Qu’est-ce qui vous a conduit à vous engager comme vous le faites en apiculture ?
Ce qui m’intéresse surtout, ce n’est pas produire du miel, c’est sensibiliser à l’environnement. C’est là mon cheval de bataille depuis 45 ans !
Quelles sont les principales difficultés que rencontre un apiculteur en ville ?
Le principal problème, c’est la proximité du voisinage. Il faut être très respectueux des riverains en respectant les lois qui les protègent mais aussi en adoptant une certaine attitude pour créer un climat de confiance. Par ailleurs, de bonnes pratiques apicoles propres à l’environnement urbain sont nécessaires. Il ne faut pas exciter les abeilles et donc il faut prendre soin de visiter au bon moment, d’élever des colonies douces et d’utiliser un chasse-abeilles par exemple. Il faut aussi anticiper l’essaimage des colonies et se souvenir qu’en ville, la récupération d’un essaim est plus difficile et a forcément un impact sur la population. On préconise l’utilisation d’un cadre-témoin, une visite une fois par semaine en saison, une pratique systématique de l’écrémage et de la division des colonies. Quand un apiculteur fait des erreurs en ville, il n’est pas le seul impliqué. Il peut y avoir des fenêtres ouvertes dans le voisinage ! C’est l’un des rôles de la SRABE de former des apiculteurs conscients des obligations qui sont les leurs.
Et en ce qui concerne les sites d’hébergement des ruchers ?
C’est vrai qu’il faut veiller à ce que les sites soient accessibles.
Et sécurisés ?
Nous veillons toujours à la sécurité des usagers. Quant à la sécurité des ruchers, peu de vols ont été à déplorer jusqu’à cette année. Je suis personnellement étonné du peu de vandalisme.
Et qu’en est-il de la réglementation ?
Il y a un maximum de 3 ruches de production au même endroit. Une ruchette par ruche est permise pendant 10 mois (de fin avril à début mars de l’année suivante). C’est une tolérance au niveau du permis d’environnement pour permettre une gestion de
l’essaimage.
Combien y a-t-il de petits ruchers de la SRABE à Bruxelles ?
Il y a peu de ruches sur les toits à Bruxelles. Elles ne représentent pas plus de 5 % des ruches mais sont très médiatisées. Cela a parfois sa raison d’être. Par exemple, la ruche sur le toit du Sénat représente la cerise sur le gâteau de toute une série d’actions environnementales prises pour que le vieux bâtiment historique améliore de manière spectaculaire sa performance énergétique. Ce n’est pas du greenwashing. C’est plutôt l’illustration d’un effort qui aboutit à la mise à disposition d’un jardin-toit pour le personnel. La ruche est un symbole qui a été utilisé pour communiquer une avancée positive. Mais c’est une anecdote. La SRABE dispose de 42 conventions d’installation de ruches (en dehors de l’IBGE) à tous les niveaux de pouvoir administratif : communes, CPAS, communautés, fédérations, régions et quelques conventions avec des individus privés. J’insiste sur le fait que ces conventions ne rapportent pas d’argent. L’association intervient à titre bénévole. Il y a par contre à Bruxelles quelques organismes qui installent des ruches sur le toit de sociétés moyennant finances. Je pense à Made in Abeilles (Le Soir, City2), à Apiterra (Engie) et à Beeodiversity (Caméléon, Comité des régions). La SRABE quant à elle refuse de « marchandiser » l’image de l’abeille.
Bruxelles est-elle un contexte intéressant pour pratiquer l’apiculture ?
Bruxelles est une ville très verte avec plus ou moins 50 % du territoire constitué de zones vertes. Il y a aussi les arbres d’alignement (érables champêtres, tilleuls…), les parcs et plus d’un million de m² de toitures vertes. Bien sûr, les jardins bruxellois n’accueillent pas toujours que des plantes indigènes mais il y a aussi des plantes horticoles qui peuvent être intéressantes pour les pollinisateurs. En tout cas, la ville bénéficie d’une diversité énorme qui assure de la nourriture aux abeilles de janvier à octobre-novembre. Il y a un microclimat (1°ou 2C de plus en ville) qui allonge un peu la période de floraison. L’utilisation des pesticides par les pouvoirs publics est désormais interdite officiellement et nos abeilles sont relativement préservées de certaines pratiques agricoles même si des champs de moutarde sont présents en périphérie.
Source : La biodiversité à Bruxelles (Bruxelles Environnement, 2010)
Il y a aussi quelques inconvénients j’imagine ?
Je vois surtout le fait que les espaces sont très jardinés. Par exemple, les tilleuls sont rabattus trop fréquemment. Une prise de conscience des administrations publiques dans le choix et la gestion des plantes est nécessaire.
Y a-t-il une particularité apicole bruxelloise ?
L’apiculture bruxelloise n’est pas comparable à celle de Paris ou de Toronto du fait de la part importante tenue par les jardins privés et les espaces verts. La SRABE y a toujours été très présente historiquement. L’association compte aujourd’hui environ 400 membres, des passionnés qui n’ont pas tous des ruches (50 % des membres n’ont pas de ruches et un certain nombre élèvent leurs abeilles en dehors de Bruxelles) mais sont tous soucieux de comprendre les abeilles, d’avoir parfois une ruche au fond du jardin pour une petite production personnelle. En 2016, les membres de la SRABE ont déclaré 782 colonies avant l’hiver. Ensuite il faut compter sur des pertes hivernales comme partout. Elles peuvent atteindre les 20 %.
Qu’est-ce qui vous paraît le plus important dans votre engagement pour une apiculture à Bruxelles ?
Le cadre urbain permet de construire une dynamique positive pour entretenir de bonnes relations sociales. La pratique apicole ouvre le dialogue sur un meilleur comportement pour l’environnement. C’est un vecteur de communication idéal.
J’ai l’impression que les hommes sont aussi importants que les abeilles dans votre démarche. Je me trompe ?
C’est tout à fait vrai ! Le lien social est une dimension hyper- importante pour moi et pour l’association. Le miel est très rassembleur de différents types de population à Bruxelles. Je m’en rends bien compte quand je fais des animations avec les ruches installées sur le toit de l’antenne de quartier Bockstael. Des bruxellois de toutes les origines se rencontrent autour de la ruche : les populations maghrébines qui sont très connaisseuses de miel, les roumains, la communauté flamande de Bruxelles, etc. Les animations socio-culturelles sont très demandées par les communes. Quand la commune de Jette a créé une grainothèque, elle a souhaité une conférence sur l’impact de la biodiversité sur les abeilles. Pour son marché des producteurs en circuit-court, la commune a proposé un stand à la SRABE et nous avons fait de la sensibilisation, pas de la vente ! Les apiculteurs bruxellois ne se considèrent pas principalement comme des producteurs mais comme des observateurs de l’abeille et de son environnement.
Que pensez-vous de la polémique émergente qui parle d’une concurrence entre abeilles sauvages et mellifères ? Cela concerne-t-il aussi les abeilles en ville ?
Je pense que le mot « concurrence » est mal choisi. Il y a concurrence depuis des millions d’années dans l’ensemble du règne animal et végétal. Les espèces se concurrencent pour la nourriture, pour le gîte, pour la lumière et c’est cette concurrence qui crée la biodiversité.
Cela permet l’adaptation aux conditions particulières locales. Les plus concurrentiels survivent et les autres s’adaptent ou disparaissent. L’important est de maintenir cette concurrence dans des « formes loyales » où chaque espèce garde sa chance. C’est très souvent l’homme qui apporte un déséquilibre dans tout ça ! L’abeille mellifère a trouvé son adaptation. Elle vit en grande colonie (60 000 individus pendant la saison de récolte avec 15 à 30 000 butineuses) qui passe l’hiver en adaptant son volume
(20 000 individus). La colonie doit donc doit stocker de la nourriture pour les périodes sans ressources. Elle a développé une organisation sociale très précise dans la colonie, un langage de communication entre éclaireuses/butineuses permettant de mobiliser un très grand nombre de butineuses en quelques minutes en fonction des sources de nourriture découvertes. Tout ça représente ses forces. Mais elle a aussi des handicaps importants : sa langue est relativement courte par rapport à certains autres pollinisateurs ; elle est timide et se laisse, dans des conditions normales, chasser des fleurs ; elle est assez frileuse et ne sort qu’à des températures assez élevées par rapport à d’autres espèces. Pour survivre dans sa « niche écologique », elle s’est spécialisée dans le butinage de grands ensembles floraux où les ressources (nectar et pollen) sont généralement largement sous exploitées car produites en peu de temps et en très grandes quantités et pour lesquels la mobilisation rapide d’un très grand nombre de butineur est un atout majeur. On ne se trouve donc pas dans les conditions de concurrence avec d’autres pollinisateurs sauf cas extrêmes de pénurie de nourriture ce qui n’est pas du tout un risque à Bruxelles étant donné le nombre important d’arbres mellifères dans les rues et les parcs.
Comment la SRABE perçoit-elle cette polémique qui commence à être médiatisée ?
Nous regrettons la manière polémique utilisée par certains scientifiques pour aborder cette question et l’opération de lobbying qui accompagne tout ça. Nous ne nous retrouvons pas beaucoup dans ce qui se dit, en particulier la description caricaturale du comportement de l’abeille mellifère vis-à-vis des autres pollinisateurs. Ceci montre une totale méconnaissance de sa biologie. Nous ne comprenons pas le rôle négatif que jouerait l’apiculteur en pratiquant son hobby alors qu’il souhaite surtout préserver son environnement, le même que celui de tous les autres pollinisateurs.
Nous faisons face tout à coup à une communication « clichée » sans nuance qui est diffusée pour diaboliser les abeilles mellifères alors que nous, au contraire, chaque jour, nous rencontrons les habitants pour leur faire découvrir le monde fascinant de tous les pollinisateurs. Lorsque les pompiers et les administrations nous appellent pour recueillir des essaims qui, parfois, n’en sont pas, nous sauvons de la destruction osmies, bourdons, collètes, syrphes, guêpes, frelons européens… Nous informons. Nous ne nous bornons pas à l’élevage d’abeilles mellifères. Nos intérêts et nos connaissances débordent largement de ce cadre et nous faisons de la communication environnementale au sens large lors des animations, des conférences, des marchés locaux où nous rencontrons annuellement des milliers de gens. Nous le faisons aussi lors des contacts avec les médias. A Bruxelles, si l’on veut commencer à utiliser des chiffres, le nombre de butineuses ou d’éclaireuses par are est dérisoire : si l’on prend une distance de butinage de 2,5 km, nous aurons pour une forte colonie en période de forte miellée (grosso modo 10 jours/an) 15 butineuses par ha, c’est-à-dire 1 butineuse pour 6,5 ares et cela sur une hauteur de 30 mètres. D’après le SPF Environnement, le nombre de ruches a par ailleurs très sensiblement diminué depuis 30 ans. C’est confirmé par de nombreux témoignages en région bruxelloise. Nous ne comprenons donc vraiment pas pourquoi certains mettent en balance les abeilles sauvages et les abeilles mellifères. Espérons que les décideurs politiques sauront raison garder.
Références :
- http://www.environnement.brussels/thematiques/espaces-verts-et-biodiversite/action-de-la-region/les-maillages/le-maillage-vert