à l’acide oxalique. Les colonies partiront alors affaiblies et avec un nombre d’acariens trop important en début de saison suivante. (fig. 16)

Fig.16 Effet du changement climatique sur la varroase

La survie des colonies

Fig.17. Pertinence des prédicteurs

Les Autrichiens ont, quant à eux, modélisé l’effet saisonnier des températures et de l’humidité sur la survie hivernale des colonies en climat tempéré (s). Dans la plupart des cas, des valeurs plus élevées de température et de rayonnement global sont associées à une augmentation de la mortalité (fig. 17) Les températures de novembre et de février sont les exceptions, qui sont inversement corrélées. D‘autre part, l‘augmentation des précipitations pour tous les mois étudiés (à l‘exception d‘octobre) s‘est accompagnée d‘une baisse des taux de mortalité.

Leur modèle indique sur base de moyennes annuelles que plus le climat sera chaud (moyenne annuelle des températures de mars à février) et sec (total des précipitations sur la même période) et plus la mortalité hivernale des colonies sera importante en Autriche. Elle pourrait ainsi varier de 12 à 26 % (fig.18).

Fig. 18
Valeurs moyennes annuelles (mars - février) des températures et des précipitations pour les apiculteurs sur la période 2009 - 2014.
Les signes + sont situés en fonction des valeurs climatiques observées par l’apiculteur, tandis que la barre de couleur grise indique les pourcentages de mortalité hivernale. La barre de couleur bleue à rouge reflète la sensibilité modélisée de la mortalité au climat. Les cellules de la grille colorée sont obtenues à l’aide d’un modèle de régression kNNM simplifié qui est exécuté en utilisant la température et les précipitations annuelles comme prédicteurs.

Encore plus proche de chez nous, les Luxembourgeois mettent en évidence l’impact des conditions climatiques sur les pertes hivernales des colonies (t). Ainsi pour la période allant de l’hivernage 2010 - 2011 à celui de 2014 - 2015, les mois de décembre et de janvier relativement chauds (+ 3 ± 1,3 °C) et humides (507.0 ± 38.6 mm/2 mois) de même que des mois de juillets relativement froids (17.2 ± 1.4 °C) et humides (110.8 ± 55.5 mm) sont associés à des mortalités de colonies élevées au Grand Duché de Luxembourg (fig. 19). Ainsi, comme pour l’étude autrichienne, les températures hivernales chaudes en décembre, janvier et mars étaient liées à des pertes élevées de colonies d‘abeilles mellifères, alors que les températures élevées en juillet étaient liées à de faibles pertes de colonies. Au cours des mois restants, aucun effet significatif de la température de l‘air n‘a été observé au Luxembourg, tandis que des relations positives avec les pertes de colonies ont été observées en Autriche, sauf en novembre, où l‘étude autrichienne a révélé une corrélation négative et l‘étude luxembourgeoise une corrélation positive.

Fig. 19
Corrélations entre les pertes de colonies hivernales (période 2010/11-2014/15) et
les températures mensuelles moyennes, les sommes mensuelles des précipitations sur les pertes de colonies hivernales lorsque les variables météorologiques pendant les mois des traitements contre la varroase énumérés sont considérées comme co-variables.
Les températures mensuelles médianes et les sommes mensuelles médianes des précipitations ± écarts-types sont données pour la période de l‘étude dans les cellules des lignes de température et de précipitation, respectivement.