Produire du pain d’abeille

Agnès Fayet

Le pain d’abeille est un produit de la ruche qui suscite un intérêt commercial croissant en raison de sa haute valeur nutritionnelle, de sa digestibilité et de sa richesse en composés bioactifs.

Le pain d’abeille peut constituer une piste de diversification intéressante, même si les consommateurs (et les apiculteurs) d’Europe occidentale sont encore peu habitués à ce produit.

Qu’est-ce que le pain d’abeille ?

On appelle « pain d’abeille » le pollen stocké par les abeilles qui a été trans- formé par leurs enzymes digestives, l’ac- tivité de bactéries, de lactobacillus et de levures. Le pollen est tassé de la tête par les ouvrières et l’ensemble est recouvert d’une fine pellicule de miel qui stoppe l’oxygène et lance la fermentation bac- térienne. Il faut deux semaines pour que le pain d’abeille soit achevé. Il faut donc deux semaines pour que ce produit puisse être appelé « pain d’abeille ».

Production pain d'abeille
Production pain d’abeille

Intérêt économique

Il existe très peu d’études sur le pain d’abeille et encore moins sur sa valeur économique. Une étude polonaise a été publiée en 2021 à ce propos. L’analyse a porté sur un rucher de 28 colonies pendant 3 ans. Les rayons de pain d’abeille ont été retirés des colonies à la fin du mois de juin, après le développement printanier et au moment du développe- ment optimal des colonies. Les abeilles étaient des colonies d’Apis mellifera caucasica. Le rucher a transhumé pour augmenter la production. Il s’agissait d’évaluer l’efficacité économique de la production de pain d’abeille ainsi que de déterminer une échelle de production.

En moyenne, la production s’est élevée à 0,7 kg (de 0,51 à 1,23 kg par ruche), et l’ensemble du rucher a donné annuelle- ment 20 kg de pain d’abeille. Les coûts annuels liés à la production de paind’abeille se sont élevés à 679,50 euros, tandis que le revenu estimé des ventes s’élevait à 1110 euros. Ainsi, le bénéfice était de 430,50 euros, soit 21,50 euros pour 1 kg de pain d’abeille récolté. Les coûts les plus élevés sont liés à la main- d’œuvre et peuvent potentiellement constituer un facteur limitant le développement de la production pour certains apiculteurs.


Au rucher

Traditionnellement, les apiculteurs récoltent du pain d’abeille en utilisant des cadres bâtis vides après avoir vérifié qu’ils sont sains. Il est sans doute superflu de préciser qu’il vaut mieux que ces cadres aient été entièrement bâti par les abeilles, en référence aux problèmes non négligeables de contaminants dans les cires commerciales. Il est également inutile d’insister sur la nécessité de récolter pollen et donc pain d’abeille dans un environnement le plus possible pré- servé des sources de pollution. Respectant leurs caractéristiques biologiques, les abeilles déposent le pollen qui sera transformé en pain d’abeille à proximité du couvain ouvert, sur le côté et directement en dessous. Cette information permet de comprendre que la récolte de pain d’abeille se fera en soit en plaçant un cadre directement après le nid à couvain latéralement, soit dans une hausse ou un élément de ruche divisible en dessous du nid à couvain. Une grille à reine évitera que la reine ne ponde dans les cadres de récolte. En cas de récolte « latérale », il est important de toujours bien vérifier que la reine ait l’espace suffisant pour pondre.

La récolte dans un élément en dessous du corps modère cette préoccupation. L’utilisation de ruches divisibles facilite beaucoup la récolte de pain d’abeille. Dès que la génération d’abeilles d’hiver est remplacée par les abeilles de printemps, un corps de ruche est installé en dessous de l’élément contenant le nid à couvain. Une grille à reine sépare les deux éléments. Au-dessus de l’élément avec le nid à couvain, une autre grille à reine sera placée pour la récolte de miel.

Il est ainsi possible de cumuler les deux récoltes, la récolte de pollen et donc de pain d’abeille étant indépendante des miellées. C’est ce que font les apiculteurs de la partie orientale du continent européen qui produisent abondamment du pain d’abeille, super-aliment reconnu par les consommateurs locaux. Une fois l’élément bas rempli de pain d’abeille, il est remplacé par un autre avec des cadres bâtis vides. L’élément plein de pain d’abeille peut être soit retiré pour être récolté, soit placé au-dessus de l’élément contenant le couvain, dans la partie « miel » de la ruche. La conservation de la récolte est ainsi assurée par les abeilles.

En Russie, les apiculteurs utilisent le pain d’abeille qu’ils récoltent pour produire une pâte à tartiner faite de miel et pain d’abeille. Les brèches de pain d’abeille sont passées dans une sorte de moulin de type hachoir à viande avec des brèches de miel. L’ensemble constitue cette pâte à tartiner très appréciée des consommateurs. Le produit se conserve sans problème à température ambiante. Les apiculteurs résolvent ainsi le problème de stockage et tout à la fois la question de la surgélation qui n’est pas forcément un idéal pour la conservation de toutes les propriétés du produit. Ce produit constitue un revenu complémentaire non négligeable pour les apiculteurs.


Il est recommandé de récolter les rayons de pain d’abeille dans des conditions environnementales favorables à des périodes de l’année apicole où la récolte ne nuira pas à la dynamique de la colonie. C’est le cas au printemps, au moment des grosses entrées de pollen et éventuellement pendant la première moitié de l’été si les ruches sont dans des conditions leur permettant un large apport pour les réserves d’hiver qui se préparent à cette période. Dans la pratique, de nombreux apiculteurs conditionnent le pain d’abeille après la récolte d’été, quand leur activité est décroissante.

Méthodes de récolte

Une étude russe a présenté l’efficacité de méthodes de récolte en fonction de critères de productivité et de conservation des nutriments et des vitamines dans le produit final (acides aminés, protéines, acide folique, vitamines B et C). Il existe plusieurs technologies connues pour séparer le pain d’abeille de la cire : trempage dans l’eau, extraction manuelle par vibration puis séchage ; séchage et séparation des granulés par séchage sous vide ; séchage, congélation, segmentation et filtrage des particules de cire. Certaines méthodes peuvent comporter de sérieux inconvénients comme le trempage dans l’eau qui provoque des pertes considérables de nutriments et est forte- ment déconseillée. D’autres méthodes nécessitent un travail manuel non négligeable. Il est important de juger de sa propre capacité d’investissement en termes de temps ou d’équipement pour réaliser les trois opérations majeures de la récolte de pain d’abeille c’est-à-dire la segmentation, la filtration et le séchage.


Méthode déconseillée : trempage dans l’eau et extraction manuelle par centrifugation suivi de séchage. On trempe les cadres dans l’eau pendant une journée avant centrifugation. On obtient une solution de pain d’abeille qui est filtrée mécaniquement pour être débarrassée des impuretés. L’eau est ensuite évacuée du précipité et le pain d’abeilles humide est séché dans des casiers spéciaux. Le pain d’abeille ainsi obtenu perd 60 % de ses propriétés. Il a très peu de valeur en apithérapie. Les principaux inconvénients de la méthode sont l’importante perte de nutriments et les nombreuses manipulations manuelles. Elle est déconseillée.

Méthode industrielle : séchage, réfrigération, segmentation, filtration des particules de cire et désinfection. Cette méthode permet la mise en place d’une mécanisation de la chaîne de production. Les rayons contenant le pain d’abeille sont séchés à 40° pendant 8 à 10 heures jusqu’à atteindre une humidité relative de 15 %. S’en suit un séchage sous vide pendant 5 à 7 heures à 40°. L’humidité relative chute à 10 %. Cette opération rigidifie le pain d’abeille et diminue la quantité de déchets durant la phase de broyage. La substance séchée est refroidie jusqu’à -1°С, puis est broyée dans une machine avec des intervalles de broyage de 4,9 à 5 mm, ce qui permet une fraction complète. La substance fragmentée est ensuite filtrée dans une machine de nettoyage avec un débit d’air de 7,5 à 8 m/s, un diamètre de cellule filtrante de 2,6 mm. Toutes les particules de cire sont éliminées au cours du processus et le pain d’abeilles obtenu est ensuite désinfecté (rayons gamma et mélange gazeux d’oxyde d’éthylène et de méthylène).

Méthode à grande échelle : congélation, broyage, filtration par air et séchage Les cadres de pain d’abeilles sont congelés à une température de -18 à -20°C pendant une période d’au moins 16 heures. Les brèches de pain d’abeille sont séparées du cadre puis broyées dans un moulin spécialisé. La masse obtenue est ventilée dans des compartiments à air pour séparer le pain d’abeille de la cire. On peut utiliser des appareils comme la machine à récolter le pain d’abeille des lituaniens Wilara par exemple. La machine comprend deux collecteurs en plastique : un petit pour le pain d’abeille et un grand pour la cire. Un ventilateur produit l’air qui va séparer les particules de cire des granulés de pain d’abeille. Un filtre avec un tamis en nylon est placé sur le collecteur de cire pour éviter la dispersion de la poussière de cire. La machine (840 x 430 x 930 mm) a la capacité de produire 100 kg/heure. Son prix n’est hélas pas abordable pour tous les apiculteurs. Une fois broyé et filtré, les granulés de pain d’abeille sont séchés pendant 2 ou 3 jours dans un séchoir à une température de 40° maximum.

Méthode à petite échelle : congélation, broyage et filtration par tamis. Le principe est équivalent à la méthode précédente mais on utilise un moulin « de table » pour broyer les brèches de pain d’abeille surgelées. Un tamisage manuel permet de séparer mécanique- ment la poussière de cire des granulés de pain d’abeille. Cet appareil permet d’envisager de petites productions.

Quel que soit la méthode employée, certaines précautions doivent être prises au préalable :
• Le nectar sera supprimé des cadres avant l’extraction du pain d’abeille ;
• Les cadres sélectionnés ne présenteront aucun signe de moisissure ou de présence de teigne ;
• Le séchage des cadres ne dépassera pas une température de 40°C ;
• L’humidité relative du pain d’abeille séché ne dépassera pas 14 -15 % ;
• Le refroidissement du pain d’abeille se fera dans un réfrigérateur à une température de 0 ± 2 ° C pendant 30 à 50 minutes ;
• La ventilation de l’air se fera à une vitesse de 7,8 à 8,1 m/s pour contribuer à réduire les impuretés de cire dans le pain d’abeille jusqu’à 2 %.


La conservation du pain d’abeille

La riche composition du pain d’abeille avec différents nutriments peut entraî- ner la croissance microbienne et la détérioration, en particulier lorsque les pratiques de manipulation ne sont pas appropriées.
Une étude récente (Smati,2022) aborde l’impact de différentes méthodes de conservation - congélation, température ambiante, séchage à 30 °C et lyophilisation - sur les caractéristiques physico-chimiques et la stabilité microbienne du pain d’abeille, pendant une période de stockage de six mois. En ce qui concerne le nombre de levures, les échantillons séchés au four et les échantillons à température ambiante ont enregistré une réduction significative tout au long du stockage, tandis que les échantillons congelés sont restés stables pendant toute la période de stockage. Les échantillons lyophilisés ont montré une diminution significative au cours du premier mois de stockage et ont continué dans une tendance stable jusqu’au sixième mois.

Les levures présentes dans les aliments sont généralement associées à des processus de fermentation, de sorte que leur contrôle tout au long du stockage est obligatoire pour maintenir la qualité commerciale du produit. Les résultats de l’étude montrent que tous les traitements sont adéquats pour contrôler le développement des levures, mais le séchage en étuve et le simple stockage à température ambiante semblent être les meilleures conditions de traitement pour le stockage, puisqu’ils induisent une réduction significative de ces micro-organismes.

Concernant l’impact des méthodes de conservation sur la stabilité microbienne du pain d’abeille, l’étude a montré que toutes les techniques utilisées ont un impact différent sur la stabilité du pain d’abeille. Les échantillons congelés ont enregistré les valeurs les plus élevées de charges microbiennes. La congélation et la lyophilisation n’ont pas été jugées efficaces pour maintenir la qualité microbienne du pain d’abeille. Le séchage à l’étuve et le stockage à température ambiante ont montré les meilleurs résultats.

En conclusion, le séchage et le stockage à température ambiante sont les méthodes les plus adéquates en termes de stabilité microbienne pour une période de conservation de six mois. Ainsi, si l’on prend en compte la stabilité physico-chimique et microbienne du pain d’abeille, et les coûts de la dépense énergétique, un stockage à température ambiante sans l’application d’aucune technique de conservation semble être un bon moyen de conserver le pain d’abeille, et une alternative rentable aux techniques de séchage et de congélation couramment utilisées. D’autres études sont encore nécessaires pour étudier l’effet de différents niveaux de pH et l’activité de l’eau sur la stabilité du pain d’abeille non conditionné.

La production de pain d’abeille peut être une excellente manière de diversifier sa production et de gérer les risques liés à une mauvaise récolte de miel par exemple. Reste à se familiariser avec sa production, sa transformation et son stockage. Reste aussi à informer et séduire les consommateurs occidentaux.

Attention : ceci n’est pas du pain d’abeille !


Des chercheurs de l’Université nationale des sciences de la vie et de l’environnement ukrainienne de Kiev et de l’Institut de conservation de la biodiversité et de biosécurité de l’Université slovaque d’agriculture de Nitra ont mis en place une méthode et du matériel pour rationaliser la production d’un produit qui ne peut être considéré comme du « pain d’abeille » même si eux-mêmes le désignent comme tel. L’objectif est d’augmenter la productivité et de mécaniser le processus de récolte du produit en compressant du pollen et du miel dans des cadrons de récolte en plastique.
Ce dispositif fait disparaître un élément essentiel : l’activité des enzymes des abeilles. Les cadres de production artificiels sont laissés 3 jours dans la ruche ce qui est bien loin des 14 jours nécessaires à la maturation naturelle du pain d’abeille Pas de solution de facilité ! Ceci ne produit pas du pain d’abeille.

Références

  1. Campos, M., Frigerio, C., Lopes, J., & Bogdanov, S. (2010). What is the future of Bee–Pollen. Journal of ApiProduct and ApiMedical Science, 2(4), 131–144.
  2. Cristina Aosa, Pain d’abeilles naturel. Abeilles&Cie 166.
  3. https://www.cari.be/medias/abcie_articles/166_ apithe.pdf.
  4. Semkiw, P., & Skubida, P. (2021). Bee Bread Pro- duction—A New Source of Income for Beekeeping Farms ?. Agriculture, 11(6), 468.
  5. Akhmetova, R., Sibgatullin, J., Garmonov, S., & Akhmetova, L. (2012). Technology for extraction of bee-bread from the honeycomb. Procedia Enginee- ring, 42, 1822-1825.
  6. Smati, N. (2022). Bee bread preservation
  7. methods : physical, chemical and microbial stability throughout storage (Doctoral dissertation, Bra- gança, Université Libre de Tunis).