Espèces invasives : ces nouveaux frelons introduits en Europe

Prédateurs

Présentation des deux nouvelles espèces de frelons introduites en Europe de l’Ouest au cours de la dernière décennie et des potentiels impacts et coûts de ces introductions.

Dix-sept ans après l’introduction du frelon asiatique en Europe, le bilan de la lutte contre cette espèce invasive est plus que mitigé, avec une colonisation fulgurante et des dégâts importants sur les colonies d’abeilles et l’apiculture. Au cours de la dernière décennie, ce sont deux nouvelles espèces de frelons qui ont été introduites accidentellement sur le vieux continent : le frelon oriental (Vespa orientalis) et le frelon à bouclier noir (Vespa bicolor). Bien que limitées à quelques zones dans le pourtour du bassin méditerranéen, ces introductions soulèvent de nombreuses questions quant à leurs possibles impacts environnementaux et économiques. Mais que sait-on vraiment de ces deux espèces ? Doit-on s’attendre à une colonisation de nouveaux territoires comparable à celle de Vespa velutina ? Quel serait le coût d’une lutte contre de nouvelles espèces invasives ?

Espèces invasives : un coût largement sous-estimé

Les échanges commerciaux internationaux représentent le premier vecteur d’introduction d’espèces invasives dans le monde. Chaque année, des centaines d’espèces exogènes sont introduites de manière clandestine pour la plupart, volontairement pour d’autres, dans de nouveaux habitats sur tous les continents.

Par chance, seule une petite fraction d’entre elles réussit à s’établir ou à envahir la nouvelle région. Le succès de ces invasions dépend des caractéristiques biologiques de l’espèce introduite, la rendant plus ou moins résistante et adaptée aux conditions de son nouvel environnement (capacité de reproduction, de dispersion, compétition avec les espèces autochtones…) mais aussi de l’adéquation de l’habitat (par ex. présence de ressources alimentaires indispensables) et du climat (par ex. température, humidité...) entre sa région d’origine et la région envahie [1]

Dans le cas où ces espèces introduites arrivent à s’installer, elles le font inévitablement au détriment d’autres espèces autochtones dont elles prennent la place et peuvent bouleverser les équilibres naturels au sein des écosystèmes qu’elles colonisent.


Introduction et invasion : quelle nuance ?

Une espèce introduite est une espèce exotique (non-native) importée accidentellement ou volontairement dans un nouvel environnement, hors de son aire naturelle de répartition ou de dispersion potentielle (c’est-à-dire hors de la zone géographique qu’elle occupe naturellement sans intervention de l’homme).

Une espèce invasive (terminologie dérivée de l’anglais « invasive species ») est une espèce exotique envahissante dont l’introduction et la propagation dans son nouvel environnement exerce une forte pression sur les espèces autochtones et provoque des dommages écologiques et/ou économiques et/ou sur la santé humaine. Elle est généralement caractérisée par un fort pouvoir de reproduction et/ou de dispersion.


Les invasions biologiques ne sont donc pas sans conséquences. Elles représentent la deuxième cause de perte de biodiversité au niveau mondial, après la destruction des habitats, et contribuent à la dégradation des écosystèmes et de leurs services1. Mais comment évaluer les coûts de ces impacts sur l’environnement quand il est encore tellement difficile d’attribuer une valeur monétaire à la biodiversité et aux services qui y sont associés ?

Une équipe de chercheurs du CNRS/Université-Paris-Saclay a estimé que les invasions d’insectes coûtent à elles seules plus de 76,0 milliards de dollars par an dans le monde (incluant les coûts socio-économiques, de santé humaine et environnementaux) [2].

Dans le cas de l’arrivée en Europe du frelon asiatique Vespa velutina, l’invasion est principalement contrôlée par la destruction des nids. On estime aujourd’hui que ces destructions ont couté environ 23 millions d’euros entre 2006 et 2015 rien qu’en France [3]. En raison du changement climatique, les zones qui lui sont favorables s’étendent et l’espèce continue de se propager. Ainsi, si l’espèce colonise toute son aire de répartition climatique favorable, le coût annuel de ces destructions systématique de nids pourrait atteindre d’ici 2032 les 11,9 M €/an en France, 9,0 M €/an en Italie et 8,6 M €/an au Royaume - Uni [4]. Notons que ces chiffres ne prennent en compte ni l’impact du frelon sur la biodiversité et les services écologiques associés, ni sur la santé humaine, ni sur les colonies d’abeilles mellifères ou l’apiculture.

À chaque âge ses besoins

Comme chez toutes les espèces du genre Vespa, les larves et les adultes de frelons ont des régimes alimentaires différents.
Les adultes s’alimentent principalement de substances d’origine végétale telles que le nectar des fleurs et des fruits mûres. Ils peuvent également montrer un comportement opportuniste en se nourrissant de substances sucrées issues de produits destinés à l’alimentation humaine.
Les larves ont besoin de protéines animales pour leur développement. Ces protéines leur sont fournies par des insectes chassés par la reine (en début de saison) et les ouvrières de la colonie (sauterelles, mouches, petites guêpes, abeilles), des charognes ou encore une fois des restes de produits destinées à l’alimentation humaine (œuf, viande…).

L’arrivée de nouvelles espèces de frelons sur le vieux continent et avec elles la menace de leur potentielle expansion à travers l’Europe, fait craindre une facture toujours plus lourde pour la biodiversité déjà mise à mal par les activités humaines (pollution, perte des habitats, pesticides…) et l’apiculture, durement touchée par la prédation de Vespa velutina dans certaines régions.

Qui est Vespa orientalis, le frelon récemment arrivé en France

Le frelon oriental (Vespa orientalis) est naturellement présent en Europe continentale, mais son aire de répartition naturelle se restreint au Sud-Est de l’Europe (sud de l’Italie, Malte, Grèce, Chypre, Albanie, Bulgarie, Roumanie) jusqu’au Nord-Est de l’Afrique [5].

Il a déjà été observé à plusieurs reprises en différents endroits d’Europe de l’ouest au cours de la dernière décennie. Initialement signalée dans la ville de Valence en Espagne depuis 20126, l’espèce a ensuite été détectée en 2018 plus au sud, en Andalousie dans la ville d’Algésiras [6]. L’espèce s’est désormais installée plus largement le long de la Péninsule ibérique en colonisant la côte depuis Malaga jusqu’à Gibraltar, 750 km plus au sud [7]. Durant l’été 2021, Vespa orientalis a également été détecté pour la première fois en France à Marseille, probablement suite à une introduction accidentelle par voies de transport maritime (Fig.1) [8]

Le frelon oriental est de taille assez similaire à celle du frelon européen (Vespa crabro) et du frelon asiatique (Vespa velutina), avec une longueur de 19 - 32 mm pour les ouvrières, les reines pouvant atteindre 35 m. Le corps présente une coloration caractéristique qui permet une identification facile, sans confusion possible avec d’autres espèces. La tête, le thorax, les pattes et l’abdomen sont brun-rougeâtre, à l’exception d’une tache jaune sur la face (entre l’insertion des antennes) et d’une bande jaune souffre sur les tergites III et IV de l’abdomen10 (voir Fig.2).

Un nouveau venu d’Asie : le frelon bicolor ou « à bouclier noir »

Vespa bicolor, aussi appelé frelon à bouclier noir, est comme Vespa velutina, une espèce venue d’Asie du sud-est. Elle est naturellement présente dans toute la moitié nord de l’Asie du Sud-Est : Népal, nord-est de l’Inde, montagnes du nord-est de la Birmanie et de la Thaïlande, Laos, moitié nord du Vietnam ainsi qu’en Chine (une partie du Tibet et le quart sud-est du pays). Elle est notamment très commune à Hong-Kong [9].
Récemment introduite de manière accidentelle à Taiwan, elle a également fait son apparition en Europe dans le Sud de l’Espagne, dans trois villes de la région de Malaga (Andalousie) [10]. Les spécialistes estiment son introduction à 2013, mais les circonstances de son arrivée restent inconnues (Fig.1).

Il s’agit d’une des plus petites espèces de frelon avec des ouvrières mesurant entre 13 et 21 mm de long. Les mâles, mesurent entre 13 et 19 mm et les reines, un peu plus grosses, peuvent atteindre 25 mm. Cette espèce se reconnait facilement à sa petite taille mais aussi à son abdomen et ses pattes de couleur jaune vif et à la présence d’un large triangle noir caractéristique dessiné sur son thorax entre la base des ailes, d’où son nom de frelon à « boulier noir » [11] (voir Fig.2).

Quels risques pour les abeilles ?

Quelle que soit l’espèce introduite, il est impossible de prédire quelle sera l’évolution de la taille de sa population et quels seront ses impacts sur l’environnement.
Mais l’arrivée et l’installation du frelon oriental et du frelon bicolor impliquera nécessairement un réajustement des interactions avec les autres espèces présentes dans l’environnement dans lequel elles s’installent, avec des effets directs sur leurs proies (comme l’abeille mellifère) ou indirects sur les autres espèces d’insectes prédateurs.

Comme toutes les espèces de frelons, Vespa orientalis et Vespa bicolor sont des prédateurs opportunistes se nourrissant de nombreux arthropodes, dont les abeilles mellifères. Ils présentent, comme le frelon asiatique et le frelon européen, cette technique de vol stationnaire devant les ruches [12]. Mais d’autres différences de comportement impliquent une variabilité dans les possibles conséquences sur leur environnement.

Dans son aire de répartition d’origine, Vespa orientalis est considéré comme un dangereux prédateur des colonies d’abeilles mellifères [13]. Il est également identifié localement comme une espèce de ravageurs de cultures fruitières (ex. dattiers, poiriers, pommiers) en raison des importants dégâts qu’il peut occasionner sur les récoltes [14]. En revanche, peu d’informations sont disponibles concernant Vespa bicolor. Il ne semble pas exister à ce jour d’étude sur son possible impact sur la perte de pollinisateurs ou de dommages sur des cultures fruitières comme c’est le cas pour V. orientalis. Toutefois, à Taïwan où son installation a été confirmée en 2013, il n’est pas considéré comme un prédateur grave pour les abeilles, malgré l’observation de quelques pertes très locales de colonies [15]. La pression de prédation que ces deux espèces exerceront sur les cheptels apicoles et leurs autres proies potentielles dépendra de la taille de leurs populations à venir.
Une concurrence avec les insectes prédateurs déjà présents est aussi à envisager. Elle ne devrait pas seulement concerner les espèces de frelons déjà installées [16] mais également d’autres prédateurs, notamment ceux de taille inférieure à celle des frelons, tels que la guêpe européenne Vespula germanica [17].

En raison du réchauffement climatique, capable de modifier les aires de répartition et de dispersion des espèces, on peut s’interroger sur la capacité de ces deux espèces à coloniser d’autres territoires et si elles s’intégreront dans leurs nouveaux environnement comme de simples espèces introduites à faible impact, ou au contraire, si elles agiront comme des espèces invasives avec des conséquences écologiques et/ou économiques fortes. Actuellement, aucun scenario ne peut être favorisé ou écarté.

Des suivis cartographiés sont déjà en place en Espagne, pays présentant les deux espèces depuis 2013. Né en août 2016 de la collaboration entre un informaticien et un entomologiste et du soutien de plusieurs associations apicoles, le site web « Mapa de Avispas » [18] est conçu sur le modèle d’un projet de sciences participatives. Les informations obtenues à partir d’observations faites sur photos, permettent de suivre l’évolution des espèces d’hyménoptères invasifs d’Espagne, notamment [19] et [20].

Ce monitoring montre que [21] reste actuellement limité à trois communes autour de Malaga, sa zone d’installation initiale. En revanche, [22] montre un potentiel vers un déploiement à plus large échelle, puisque deux spots espacés de près de 750 km sont déjà concernés en Espagne : le premier à Valence depuis 2021 et le second à Algésiras (2018) avec chaque année des observations dans de nouvelles communes voisines. Des régions auxquelles il faut désormais ajouter le sud de la France avec Marseille, suite à une introduction involontaire par l’homme.

Un nouveau sujet à suivre de près, qui requiert notre vigilance à tous.
Orianne ROLLIN

References

1. Pyšek, P. & Richardson, D. M. Invasive Species, Environmental Change and Management, and Health. Annual Review of Environment and Resources 35, 25–55 (2010).
2. Bradshaw, C. J. A. et al. Massive yet grossly underestimated global costs of invasive insects. Nat Commun 7, 12986 (2016).

3. Barbet-Massin, M., Salles, J.-M. & Courchamp, F. The economic cost of control of the invasive yellow-legged Asian hornet. NeoBiota 55, 11–25 (2020).

4. Darrouzet, E. Le frelon asiatique, un redoutable prédateur. Le connaître pour mieux le combattre. (2019).

5. Cetkovic, A. A review of the European distribution of the oriental hornet (Hymenoptera, Vespidae : Vespa orientalis L.). Acta Biologica Iugoslavica. Serija D (2002).

6. Hernández, R., García-Gans, F. J., Selfa, J. & Rueda, J. Primera cita de la avispa oriental invasora Vespa orientalis Linnaeus 1771 (Hymenoptera : Vespidae) en la Península Ibérica. Boletín de la Sociedad Entomológica aragonesa 52, 299–300 (2013).

7. Sánchez, I., Fajardo, M. del C. & Castro, M. Primeras citas del avispón oriental Vespa orientalis Linnaeus 1771 (Hymenoptera : Vespidae) para Andalucía (España). Revista de la Sociedad Gaditana de Historia Natural : RSGHN 11–14 (2019).

8. Mapa de Avispas. Avispas Exóticas Invasoras en España. http://mapadeavispas.com/.

9. Gereys, B., Coache, A. & Filippi, G. Présence en France métropolitaine d’un frelon allochtone  : Vespa orientalis Linnaeus, 1771 (Le Frelon oriental) (Hymenoptera, Vespidae, Vespinae). Faunitaxys 9, 1–5 (2021).

10. Archer, M. E. Taxonomy, Distribution and nesting biology of Vespa orientalis L. (Hym., Vespidae). Entomol Mon Mag 134, 45–51 (1998).

11. Castro, L. Una nueva introducción accidental en el género Vespa Linnaeus, 1758 : Vespa bicolor Fabricius, 1787 en la provincia de Málaga( España). Revista gaditana de Entomología 10, 47–56 (2019).

12. Sung, I.-H., Lu, S.-S., Chao, J.-T., Yeh, W.-C. & Lee, W.-J. Establishment of Vespa bicolor in Taiwan (Hymenoptera : Vespidae). Journal of Insect Science
14, 231 (2014).

13. Glaiim, M. K. Hunting behavior of the oriental hornet, Vespa orientalis L., and defense behavior of the honey bee, Apis mellifera L., in Iraq. Bulletin of the Iraq Natural History Museum 10, 17–30 (2009).

14. Ibrahim, Y. & Abd Al-Fattah, M. A. A. The serious effects of the dangerous insect predator (Vespa orientalis L.) on honeybee colonies in Giza governorate.

15. Papachristoforou, A. et al. High frequency sounds produced by Cyprian honeybees Apis mellifera cypria when confronting their predator, the Oriental hornet Vespa orientalis. Apidologie 39, 468–474 (2008).

16. Fouad, M. S., Darwish, M. & EL Roby, A. S. M. H. Behavioral Study of The Dangerous Insect Predator (Vespa orientalis) on The Honeybee Colonies in Minia Region, Egypt. Journal of Plant Protection and Pathology 12, 713–715 (2021).

17.Mahmoudi, H., Hosseininia, G., Azadi, H. & Fatemi, M. Enhancing Date Palm Processing, Marketing and Pest Control Through Organic Culture. Journal of Organic … (2008).

18. Lu, S.-S. et al. Evidence for Range Expansion and Origins of an Invasive Hornet Vespa bicolor (Hymenoptera, Vespidae) in Taiwan, with Notes on Its Natural Status. Insects 12, 320 (2021).