Charleroi, jadis puissante et prospère
Si l’on vous disait qu’au XIXe siècle, Charleroi était une région prospère où florissaient la sidérurgie, la métallurgie et la production de verre, le croiriez-vous ? A cette époque, les terres noires du bassin de Charleroi dues à la forte concentration en charbon de terre (houille) lui valaient l’appellation de « Pays Noir ». La houille était alors une ressource énergétique exploitée pour alimenter les industries en plein essor et le circuit économique généré par les charbonnages de Charleroi permettait d’étendre le développement de l’industrie dans toute la Wallonie. Il faudra attendre les années 1900 pour voir l’art nouveau et l’art déco coloniser les bâtiments de la ville carolo et ses alentours. Ainsi, Charleroi devenait un arrondissement riche de rencontres, d’échanges commerciaux et d’évènements sociaux-culturels réunissant artistes, ouvriers, ingénieurs et médecins.
8 août 1956 : la fin d’une ère
Symboles de richesse, les mines de charbons ont néanmoins toujours été dangereuses. Pendant plus d’un siècle, incendies, inondations, accidents ou silicose ont fait de nombreuses victimes fréquemment banalisées. Mais nul besoin d’être la petite fille d’ouvriers immigrés italiens pour connaître la catastrophe du Bois du Cazier. Le 8 août 1956, un incendie se déclare dans la mine de Marcinelle et fait 262 victimes (Fig. 1). Cet évènement tragique révèle à la Belgique entière les conditions de travail précaires des mineurs. Le manque de sécurité dans les mines et le coût d’exploitation trop élevé du charbon vis-à-vis des nouvelles énergies (pétrole, gaz et nucléaire) entrainent la fin progressive des charbonnages et la fermeture de beaucoup d’exploitations industrielles. Dans le bassin de Charleroi, l’économie faiblit, l’emploi ouvrier devient limité et la prospérité houillère de la région s’estompe avec le temps.
Les terrils sont le symbole d’un passé jamais oubli
Les terrils sont des amas de résidus géologiques issus de l’extraction du charbon. Vestiges du passé qui peuplent le paysage Wallon, les terrils les plus emblématiques se concentrent dans la région de Charleroi (Fig. 2). De tailles et de formes variables, certains terrils sont exploités pour leurs ressources géologiques ou pour le gaz qu’ils renferment. Mais d’autres sont classés par l’UNESCO ou comme Zone Natura 2000, des appellations nécessaires notamment pour protéger la biodiversité qu’ils accueillent.
En effet, les terrils les plus riches en biodiversité combinent des conditions topographiques et pédoclimatiques spécifiques qui peuvent générer un biotope particulier sur chacune de leur pente ! Le versant sud est généralement un milieu ouvert qui accueille une végétation herbacée et thermophile. Le versant nord quant à lui est un milieu fermé, peuplé par une végétation forestière plus dense. C’est ainsi que deux terrils d’une même région, soumis à des conditions physiques subtilement différentes, peuvent être chacun caractérisé par un microclimat unique qui attire un spectre d’espèces propre à chacun. Jadis perçus comme stériles, certains terrils sont donc aujourd’hui des milieux très fertiles : sur pas moins de 50 ha, les deux terrils du Martinet (Charleroi) regroupent près de 500 espèces végétales, 60 espèces d’oiseaux, 80 espèces de champignons et plusieurs espèces rares d’insectes et de batraciens.
Influence paysagère du Pays Noir en apiculture
Depuis l’ère industrielle, les ruchers installés dans le bassin minier de Charleroi ont toujours côtoyé les terrils qui se sont accumulés dans la région. Mais tous les terrils actuels ne sont pas colonisés par une flore abondante diversifiée comme celle du site du Martinet et tous ne sont donc pas forcément riches en ressources mellifères.
Ainsi, l’intérêt apicole d’un terril varie suivant sa localisation et son histoire. Les terrils auparavant exploités ou en cours d’exploitation sont des sites favorables à l’installation de plantes pionnières et/ou invasives qui empêchent le développement d’espèces indigènes diversifiées. Certains subissent aussi une combustion interne naturelle ou sont exposés à une combinaison de conditions pédoclimatiques peu propice au développement d’une flore mellifère diversifiée pour l’ensemble des pollinisateurs. A l’inverse, d’autres terrils ne sont pas exploités et sont caractérisés par un ensemble de conditions (ressources géologiques, points d’eau, différence d’altitude, exposition) qui génèrent des écosystèmes spécifiques et qui représentent des zones d’intérêt pour la faune et la flore.
C’est justement ce que Eric Baudoux a la chance d’observer lorsqu’il s’occupe du rucher communal de Fontaine-l’Évêque situé au pied du terril du Calvaire, à côté du terril du Pétria (Zone Natura 2000). Chardons, épilobes, mélilots, ronces, saules, robiniers et tant d’autres végétaux prolifèrent sur les deux terrils (Fig. 3). L’abondance de plantes pollinifères et nectarifères sur les terrils représente une ressource non négligeable tant pour les pollinisateurs sauvages que pour les abeilles mellifères. Selon Eric, les colonies trouvent tout ce dont elles ont besoin pour se développer et le miel qu’elles produisent se caractérise par une saveur délicate. Ce n’est pas tant la production de miel qui a amené Eric à installer des ruches aux pieds du terril, mais plutôt le rôle que jouent les abeilles dans le maintien de la biodiversité de celui-ci.
En butinant, les abeilles assurent la pollinisation de plusieurs plantes qui produisent des fruits et attirent toutes sortes d’oiseaux, de batraciens et d’insectes trouvant refuge au sein des différents habitats sur les terrils. Néanmoins, précisons que la survie de ces habitats ne repose pas sur l’action unique des abeilles mellifères :
• D’une part, les abeilles mellifères agissent de concert avec les pollinisateurs sauvages et ne font qu’intervenir dans la reproduction et le maintien de ces écosystèmes dont elles tirent une partie de leur subsistance. C’est pourquoi Eric a établi un quota de ruches à ne pas dépasser pour respecter un équilibre et limiter la concurrence (1) entre les abeilles mellifères et les pollinisateurs sauvages et (2) entre son activité et celles des apiculteurs de sa région.
• D’autre part, la pérennité de ces sites dépend d’une intervention humaine raisonnée car la végétation sur le terril peut progresser spontanément vers un milieu forestier fermé et uniforme, réduisant ainsi les possibilités d’avoir des habitats diversifiés favorables à l’installation de la faune sauvage. Pour garder un équilibre entre les espaces ouverts et les bosquets, le DNF2, Natagora ou Charleroi Nature div class="encadre"><pnt des travaux d’entretien et d’aménagement en faveur de la biodiversité sur les terrils de Wallonie.
Le redressement du Pays Noir
De par son histoire, le Pays Noir possède un paysage parsemé de terrils dont le caractère atypique pourrait convaincre d’autres apiculteurs à s’y installer. Signalons qu’il n’est pas ici question d’établir une activité apicole intensive aux abords d’un terril qui constitue un lieu de vie intense à ne pas anthropiser.
« Si l’abeille doit être protégée, les terrils doivent l’être également : il s’agit d’endroits fragiles sur lesquels aucune intervention humaine ne devrait être acceptée ou alors fortement canalisée et réglementée légalement. L’intérêt bénéfique des terrils pour l’apiculture ne sera maintenu que si l’on respecte la pression des abeilles mellifères autour de ceux-ci pour maintenir une biodiversité équitable pour les autres espèces animales. » Arlette Stranard (Présidente de l’asbl Musée du Miel de Lobbes)
Au travers d’une apiculture raisonnée, durable et en adéquation avec le contexte environnemental local, l’apiculteur soucieux de préserver ce patrimoine devient alors un acteur clé pour sensibiliser le public à l’importance de préserver les terrils dont certains sont des réserves naturelles en devenir. Nous remercions sincèrement Eric Baudoux et Arlette Stranard pour leur contribution à cet article. Pleinement consciente de ses atouts environnementaux, la région de Charleroi se redresse progressivement et regorge d’acteurs apicoles impliqués que nous vous recommandons vivement de rencontrer ! Si les terrils vous intéressent, vous trouverez plus d’informations à ce sujet en consultant les adresses suivantes : PCDN de Charleroi et de Fontaine-l’Eveque, Natecom, Chemins Des Terrils, Destination Terrils, CPIE Chaine des terrils, chantiers participatifs de Charleroi Nature.
Ressources bibliographiques :
Terrils et carrières. https://www.charleroi.be/decouvrir/nature-en-ville/terrils-et-carrieres
« Chronologie des charbonnages en Belgique » (Wikipédia)
« Les terrils, témoins de l’activité minière devenus poumons verts », F. Dierick.
https://www.charleroi-decouverte.be/pages/index.php?id=38
Archives de Wallonie (1994), L’héritage des gueules noires : de l’histoire au patrimoine industrie (Livre)
Archives de Wallonie (1996), Bois du Cazier Marcinelle 1956. Évocation de Christian Druitte (Livre)
« Liste des charbonnages belges » (Wikipédia)
Destination Terrils. https://www.destinationterrils.eu/fr/
Terril du Martinet. https://www.charleroi.be/decouvrir/nature-en-ville/terrils-et-carrieres#255904-terril-du-martinet
« La biodiversité des terrils », G. Lemoine (2013). https://sfecologie.org/regard/r49-terrils-guillaume-lemoine/
Historique de l’Institut Apicole de Charleroi. https://www.iacharleroi.be/accueil/historique
« La faune des terrains industriels charbonnier », P. Rasmont et Y. Barbier (2000)
« Terril » (Wikipédia)
« Planifier une nouvelle valorisation des terrils dans la ville et la région, dans une perspective de développement durable », brochure de la Ville de Charleroi et Espace Environnement (2006).
« Communautés d’abeilles sauvages des terrils des régions de Mons et Charleroi : proposition de plans de gestion », A. Lefebvre (2021).
http://biodiversite.wallonie.be/nl/2345-terrils-du-martinet.html?IDD=251659168&IDC=1881