Qu’est ce que la cire ?
La cire est un matériau de la ruche relativement souple, malléable et isolant. Elle est d’une grande complexité chimi-que, car on y retrouve plus de 300 molécules différentes : des acides gras et des alcools et leurs combinaisons acide plus alcool (généralement des mono- et di-esters). On note aussi la présence de quelques dizaines de substances aromatiques. Son caractère graisseux permet aussi la fixation de molécules étrangères à la ruche comme certaines fragrances de parfumerie mais malheureusement aussi comme des pesticides ou des molécules thérapeutiques.
La mesure du niveau de résidus par le ppb
L’unité de référence en matière de pollution des produits de la ruche est le microgramme par kilo ou ppb (de l’anglais part per billion). Toutefois certaines publications parlent en milligramme par kilo ou ppm (part par million) donc un ppm égale mille ppb. Le choix du ppb rend les valeurs plus facilement lisibles. Par exemple il vaut mieux écrire que la contamination du nectar de tournesol par l’imidaclopride est de 2 ppb plutôt que d’employer beaucoup de zéros en écrivant 0,002 ppm.
Pollution des cires avant l’utilisation des acaricides contre Varroa destructor
D’une façon générale les pesticides de la famille des organochlorés (DDT, aldrin, dieldrin, chlordécone, endosulfan, lindane, etc) sont interdits de toute utilisation pour le végétal, l’animal et l’homme depuis plusieurs dizaines d’années en Europe. Le dernier à avoir été retiré de l’arsenal phytosanitaire est le lindane ou gamma-HCH. Cette famille est caractérisée par sa persistance dans l’environnement et par son accumulation partant des milieux pollués augmentant jusqu’aux grands prédateurs en suivant la chaîne alimentaires. Pour ne citer que le DDT, premier de cette famille, sa persistance dans l’environnement se compte en dizaines d’années. Présent à la concentration d’un ppb dans l’eau d’un lac américain, il a été retrouvé 184 000 fois plus concentré (184 000 ppb) dans les graisses des cormorans s’alimentant des poissons de ce lac.
Si on prend les années 1980 qui correspondent aux premières interdictions des organochlorés, les taux retrouvés dans les cires du commerce étaient souvent supérieures à 1000 ppb : selon Gayger et Dustmann (1985), toutes les cires du commerce analysées contenaient du lindane à des concentrations variant entre 2 et 2 920 ppb, et deux tiers des cires du DDT entre 20 et 330 ppb. De telles concentrations d’organochlorés sont encore trouvées dans certaines cires indiennes. Ainsi Singh et collaborateurs (2015) signalent la présence d’endosulfan à des concentrations variant entre 520 et 1130 ppb.
Situation actuelle des résidus d’organo-chlorés
En Amérique du Nord, Mullin et coll. (2010) trouvent de l’endosulfan dans 38 % des 259 échantillons analysés à une concentration moyenne de 8,7 ppb et une molécule de dégradation du DDT, le DDE, dans 2 % des échantillons à une moyenne de 17,2 ppb.
Aujourd’hui et en Europe il est encore possible de retrouver des organochlorés comme le DDT ou le DDE ou encore le lindane, dans les cires à quelques dizaines de ppb (Ravoet et coll., 2015). L’étude italienne de Perugini (2016) rapporte une fréquence anormalement élevée de molécules de cette famille dans les cires et évoque l’hypothèse d’une importation de cire en provenance de pays où ils sont encore utilisés. Hormis ces derniers pays, la présence d’organochlorés dans les cires témoigne de leurs persistances exceptionnellement longues dans l’environnement.
Pollution des cires avec les acaricides
L’apparition de l’acarien parasite externe Varroa destructor dans les ruchers d’Europe de l’Ouest vers 1975 a contraint les apiculteurs à traiter leurs colonies au moyens d’acaricides de synthèse ou naturels. Il est alors inévitable de retrouver les acaricides les plus liposolubles dans la cire. Le premier acaricide autorisé en Europe de l’Ouest a été le bromopropylate, issu d’une famille comparable à celle des organochlorés, puis quelques années plus tard, le coumaphos de la famille des organophosphorés, l’amitraze (formamidine) et le tau-fluvalinate (pyrthrinoïde). Quelques pays européens ont permis d’autres molécules acaricides comme la fluméthrine (pyréthrinoïde), l’acrinathrine (pyréthrinoïde), le cymiazole de façon éphémère, le chlorfenvinfos (organophosphoré). Le thymol synthétique ou naturel est aussi couramment utilisé dans les ruchers européens mais contrairement aux autres acaricides cités précédemment, il est volatil et donc ne reste pas piégé dans les cires plus de 50 jours si elles sont convenablement aérées (Bogdanov et coll., 1998b).
Pour les autres molécules acaricides il est donc important de connaître le niveau de résidu dans la cire après traitement et ses possibilités d’accumulation au fil des traitements.
Bromopropylate
Aujourd’hui interdit, il possédait de grandes propriétés de fixation dans les cires de couvain et de passage dans le miel. Ainsi Bogdanov et coll., (1998a) mesuraient au printemps suivant le traitement automnal, 47800 ppb de bromopropylate dans les cires de couvain et 2400 ppb dans les hausses. De tels taux étaient bien entendu inadmissibles.
Le coumaphos et le fluvalinate laissent moins de résidus dans les cires toujours selon ces auteurs et selon le même protocole : pour le fluvalinate 2900 ppb dans les cires du couvain et 100 ppb dans les hausses et pour le coumaphos (ND Perizin) 3800 ppb et 700 ppb respectivement.
Coumaphos
Plus précisément, les travaux de Martel et coll. (2007) et ceux de Lodesani et coll. (2008), estiment que des traitements annuels avec le coumaphos (ND Asuntol 50, interdit en apiculture) induisent un niveau de résidus moyen et permanent entre 1000 ppb et
5000 ppb dans les cires de couvain et dans les cires de corps construites. Martel et coll. mentionnent aussi un pic pouvant aller jusqu’à 15000 ppb pendant quelques semaines après traitement. Avec le coumaphos (ND Perizin), ayant eu une autorisation en apiculture, Lodesani et coll. trouvent une moyenne de 250 ppb dans les cires de couvain. Chauzat et Faucon (2007) estimeraient une moyenne de 792 ppb dans des cires de corps de quelques ruches, mais cette moyenne est à minorer car les auteurs n’ont pas inclus les cires inférieures à la limite de détection dans le calcul.
Ces résultats expérimentaux sont cohérents avec le suivi des cires du commerce suisse réalisé par Bogdanov (2006). Selon cet auteur, le taux moyen de coumaphos varie selon les années entre 500 et 1500 ppb dans la période 1993 à 2002. Ils sont aussi cohérents avec les résultats de Wallner (1999) qui situe la majorité des cires allemandes du commerce entre 1000 et 5000 ppb, la différence entre les résultats suisses et allemands étant dus probablement à la fréquence d’usage du coumaphos (ND Perizin) dans ces deux pays. Notons que cet acaricide n’est plus autorisé en France et dans beaucoup de pays européens depuis plus de 10 ans.
Tau-fluvalinate
Lodesani et coll. (2008) mesurent 3800 ppb dans des cadres de couvain alors que Bonzini et coll. (2011) en trouvent environ 1500 ppb dans ce type de cadre 6 mois après traitement, soit une augmentation d’environ 1300 ppb puisque la cire en renfermait environ 200 ppb avant traitement. Ces résultats sont bien supérieurs à ceux de Chauzat et coll. (2007) qui constateraient un taux moyen de 196 ppb dans des cires de corps de ruche, mais sans faire entrer les échantillons inférieurs à la détection dans le calcul de la moyenne. Bogdanov (2006), dans son suivi des cires du commerce suisse entre 1993 et 2002, indique un taux de fluvalinate variant entre 1500 et 3000 ppb. Wallner (1999) place la majorité des cires du commerce entre 1000 et 5000 ppb de fluvalinate.
Amitraze
Cet acaricide, certainement le plus utilisé en France, est une molécule facilement dégradable en deux différents métabolites dans les conditions de la ruche, ce qui explique qu’on recherche soit la molécule parentale, soit ses métabolites.
La molécule parentale n’est plus détectée un jour après le traitement à l’amitraze (ND Apivar) selon Martel et coll. (2007). Ravoet et coll. (2015) mentionnent une cire du commerce à 10 ppb d’amitraze. Mais si on recherche les deux principaux métabolites de l’amitraze, comme dans l’étude de Mullin et coll. (2010) concernant des échantillons de cires du commerce en Amérique du Nord, 61 % de celles-ci sont contaminées par le métabolite DMPF à une moyenne de 228 ppb et 34 % par le métabolite DMA à 437 ppb. Ce sont donc ces métabolites de l’amitraze qui sont responsables de la contamination de la cire et non pas l’amitraze elle-même.
Fluméthrine
Des résidus de fluméthrine sont mentionnés par Bogdanov et coll. En 1999 à hauteur de 50 ppb dans les cadres de couvain. La fluméthrine est très rarement détectée dans les cires du commerce.
Chlorfenvinfos
Cette molécule insecticide-acaricide, n’a jamais eu d’autorisation d’usage en apiculture, mais, à titre expérimental elle été retrouvée à la concentration moyenne de 730 ppb dans les cadres de corps de ruche après traitement (Lodesani et coll. 2008).
Situation actuelle avec les autres pesticides
Dans leur étude sur 259 cires américaines, Mullin et coll. (2010) identifient 87 pesticides ou molécules de dégradation avec une moyenne de 8 différents pesticides (y compris acaricides à usage apicole) par échantillon de cire.
Si on considère les usages en protection des végétaux, la fréquence de détection est variable : 39 insecticides-acaricides sur 87 molécules identifiées, 23 fongicides sur 87, 11 herbicides sur 87. Du point de vue chimique, la famille des pyréthrinoïdes est la plus représentée : 13 molécules sur 87. Puis viennent les organophosphorés avec 8 molécules, les organochlorés avec 7 molécules et les carbamates avec 6 molécules. Deux néonicotinoïdes (imidaclopride et thiaclopride) ont aussi été retrouvés. Le principal synergiste à usage agricole (butoxyde de pypéronile) a été noté à la fréquence de 1 % et à une concentration moyenne de 120 ppb.
La plupart des insecticides sont des adulticides, cependant 3 insecticides à cible larvaire (méthoxyfénozide, pyriproxyfen, tébufénozide) ont été quantifiés.
Considérant la systémie dans le végétal (passage de la molécule dans la sève), 28 molécules sur les 87 possèdent cette propriété.
La synthèse de Johnson et coll. (2010), plus générale mais concernant toujours les USA, conforte l’étude précédente.
On ne trouve aucun travail aussi complet dans la littérature scientifique européenne, tant par le nombre de molécules recherchées que par la sensibilité des méthodes analytiques. L’étude européenne la plus exhaustive est celle de Perugini (2016) portant sur 178 échantillons de cire italienne récoltés sur trois ans. Sur 47 molécules et métabolites détectés, 28 proviennent d’insecticides-acaricides, 10 de fongicides et
2 d’herbicides. Le butoxyde de pipéronyle est très fréquemment retrouvé (38 % des échantillons) par rapport aux cires américaines. Cette constatation et la fréquence des organochlorés amènent à la nécessité d’établir des critères de qualité des cires du commerce à l’importation comme dans le marché intérieur.
Intensité de la pollution selon la nature de la cire
1 Cire de corps
Toutes les études concluent que les cires du corps de ruche sont les plus polluées.
2 Cire de hausse à miel
A la suite de traitements par acaricides du corps de ruche, on estime que la cire des hausses, posées après traitement, est 3 à 10 fois moins polluées que celles du corps de ruche (Bogdanov et coll., 1999 ; Lodesani et coll., 2008).
3 Cire d’opercule
La cire d’opercule est réputée moins polluée que la cire gaufrée selon un rapport de Le Gall (2014). Le nombre de molécules retrouvées est plus faible dans la cire d’opercule et vraisemblablement les concentrations aussi mais il est difficile de proposer un facteur de réduction car ce rapport ne concerne que peu d’échantillons.
4 Cire gaufrée
La littérature scientifique signale quelques essais de décontamination lors du travail du cirier. Selon Bogdanov et coll. (1999) et Jimenez et coll. (2005), plusieurs heures d’ébullition de la cire ou de passage en autoclave à 140°C ne détruisent pas les pesticides.
5 Propolis
Selon Huang et coll. (2014), la propolis brute renferme 30 % de cire, donc elle est aussi contaminée par tous les polluants de la cire. Bogdanov et coll. (1999) notent des concentrations moyennes de 9800 ppb de fluvalinate et de 2450 ppb de fluméthrine dans des propolis suisses. La propolis devrait donc être soumises à des normes de résidus au même titre que la cire.
6 Transfert de l’alvéole de cire dans le sirop, le miel et la gelée royale
Plusieurs auteurs ont montré que des substances liposolubles contenues dans la cire des alvéoles, pouvaient migrer dans leur contenu même s’il est aqueux, mais en faible proportion. Bogdanov et coll. (1999) estiment que le taux de transfert entre la cire et du sirop varie entre 1/287 et 1/1850 pour le coumaphos et entre 1/1825 et 1/10067 pour le fluvalinate. Pour cette dernière molécule, les travaux de Lodesani et coll. (1992), indiqueraient que le taux de transfert cire vers miel, varie entre 1/200 et 1/800. Aucune étude ne précise si les pesticides systémiques sont plus aptes à contaminer le miel.
Conclusion
La cire est un matériau noble de la ruche par sa consistance, sa plasticité et l’extraordinaire richesse de sa composition chimique. Nul doute que de nombreuses découvertes restent à faire quant à son rôle dans la société des abeilles. C’est aussi le témoin de l’environnement naturel de l’abeille et de l’intervention de l’homme, positive ou négative. Proposer aux abeilles des cires saines ne peut s’envisager que par une coopération entre apiculteurs et ciriers et aussi par la réduction de la pollution de l’environnement particulièrement celle occasionnée par les quelques 300 molécules pesticides autorisées en agriculture.
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