On peut naturellement s’interroger sur l’origine de ce nombre, mais il semble plus important de voir s’il est vraiment possible de fixer un seuil de professionnalisation de l’apiculture dans les différents pays européens et si oui, d’avoir une approche la plus réaliste possible. Il semble illusoire de fixer un seuil unique car une grande diversité existe en fonction des Etats membres. C’est ce que nous allons analyser dans cet article.
Qu’est ce qu’un apiculteur professionnel ?
Cette question aussi simple soit-elle sou lève de nombreux débats et peut arriver à diviser le monde apicole si elle n’est pas bien gérée. Dans les autres filières agricoles, aucun seuil n’est défini pour être considéré comme un agriculteur ou un éleveur. En fonction de chaque état membre, vous aurez des seuils et des critères spécifiques pour avoir accès à certaines aides économiques lors de l’installation ou pour avoir accès aux fonds d’investissement.
Aujourd’hui, même la Commission reconnait qu’il ne faut plus lier le seuil de professionnalisme aux 150 ruches. Il est juste là pour avoir une idée et pour comparer la structure des exploitations dans les différents états membres.
Comme nous le savons tous, le nombre d’unités de production (colonies d’abeilles) fluctue beaucoup plus au fil des années, que dans d’autres élevages. Les raisons de cette différence sont multiples : pertes hivernales, gestion en parallèle de ruchettes pour le renforce ment, essaimage…
La Commission demande de transmettre le nombre de colonies à l’hivernage. Ce chiffre reprend donc non seulement les colonies de production mais également les colonies de réserve et les colonies dédiées à la reproduction.
Dans tous les secteurs, on peut considérer qu’on devient professionnel dès qu’on tire une partie significative de ses revenus d’une activité pour autant que celle-ci effectuée à temps plein génère un salaire minimum viable. On peut ainsi fixer un niveau d’activités qui permet à une personne d’en vivre. Pour prendre une base commune à pratiquement tous les pays européens, on peut se baser sur le salaire minimum garanti (SMIG). Seuls 6 pays (Italie, Danemark, Chypre, Autriche, Suède, Finlande) n’ont pas défini de salaire minimum, mais pour les autres, nous allons pouvoir établir des comparaisons. La carte 1 présente les différents niveaux du SMIG dans l’Union européenne.
Le miel source de revenus
Comme le miel constitue la principale source de revenus, et que c’est égale ment le seul produit pour lequel nous disposons d’informations chiffrées au niveau européen, c’est sur cette base que nous allons établir un seuil de rentabilité pour l’apiculture dans les différents états membres. Nous allons utiliser les données recueillies par la Commission lors du lancement du dernier programme de soutien de l’apiculture. Ces données ont été transmise à la Commission par les différents états membres.
Pour le rendement par ruche, nous pouvons soit travailler sur la production nationale divisée par le nombre de colonies du pays, soit utiliser le chiffre transmis par les différents pays comme étant la production moyenne par ruche. Ces chiffres peuvent différer assez forte ment pour certains états membres (voir tableau). Nous prendrons les données de production moyenne transmises par les pays qui nous semblent plus réalistes et qui sont probablement calculées sur base de plusieurs années. Dans cet article, nous allons également travailler sur les prix de vente au détail. Il reste un autre élément important qui est le coût moyen annuel d’une ruche calculé par les états membres.
Sur base de tout cela, on peut calculer le revenu moyen à la ruche dans chacun des états membres de l’UE.
Revenu à la ruche = (production à la ruche X prix de vente par kg) - coût moyen d’une ruche
Il est alors possible d’obtenir un nombre théorique minimum de ruches que l’on doit gérer pour pouvoir commencer à vivre de son activité, en divisant le SMIG annuel par le revenu à la ruche. Les résultats sont présentés dans le tableau ainsi que la carte 2. Au niveau européen, la moyenne du nombre de ruches correspondant au SMIG est de 225 ruches et en Belgique, elle est de 185, ce qui est proche de la France (179) ou de l’Allemagne (175). Les écarts peuvent être très importants. Les chiffres vont de 61 ruches en Estonie à 390 en Espagne.
Les différences viennent en partie de la gestion fort différente du cheptel. Ainsi, la notion de ruche de production n’aura pas la même signification dans le nord, le centre ou le sud de l’Europe. Dans le nord (Suède, Finlande, pays baltes), une colonie de production va produire plus de 50 kg et même 80 kg alors que dans le centre de l’Europe on oscillera autour des 20 – 25 kg et en Espagne, une petite ruche Layens produira autour de 15 kg.
Sur base de ce principe de calcul assez simple, chacun peut aussi avoir une idée de son niveau de professionnalisation. Il suffit de reprendre le calcul ci-dessus avec vos données personnelles et vous aurez une idée du nombre de ruches qui vous permettraient de devenir professionnel.
Des paramètres importants
Le travail nécessite certaines améliorations si l’on veut utiliser ce type de données. Ainsi, les chiffres de production devraient être des moyennes (idéalement sur 5 ans) pour l’ensemble du cheptel car cette production va fluctuer de façon importante au fil des ans. Globalement on peut s’attendre à des varia tions allant de 1 à 3 en fonction des années. Par contre les prix doivent être les plus récents.
Le seuil de professionnalisme va dépendre du type de circuit de vente de miel utilisé. Les différences entre le circuit de gros et la vente au détail devient de plus en plus importantes. En Espagne, où la vente en gros est pratiquement un passage obligé, le revenu à la ruche chute alors à 10,2 € (chute du prix de vente de 4,85 € à 3,5 €) ce qui veut dire qu’il faut plus de 1000 colonies pour vivre à temps plein de cette activité. Cela correspond assez bien à ce qui s’y passe. Une aide de quelques euros à la ruche peut permettre le développement rapide du secteur. C’est ce qui a été observé avec les aides environnementales en Andalousie. A contrario, une diminution des prix de 0,50 € peut mettre en faillite de nombreuses exploitations. Il faudrait alors théoriquement plus de 2500 ruches pour survivre ce qui est humainement irréaliste.
Les autres produits de la ruche
Si la production de miel représente le produit principal, certains apiculteurs diversifient leurs produits. On peut prendre un producteur de pollen en Roumanie qui peut vendre du pollen à 18 €/ kg et dont la production est de l’ordre de 7 kg par an (coût de production du pollen à la ruche de 4 €/kg) et de miel de 10,5 kg (perte de 50 % de rende ment). La rentabilité d’une ruche est de 23 ,6 € avec le miel et de 98 € avec le pollen. Un nombre de 40 ruches lui permet de vivre par rapport aux 104 ne produisant que du miel.
Cet exemple met en évidence l’impor tance de la diversification pour la survie des exploitations. Il est clair qu’en fonc tion du type de production le seuil de professionnalisation va donc complète ment évoluer.
A l’avenir si l’on veut vraiment évaluer les capacités de professionnalisation de l’apiculture, des données complémen taires devraient être récoltées au niveau européen sur d’autres produits de la ruche (gelée royale, pollen, propolis…), la vente de matériel biologique (essaims, reines) ou les services de pollinisation. C’est essentiel si l’on veut mettre en place une politique de diversification.
Il serait très utile de mieux cerner l’api culture professionnelle en Europe car elle constitue un réel moteur de développement et pourrait constituer une source de revenus importante pour bon nombre d’apiculteurs.