L’abeille et l’éléphant

Agnès Fayet

Comment les ruches sont utilisées comme barrières pour protéger des villages des éléphants en Afrique.

L’anthropisation du monde ne fait pas bon ménage avec la faune sauvage, particulièrement la grande faune. C’est le cas en Afrique sub-saharienne où la fragmentation des milieux naturels et l’augmentation des activités humaines conduisent à des conflits ouverts entre les hommes et les animaux sauvages. L’éléphant est une des victimes emblématiques de ces conflits. Les dégâts produits par les grands pachydermes, confrontés à un rétrécissement de leur espace vital, a pour conséquence une augmentation incontrôlable du braconnage dont ils sont victimes.

Les clôtures électriques sont efficaces mais nécessitent de l’entretien, coûtent cher et ne rencontrent pas l’adhésion des communautés. L’abeille africaine Apis mellifera scutellata pourrait bien être une partie de la solution.

Le Dr Lucy E. King est chercheuse asso- ciée au Département de zoologie de l’Université d’Oxford. Elle dirige le Human-Elephant Coexistence Program « Save the elephants ». Lucy King a grandi en Somalie, au Lesotho et au Kenya et a passé beaucoup de temps dans les parcs nationaux africains pendant son enfance. Regarder la faune a fait grandir sa pas- sion pour la protection des animaux. Au cours de ses études, elle s’est intéressée à la façon dont l’humanité peut coexister avec les animaux sauvages, non pas en les clôturant, mais en trouvant un moyen de coexister pacifiquement. Depuis 2006, elle étudie l’utilisation des abeilles mellifères comme moyen de dissuasion naturel contre les éléphants ravageurs des cultures. De nombreuses publica- tions scientifiques témoignent de l’évo- lution des solutions proposées.

Le comportement des éléphants face à des abeilles

Les éléphants réagissent au bourdonnement des abeilles agressives en s’éloignant de la source sonore. Les études suggèrent que les éléphants ont conscience de la présence abeilles, qu’ils en conservent la mémoire et qu’ils sont capables de les identifier uniquement par le son. Leur réponse comportementale suggère qu’ils se souviennent ou asso- cient le son des abeilles à un événement historique négatif, qu’il soit d’ordre indi- viduel ou collectif. L’éléphant est condi- tionné à éviter les bourdonnements d’abeilles soit suite à un apprentissage personnel (en ayant été piqué), soit en ayant observé un autre éléphant se faire piquer, soit en ayant participé à une fuite collective provoquée par des abeilles dérangées par le troupeau. Cet appren- tissage social est capital pour l’intégra- tion expérimentale des éléphanteaux. Les éléphants émettent un cri d’alarme spécifique pour avertir les membres de la famille et inciter le groupe à se retirer d’une éventuelle menace des abeilles.


Une solution rentable

L‘idée de s’appuyer sur le comporte- ment, naturel aux éléphants, d’éviter les abeilles pour protéger les agriculteurs a germé. La solution de mettre en place des clôtures-ruches rencontre l’intérêt des communautés qui peuvent non seu- lement bénéficier d’une protection face aux destructions de leurs cultures mais qui peuvent obtenir un revenu supplé- mentaire intéressant grâce à la vente de produits à base de miel et de cire. La solution n’apporte pas une protection infaillible mais est suffisante pour forte- ment dissuader les troupeaux d’appro- cher des villages et des champs cultivés avec un taux de réussite de 80 %. Les frais liés à l’entretien des clôtures sont pris en charge par les revenus tirés de l’api- culture. La solution permet de diversifier les revenus des agriculteurs et d’étendre l’offre alimentaire avec un produit pré- cieux, nutritif qui ne nécessite pas de réfrigération : le miel.

D’après les essais réalisés, les clôtures avec des ruches Kenyane ont un taux d’occupation moyen de seulement 32 % et les agriculteurs ont du mal à garder leurs abeilles pendant les saisons sèches. Les récoltes de miel sont également plus faibles qu’avec les ruches Langstroth dans lesquelles les taux d’occupation sont plus élevées et les productions plus fortes. Des taux élevés d’occupation des ruches a un impact plus élevé pour dis- suader les éléphants et pour stimuler les communautés agricoles.

Essaimage d’une solution positive

Des moyens de dissuasion artificiels inté- grant des haut-parleurs puissants émet- tant des sons d’abeilles énervées ont également été testés, avec ou sans la présence de ruches, en particulier au Sri Lanka. Sans les abeilles pour déclencher la réponse de retraite conditionnée, la probabilité que les éléphants s’habituent à la clôture augmente. Il est donc impor- tant de conserver des ruches peuplées dans les clôtures, même si on utilise des sons artificiels en parallèle. Les élé- phants d’Asie ont réagi aussi bien que les éléphants d’Afrique aux stimuli. Comme leurs cousins d’Afrique, ils fuient le bruit des abeilles énervées et émettent un grondement infrasonique qui aver- tit les autres éléphants de la région de se retirer. Aujourd’hui, le dispositif de ruches-barrières a été mis en place avec des résultats socio-économiques posi- tifs dans 84 sites dans 22 pays d’Afrique et d’Asie. L’éléphant n’est plus perçu comme un problème mais comme un atout dans bien des cas.
www.elephantsandbees.com


Références :
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