Les pesticides
Pas beaucoup de nouveautés concernant les grandes menaces chimiques qui pèsent sur la santé des colonies. Le résultat des études sur les effets sublétaux de différents insecticides, herbicides et fongicides a formé un discours cohérent qui n’étonne plus grand monde. Un tel consensus autour de la responsabilité des pesticides paraîtrait presque suspect… Est-on déjà entré dans une nouvelle ère de produits phytosanitaires ?
Les ravageurs, les parasites et les pathogènes
La question de la sélection d’une abeille résistante à varroa est au centre des recherches de nombreux grands labos à travers le monde. La compréhension des mécanismes du comportement VSH fait ainsi de nets progrès. On semble se diriger vers le développement de méthodes de phénotypage des colonies pour le caractère VSH. Un des grands acteurs dans le domaine, l’USDA-ARS de Baton Rouge (USA), a présenté ses résultats et ses perspectives de recherche. Partant du principe que Varroa destructor est la principale menace pour la santé des abeilles mellifères (en grande partie à cause des virus véhiculés par les acariens lors de l‘alimentation et pendant la reproduction et le développement des pupes d‘abeilles) une étude spécifique du virus des ailes déformées (DWV) a été envisagé en regard des pertes de colonies. L’étude s’est focalisée sur le niveau d’infestation de varroas associé à la prévalence virale. Il a été noté que les colonies qui ont des mécanismes de résistance naturels contre varroa ont moins de risques d’être infectées par le DWV. Dans d’autres colonies, la résistance aux acariens semble être corrélée à la tolérance au DWV, ce qui signifie que les colonies résistantes aux acariens survivent avec des niveaux élevés de DWV et présentent moins de symptômes. Des tests ont déterminé si la résistance (maintenir des titres viraux bas malgré l‘infection) ou la tolérance (survie élevée, aucun symptôme associé à un virus élevé) au DWV semble être à l‘origine de ces effets différentiels. Les résultats suggèrent que la tolérance pourrait être le facteur principal expliquant les différences génotypiques de susceptibilité et de développement de symptômes chez les nymphes. Des tests de sensibilité virale pourraient ainsi être utiles pour les programmes de sélection. Par ailleurs, l’équipe de chercheurs de Baton Rouge a présenté son programme de sélection d’une abeille au comportement hygiénique pour les 3 à 5 ans à venir. Il inclut l’utilisation de nouveaux tests chimiques, une sélection sur de fortes récoltes de propolis (immunité sociale) et le faible développement de varroas au cours de la saison apicole. Les chercheurs vont combiner insémination instrumentale et accouplement naturel dans ce programme d’élevage.
En dehors des outils pour la quête de l’abeille VSH, les recherches touchent à beaucoup de domaines et mériteraient sans doute un plus long développement. Nous ne pouvons pas être exhaustifs ici mais citons une étude canadienne de l’Université de Winnipeg qui a identifié les virus communément transmis aux colonies par la cire. Elle suggère que l’irradiation par faisceau électronique des cadres réduisait les niveaux détectables de virus transmis par la cire et aurait également une influence sur les niveaux de virus des abeilles sur ces cadres.
L’apiculture sans traitement
Alors qu’on était en droit de se demander si l’apiculture en Amérique du Nord se résumait vraiment à un modèle démesuré, productiviste et centré sur la réussite économique au détriment de toute valeur, Kirk Webster (https://kirkwebster.com) a présenté son travail d’apiculteur professionnel dans une région du nord-est des États-Unis, Champlain Valley. Kirk Webster ne traite plus ses ruches depuis 20 ans. Il a été fortement influencé dans cette décision par les pionniers de l’agriculture bio anglo-saxons. Il a réussi à maintenir ses objectifs de productivité et de rentabilité en épargnant à ses colonies des traitements que d’aucuns s’accordent à dire qu’ils sont un mal nécessaire. Quand on analyse son expérience, on se rend compte que plusieurs paramètres peuvent expliquer son succès :
- Il est auto-suffisant grâce à son élevage de reines (sélection naturelle) et peut renouveler ses colonies et combler ses pertes sans acheter de matériel génétique ;
- Il élève ses abeilles dans une région de production laitière dont l’environnement n’est pas soumis à l’appauvrissement des ressources et aux empoisonnements phytosanitaires ;
- Il ne pratique pas la transhumance et la pollinisation des grandes cultures malgré le profit qu’il pourrait en tirer.
Lui-même met sa réussite sur le compte d’autres facteurs :
- L’hivernage des colonies à l’extérieur ;
- Acarapis woodi arrivé avant varroa dans sa région et responsable d’une pré-sélection pour la résistance des colonies ;
- L’introduction de l’abeille de Primorski en Amérique du Nord et sa plus grande tolérance au varroa.
L’exemple de Kirk Webster contredit tout à fait l’opinion de Peter Rozenkranz, biologiste à l’Université de Hohenheim (Stuttgart), qui considère l’apiculture sans traitement comme une quasi utopie pour les simples raisons qu’elle demande de plus petits ruchers, peu de transhumance, des apiculteurs bien formés et surtout très motivés qui acceptent de perdre des colonies. Le chercheur allemand considère surtout que ne pas traiter est incompatible avec une apiculture commerciale. Et de repréciser son point de vue sur l’apiculture qui inclut et requiert la manipulation de colonies et la responsabilité de l’apiculteur en matière de soin aux colonies (nourrissements selon les besoins et traitements contre les maladies). Pour lui, les tendances actuelles dans la lutte contre varroa correspondent aux variations suivantes :
- De meilleurs traitements (nouvelles molécules, plus efficaces, faciles à appliquer…) ;
- Une sélection pour la résistance/la tolérance ;
- La sélection naturelle d’abeilles résistantes ;
- Une apiculture plus naturelle ;
- Une apiculture sans traitement (qui passe par la sélection d’abeilles résistantes) ;
- Une apiculture sans traitement non interventionniste.
Selon Peter Rozenkranz, « nous avons besoin de sélection naturelle mais cela dépend fortement du contexte. Au Brésil, 90 % des abeilles férales sont résistantes mais les colonies gérées doivent être traitées parce qu’il y a d’autres apiculteurs dans le coin. » La densité des ruchers interdit tout programme d’élevage sans traitement. Si le contexte est très naturel, on peut plus facilement obtenir une sélection naturelle d’abeilles résistantes. Le chercheur doute par ailleurs de l’absence de conséquences d’une sélection artificielle d’abeille VSH (perte de certains gènes). Comme l’a rappelé John Kefuss, grande figure de la sélection depuis les années 90, trois paramètres sont essentiels pour une sélection de la résistance :
- 1 Ne pas être pressé : les résultats s’obtiennent à long terme ;
- 2 Laisser la sélection naturelle opérer pour préserver la diversité génétique et maintenir la pression des acariens ;
- 3 Calculer les coûts économiques (traitements versus sélection naturelle).
La protection des pollinisateurs dans les systèmes agricoles
La question de l’importance des pollinisateurs en zone de production et la nécessité de leur protection n’a jamais été remise en question dans les présentations. Va-t-on pour autant jusqu’au bout dans l’application des changements nécessaires ? La tendance est nettement orientée vers des guides de bonnes pratiques pour les agriculteurs, vers une révision des modèles écologiques en milieu agricole et vers l’intervention de sociologues pour mieux accompagner des changements de pratiques agricoles importants. Naturellement, la notion de protection des pollinisateurs repose moins sur une démarche écologique et éthique que sur la question du maintien du profit. La révision des habitats agricoles et de certains modes de production vise à développer les rendements ou du moins à les maintenir. La santé des abeilles rencontre là des questions agronomiques, économiques, sociales et environnementales. La recomposition des paysages agricoles, la réintroduction d’habitats naturels et d’une variété florale tout au long de l’année en marge de parcelles cultivées (y compris dans des grandes productions comme les amandiers) ainsi que la présence bénéfique des arbres sous la forme de haies et de forêts sont des paramètres déterminants pour préserver la santé des abeilles, la biodiversité des pollinisateurs et accroître la production agricole avec un objectif de qualité. C’est évidemment un tournant important pour les agriculteurs, changement qui nécessite un accompagnement (information, mise en situation, formation, plateformes d’échanges et de conseil, prise en considération des réalités de terrain, démonstration de l’efficacité des nouvelles méthodes agronomiques, incitants financiers pour faire des agriculteurs des acteurs motivés…). Quant à la question de l’utilisation des pesticides, on n’en est pas au stade de la remise en question mais plutôt de l’utilisation raisonnée en informant les apiculteurs des périodes de traitements et en pleine conscience des risques encourus par les colonies, ce qui implique l’intégration de mesures de précautions spécifiques.