Ressemblances et différences
Pour commencer, il faut rappeler que le frelon européen et le frelon asiatique ont des cycles de vie très proches (voir poster p.22). Une reine fondatrice démarre la colonie au printemps après la diapause hivernale dans un abri. La colonie se développe petit à petit jusqu’à atteindre son développement maximum. Plusieurs futures reines et mâles sont alors produits pour multiplier la colonie à l’automne : accouplements et nouvelles reines fécondées qui deviendront fondatrices au printemps suivant. Une différence capitale réside dans le fait que les frelons asiatiques ont un cycle annuel plus long que leurs cousins européens, ce qui leur donne un avantage.
Outre l’aspect visuel qui distingue nettement les frelons européens et asiatiques, les deux espèces construisent des nids nettement différents. Le frelon européen préfère les espaces ombragés ou confinés (greniers, arbres creux…) et construit un nid plus petit que son cousin asiatique. Le frelon asiatique aurait quant à lui une préférence pour les sites exposés (en haut d’un arbre par exemple) et les nids sont jusqu’à trois fois plus peuplés que les nids du frelon européen. Il s’agit là des grandes tendances observées.
Compétition interspéciste ?
Des chercheurs italiens1 ont publié en 2018 les résultats d’une étude sur la compétition entre les deux espèces de frelon. Les recherches ont été effectuées dans des conditions contrôlées en laboratoire. Deux paramètres sont pris en compte dans le cadre de l’évaluation de cette compétition interspéciste : les sources de nourriture et la résistance aux agents pathogènes. Des tests individuels de préférence alimentaire ont été réalisés pour déterminer les choix des ouvrières testées et des tests d’immunité ont permis d’évaluer la résistance des ouvrières aux agents pathogènes.
Compétition alimentaire ?
Pour évaluer les préférences et les comportements alimentaires des deux espèces de frelons, les chercheurs ont testé un panel de 123 frelons asiatiques et de 118 frelons européens auxquels ils ont présenté des échantillons de nourriture après les avoir fait jeûner une heure avant le début du test. Chaque insecte testé a ensuite été placé dans une cage d’alimentation avec une période d’acclimatation de 10 minutes avant le début des tests. Cela a permis d’évaluer l’audace des ouvrières de Vespa velutina et de Vespa crabro, évaluation qui est à l’avantage du frelon asiatique. Ensuite, des sources de nourriture différentes ont été présentées aux frelons en cage : trois essais avec des appâts protéinés et un essai avec des appâts sucrés. Chaque ouvrière n’a été utilisée que pour un seul test. Les chercheurs ont évalué la préférence des frelons face à plusieurs alternatives alimentaires :
- Butineuses d’abeilles mellifères (Apis mellifera) versus viande hâchée versus thon en boîte ;
- Butineuses d’abeilles mellifères (Apis mellifera) versus guêpes polistes (Polistes dominula) ;
- Viande hâchée versus thon en boîte ;
- Miel versus sucre (saccharose et sirop de maïs - 3/1) versus raisin.
Les proies (Apis mellifera et Polistes dominula) ont été, dans les deux cas, préalablement tuées par congélation. Les tests ont eu lieu entre 11 heures et 15 heures. Le temps passé sur chaque offre de nourriture a été mesuré et sert à évaluer la préférence des ouvrières frelons testées.
Que disent les résultats ?
Les résultats de cette recherche ne mettent pas en avant de différences significatives dans les préférences alimentaires de Vespa crabro et Vespa velutina. Les deux espèces préfèrent les butineuses à la viande hachée et au thon en boîte et préfèrent consommer les abeilles plutôt que les guêpes. Rappelons que nous sommes dans des conditions de laboratoire ce qui signifie que l’on ne tient pas compte de la diversité de l’offre alimentaire dans le milieu naturel, pas plus que des techniques de chasse. Selon les entomologistes français Quentin Rome et Claire Villemant du Museum d’Histoire Naturelle, Vespa velutina ne se limite pas aux abeilles et s’attaque intensément à divers insectes et araignées en pleine saison3. Il montre une préférence pour les abeilles mellifères (37%), puis les guêpes communes (18 %) et d’autres pollinisateurs tels que les syrphes (Syrphidae) et les diptères nécrophages (moucherons et mouches domestiques : Calliphoridae, Muscidae) (34 %). Le frelon asiatique a donc un impact évident sur les abeilles mais il constitue également une menace pour les espèces d‘insectes sauvages. Rappelons que les colonies les plus peuplées peuvent produire jusqu‘à 10.000 individus par saison3. Autre point important à préciser : les cycles circadiens des deux espèces diffèrent : Vespa velutina est diurne, tandis que Vespa crabro est diurne avec une période d’activité crépusculaire4. Quant aux techniques de chasse, elles sont bien différentes. Le frelon européen fait quelques prélèvements de butineuses et chasse seul. Son activité de prédation est nettement plus faible que celle du frelon asiatique qui chasse en groupe et exerce une pression sur les colonies d’abeilles au point de créer un stress important potentiellement mortel. Une récente étude5 apporte la preuve que les frelons asiatiques affectent la dynamique des colonies d‘abeilles mellifères et leur survie en hiver. La paralysie qui affecte la proie (l’abeille) face au prédateur (le frelon asiatique) est un mécanisme important qui peut conduire à l‘effondrement des colonies d‘hiver. Cette même étude donne une série de conseils aux apiculteurs pour limiter l’impact du frelon asiatique tout en minimisant l’impact sur l’entomofaune locale, frelon européen y compris (voir encadré).
Quid de la résistance aux infections ?
Les chercheurs italiens ont injecté la bactérie Escherichia coli, un déclencheur immunitaire couramment utilisé pour tester l‘activité antibactérienne chez les insectes. Les ouvrières infectées de Vespa velutina et Vespa crabro ont présenté des réponses très différentes à l’infection. Les ouvrières de Vespa crabro ont présenté une réponse antibactérienne (clairance bactérienne) nettement plus élevée que les ouvrières de Vespa velutina. En d’autres termes, le frelon asiatique aurait une immunocompétence plus faible que le frelon européen, ce qui pourrait s’expliquer par un plus haut degré de consanguinité. Un système immunitaire moins couteux permettrait au frelon européen d’avoir une plus faible demande en énergie et donc en glucides. Malgré cet avantage aux frelons européens, la conclusion de l’étude italienne va dans le sens d’une compétition entre les deux espèces de frelons favorable au frelon asiatique c’est-à-dire à l’espèce invasive.
Recommandations pour atténuer le risque de mortalité des colonies
suite à la pression du frelon asiatique (Requier, Fabrice, et al.)
Mauvaise nouvelle pour commencer : plusieurs spécialistes des guêpes sociales invasives s’accordent à dire que localiser et détruire les nids et piéger les frelons asiatiques ne seront pas des actions suffisantes pour réduire durablement les populations (Beggs et al. 2011 ; Turchi et Derijard 2018). Sans parler des dommages collatéraux provoquées par les pièges non spécifiques sur de nombreuses espèces d’insectes (Rome et al. 2011). Il faudra donc apprendre à vivre avec le frelon asiatique.
Que peut faire l’apiculteur ?
- Piéger en automne à l‘intérieur du rucher peut être envisagé avec prudence.
- Renforcer la population des colonies d‘abeilles plutôt que contrôler les charges de frelons autour des ruches.
- Contrôler les charges de frelons asiatiques autour des ruchers et agir
en conséquence : - Faibles charges en frelons : Donner aux colonies une alimentation complémentaire à base de pain d’abeille (mélange de pollen et de miel) pour pallier au manque de stockage de pollen et à la diminution subséquente de la production de larves qui conduit à un affaiblissement des colonies.
- Fortes charges en frelons : Les abeilles développent un comportement de défense inadapté qui conduit à une paralysie alimentaire de la colonie et à un risque d’effondrement lié à la consommation des stocks prévus pour l’hivernage. Une alimentation supplémentaire pendant les périodes de pré-hivernage ou d‘hivernage et après les périodes d’activité des frelons peut aider les colonies à reconstituer les réserves. Placer des muselières aux entrées de ruches ou placer des protections grillagées autour des ruchers couverts réduit l’impact de la présence des frelons et peut éviter les dérives comportementales des abeilles et ainsi éviter la paralysie du butinage et, plus tard en hiver, la perturbation de la thermorégulation des colonies.
Des nichoirs à frelons européens dans les ruchers !
Sur le terrain, certains apiculteurs6 font des constats empiriques qui ne sont pas validés par la science à ce jour. En Allemagne et en France, certains apiculteurs favorisent l’installation des frelons européens aux abords des ruchers en plaçant des nichoirs7 à une dizaine de mètres des ruches8. Cela peut paraître dangereux pour les colonies au premier abord. Les apiculteurs concernés y voient néanmoins plusieurs intérêts. Tout d’abord, l’activité crépusculaire du frelon européen le conduirait à consommer les papillons de la fausse teigne (Galleria mellonella). Par ailleurs, selon leurs observations, le frelon asiatique aurait tendance à éviter le terrain de chasse du frelon européen (environ 1500 mètres autour du nid). Les apiculteurs qui favorisent l’installation du frelon européen ne remarquent pas de nuisances particulières dans les ruchers et estiment que les frelons européens ne font qu’un prélèvement de 1 % des ouvrières. Rappelons qu’il s’agit d’un prédateur naturel d’Apis mellifera. Ce ne sont, encore une fois, que des constations empiriques qui ont le mérite de prendre en considération l’utilité de Vespa crabro dans l’écosystème. L’espère est protégée en Allemagne depuis 1987 et les nids déplacés (et pas détruits) lorsqu’ils se trouvent dans des endroits jugés dangereux. Favoriser l’installation du frelon européen pour éloigner le frelon asiatique n’est pour l’instant qu’une théorie qui n’est pas confirmée à grande échelle. Les pièges semblent avoir la préférence des apiculteurs. Il est certain que le piégeage massif et non sélectif du frelon asiatique peut avoir des répercussions sur les populations de frelons européens et il est important de préserver ce prédateur autochtone qui est un puissant régulateur du milieu. Pour l’instant, les pièges ne l’épargnent pas et font avec lui d’autres victimes parmi les insectes non cibles.
Les conseils du…. Museum National d’Histoire Naturelle (France) : http://frelonasiatique.mnhn.fr/lutte/
Références :
- 1. Cini, Alessandro, et al. « Competition between the native and the introduced hornets Vespa crabro and Vespa velutina : a comparison of potentially relevant life-history traits. » Ecological entomology 43.3 (2018) : 351-362.
- 2. Villemant, Claire, et al. « Bilan des travaux (MNHN et IRBI) sur l’invasion en France de Vespa velutina, le frelon asiatique prédateur d’abeilles. » Proceedings of the Journée Scientifique Apicole–11 February (2011) : 3-12.
- 3. Rome, Quentin, et al. « Monitoring and control modalities of a honeybee predator, the yellow-legged hornet Vespa velutina nigrithorax (Hymenoptera : Vespidae). » Aliens 31.31 (2011) : 7-15.
- 4. Matsuura, Makoto, and Seiki Yamane. Biology of the vespine wasps. Springer Verlag, 1990.
- 5. Requier, Fabrice, et al. « Predation of the invasive Asian hornet affects foraging activity and survival probability of honey bees in Western Europe. » Journal of Pest Science 92.2 (2019) : 567-578.