La scène du crime
Grâce à l‘inestimable collaboration des apiculteurs wallons participant bénévolement à l‘étude, les chercheurs ont d‘abord obtenu 60 échantillons de pollen de trappes collectés entre la fin-juillet et octobre de 2011. Il est à noter que cette période d’arrière-saison n‘est pas spécialement critique du point de vue des traitements phytosanitaires, la plupart de ceux-ci étant réalisés au printemps et début de l‘été. Afin de vérifier le niveau de contamination de ce pollen issu de 40 ruchers, les résidus de pesticides ont été analysés et parallèlement l’origine botanique a été déterminée. De plus, une description de l’occupation du sol autour de ces ruchers a été effectuée afin de mesurer le lien entre la présence d’une culture et la présence d’un résidu de pesticides dans le pollen collecté.
Les indices
Des pesticides ont été détectés dans les pelotes de pollen récoltées tard dans la saison. Les produits les plus fréquemment détectés étaient deux fongicides : le boscalide, le pyriméthanil, et le diméthoate, un insecticide.
D’autres substances ont été également détectées, mais moins fréquemment comme trois fongicides (trifloxystrobin, kresoxim-methyl, cyprodinil) et un néonicotinoïde (thiamethoxam) (figure 1). Il est à souligner que certains échantillons de pollen de trappe pouvaient contenir jusqu’à 5 résidus de pesticides différents.
Au niveau de la répartition géographique, il apparait que les ruchers au nord du sillon Sambre et Meuse sont plus fréquemment contaminés par le boscalide ou le diméthoate (figure 2) tandis que la contamination au pyriméthanil est localisée principalement en Hesbaye.
L‘analyse palynologique des pelotes de pollen a permis d’identifier l‘origine végétale du pollen (figure 3). Les pollens les plus fréquemment observés dans le réseau de 40 ruchers proviennent de brassicacées, de trèfles, d’astéracées, de pissenlit ainsi que de lierre et d’apiacées.
L’enquête
A l’instar d’enquêteurs, les chercheurs ont croisé les données de contaminations avec l‘origine botanique du pollen et l’occupation du sol dans un rayon de 3 km dans le but d’essayer de retrouver l‘origine des trois contaminations les plus fréquemment observées. La tâche n’a pas été aisée et plusieurs questions sont encore sans réponse.
1. Le boscalide
Le boscalide est un fongicide persistant et systémique utilisé dans de nombreuses cultures (grandes cultures, cultures maraîchères ou fruiticultures). L’analyse paysagère pratiquée sur l’ensemble des ruchers met en évidence un lien entre contamination du pollen au boscalide et betterave. Ce lien est surprenant, car le boscalide n’est pas agréé pour cette culture. Toutefois, il peut s’expliquer par les rotations pratiquées où l’on retrouve que la betterave côtoie d’autres cultures comme la pomme de terre ou les céréales sur lesquelles du boscalide peut être appliqué. Il faut dès lors se tourner vers l’analyse palynologique pour tenter de trouver une autre piste d’explication pour ces contaminations. Il apparaît que le pollen contaminé par le boscalide contenait principalement du pollen de phacélie et de rosacées. Cette contamination pourrait être donc liée à une dérive sur des bandes fleuries avec de la phacélie ou sur des ronces situées en bordure de champs. Vu la persistance dans le sol et la systémicité de ce fongicide, une autre voie d’explication serait la contamination des fleurs de CIPAN (cultures pièges à nitrate) comme la phacélie. Ces CIPAN ne piégeraient pas seulement les nitrates, mais également les résidus de pesticides accumulés dans le sol. Elles les mettraient alors à disposition des abeilles via le nectar et pollen lors de leur floraison. Afin de statuer sur cette voie de contamination, une étude est en cours dans le cadre de Bee Wallonie.
2. Le pyriméthanil
Tout comme le boscalide, le pyriméthanil est un fongicide systémique. Toutefois il est utilisé dans un nombre restreint de cultures principalement les cultures fruitières et horticoles. Dès lors, la présence de ces cultures dans l’environnement aurait dû permettre de prédire la contamination du pollen. Ce qui n’est pas le cas. Suite à l’analyse paysagère, il apparait que le meilleur prédicteur de contamination au pyriméthanil est la présence de colza dans l’environnement alors que ce produit n’est pas agréé pour cette culture. Cette analyse n’étant pas convaincante, nous avons regardé l’analyse pollinique en espérant qu’elle donne plus d‘information. Celle-ci révèle une plus forte abondance de pollen de brassicacées dans les pelotes contaminées. A cette époque de l’année, la floraison du colza est terminée depuis plusieurs semaines et par déduction, ce pollen ne peut venir que de brassicacées sauvages ou de moutarde implantée en CIPAN. Cependant vu sa persistance limitée dans le sol, il est peu plausible d’avoir une mobilisation des résidus par ce type de culture intermédiaire.
Nous n’avons donc toujours pas trouvé d’explication convaincante quant à l’origine de cette contamination. Nous restons avec plusieurs questions : est-ce que la source de la contamination aurait pu se situer dans un rayon supérieur à 3 km ? Est-ce que les déclarations d’occupation des terres sont exactes ? Est-ce qu’il aurait pu y avoir un usage illégal ? Est-ce que des légumineuses auraient été traitées (traitement autorisé) et qu’elles auraient été suivies par une culture piège à nitrates CIPAN ? Le crime n‘est toujours pas résolu.
3. Le diméthoate
Pour le diméhoate, nous avons à faire à un insecticide non persistant et systémique. La présence de cultures de céréales, de betteraves, de cultures de légumes, et plus généralement de grandes cultures, dans un rayon de 3 km explique le mieux la présence de ce résidu. Comme pour le boscalide, l’analyse paysagère ne permet pas d’identifier une seule piste de contamination. Toutefois, vu la faible persistance de cet insecticide dans l’environnement et sur les plantes, la contamination n’a pu avoir lieu qu’au moment de la collecte du pollen par les abeilles. En analysant les pratiques agricoles, il apparait que seule la lutte contre la mouche pourrait expliquer une application tardive de cet insecticide. Il est dès lors fort probable que lors des pulvérisations avec cet insecticide, une partie du traitement aurait pu dériver en bordure de champs et ainsi contaminer le pollen de phacélie et de vesce, pollens les plus fréquemment identifiés dans les échantillons contaminés par cette substance. Ce scénario n’est pas irréaliste comme le montre cette photo de cultures attractives pour les abeilles à proximité d’un champ de carotte fraichement récolté prise en automne 2017 (figure 4).
Même si les différentes sources de contamination n’ont pas pu être identifiées avec certitude, ces trois cas de contamination nous enseignent plusieurs éléments sur les voies d’exposition des abeilles aux pesticides. L’application d’un produit sur une culture non attractive pour les abeilles ne veut pas dire qu’aucune exposition pour les abeilles n’a lieu. Les pesticides dérivent avec le vent et peuvent contaminer la flore sauvage des bords des champs ou les bandes fleuries. D’autres voies d’exposition pourraient également avoir lieu notamment pour les produits systémiques. Une mobilisation par des plantes de couvertures comme la phacélie ou la moutarde pourraient avoir lieu et ainsi expliquer les contaminations observées en septembre-octobre alors qu’aucune application n’a lieu à cette époque.
Conclusion de l‘enquête
Ces résultats questionnent le concept de culture non attractive utilisé jusqu’à présent dans l’évaluation du risque pour les abeilles. Ils soulignent également le problème des pesticides persistants et solubles dans l‘eau comme les néonicotinoïdes. L’utilisation en plein air des trois plus toxiques de ces derniers vient d’être interdite en Europe suite à un vote de la Commission et des Etats Membres de l‘UE. Toutefois, des dérogations sont envisagées notamment pour la culture betterave alors que les résultats présentés dans cet article indiquent que l’absence d’exposition ne peut être garantie. Dès lors est-il raisonnable d’accorder ces dérogations pour ce type produit ?