Situation actuelle de la culture de sapins en Wallonie
Il n’est pas évident de connaitre avec précision la superficie recouverte par les cultures de sapins de Noël en Wallonie. La culture de sapins de Noël comprend les plantations, les productions de plants et les pépinières. Selon une étude menée par Gembloux Agro Bio Tech en 2015 (utilisant des méthodes de télédétection), la surface recouverte pas les plantations de sapins de Noël en Wallonie est de 3120 ha et la surface dédiée aux pépinières et à la production de plants recouvre 642 ha du territoire wallon (Lejeune et al., 2018). La surface de plantation et de production de plants est répartie dans les provinces du Luxembourg (65,6 %), de Namur (31,1 %), de Liège (2,9 %), du Hainaut (0,3%) et du Brabant wallon (0,2 %) (Lejeune et al., 2018). Il est tout de même à noter que cette approche par télédétection sous-estime certainement les surfaces cultivées. Parmi les communes de la province du Luxembourg, Libin est la commune qui consacre la plus grande proportion de sa SAU (Surface Agricole Utile) à la plantation de sapins de Noël (11,64 %) (Lejeune et al., 2018). Les 3 communes les plus couvertes par les cultures de sapins de Noël sont Libin (324 ha), Neufchâteau (318 ha) et Bièvres (272ha). Le nombre de plants varie entre 6000 et 10 000 plants par hectare. Selon la cartographie réalisée par Gembloux Agro Bio Tech, la culture de sapins de Noël prend majoritairement place en zone agricole (92,3 %) et environ 30 % des cultures de sapins de Noël sont réalisées dans des parcelles de tailles comprises entre 2 et 5 ha. Souvent les parcelles sont situées à proximité les unes des autres et forment des blocs de cultures de sapins. Environ 15 % de ces cultures font parties de blocs de plus de 20 ha (Lejeune et al., 2018).
D’un point de vue commercial, le chiffre d’affaire relatif à la culture de sapins de Noël est estimé à 50 millions d’euros par an en Wallonie et cette dernière exporte 80 % de sa production. Ces chiffres importants font de la Belgique le troisième pays exportateur de sapin de Noël au niveau européen après l’Allemagne et le Danemark (Destombes et al., 2021). La production moyenne peut être estimée à 4 millions de sapins chaque année.
Impacts des cultures de sapins
La culture de sapins de Noël est souvent critiquée dans la presse et plusieurs points d’attention sont fréquemment relevés.
L’utilisation de produits phytopharmaceutiques
L’utilisation d’herbicides dans les cul- tures conventionnelles de sapins de Noël est courante (Destombes et al., 2021 ; Streitberger et al., 2020 ; Hagge et al., 2019 ; Hatten et al., 2014 ; Saebo et al., 2009) et permet :
- le bon développement des branches inférieures ;
- d’éviter la compétition avec les adventices ;
- d’éviter que le client retrouve des herbes dans la motte de son sapin lors de l’achat.
Les herbicides sont généralement appliqués avant la plantation des jeunes arbres et deux fois par an dans les jeunes peuplements pendant les trois ou quatre premières années (Streitberger et al., 2020). Les cultures de sapins nécessitant l’utilisation d’herbicides diminuent la ressource mellifère et peuvent s’apparenter à de réels déserts pour les pollinisateurs (Hagge et al., 2019).
D’autres produits phytosanitaires sont utilisés de manière non systématique tels que les insecticides pour lutter contre les attaques de pucerons et les fongicides en cas d’attaque de champignons.
Si l’utilisation de produits phytosanitaires pour les cultures de sapins de Noël continue de faire polémique, rappelons que cette utilisation est loin d’être aussi intensive qu’elle ne l’est pour certaines grandes cultures, comme en témoignent les résultats de l’analyse des données de vente en Wallonie des produits phytosanitaires pour les différents types de cultures (Destombes et al., 2021). De plus, les quantités maximales d’insecticides et de fongicides sont réglementées et relativement basses pour le secteur.
L’impact sur la biodiversité
L’augmentation des terres dédiées à la production de sapins de Noël se fait au détriment d’autres surfaces agricoles, telles que les prairies, sources de biodiversité au sein des paysages agricoles.
La faune et la flore présentes sur ces prairies disparaissent donc instantanément (Hagge et al., 2019).
La réduction de l’utilisation de terres agricoles à vocation nourricière et l’augmentation du prix du foncier agricole.
Comme évoqué précédemment, la culture de sapins de Noël prend majoritairement place en zone agricole (92,3 %) alors qu’elle n’a pas de vocation nourricière (Gailly et al., 2017). Financièrement attrayant, ce secteur de production gagne de plus en plus de part de marché et nécessite d’avantage de terrain, en exerçant ainsi une pression croissante sur les terres arables (Destombes et al., 2021, Gailly et al., 2017). Le prix de ces dernières augmente à cause de la concurrence pour l’accès au foncier, ce qui devient fort dommageable pour les nouveaux agriculteurs qui désirent s’installer. Bien que la culture de sapins est fortement critiquée pour son empiétement en zone agricole en tant que culture non nourricière, il en est de même pour d’autres cultures : les céréales à vocation de bio carburants en sont un autre exemple, à toute autre échelle (Gailly et al., 2017).
L’impact sur la qualité du paysage
D’un point de vue paysager, les cultures de sapins de Noël remplacent les prairies caractéristiques de la région et certaines d’entre elles peuvent être entourées de barrières pour les protéger de dégâts causés par des grands ongulés (cerfs, chevreuils, sangliers). Ces deux aspects dégradent la qualité du paysage et sont susceptibles de diminuer l’attrait touristique de la région.
L’augmentation de l’acidité du sol
L’acidité du sol des cultures de sapins de Noël augmente avec le temps. Les sols des jeunes plantations sont en effet moins acides que les sols des vielles plantations (Streitberger et al., 2020). L’acidité accrue du sol des plantations de sapins de Noël résulte de l’élimination des cations par l’absorption de nutriments, la récolte et le lessivage (Hatten et al., 2014). Cependant, l’acidité du sol n’est pas réellement impactée selon l’UAP car la litière de conifère n’a pas le temps de s’accumuler entre le moment de plantation et la récolte. En effet, les sapins sont coupés après 10 ans environ.
Des cultures de sapins durables
Il existe plusieurs alternatives pour se passer de l’utilisation des herbicides dans les plantations de sapins de Noël.
Une première approche consiste en l’élimination mécanique des mauvaises herbes par fauchage, paillage, broyage ou par application de bâches plastiques (Saebo et al., 2009). L’élimination mécanique est cependant coûteuse et demande beaucoup de travail. De plus, le fauchage, le paillage et le fraisage augmenteraient les pertes de nids chez les oiseaux nichant au sol (Streitberger et al., 2020).
Une seconde approche consiste à faire pâturer des ovins sur les plantations de sapins de Noël (SSBA - Shropshire Sheep Breeders’ Association ; https://www.shropshire-sheep.co.uk/ ). Le pâturage permet d’éliminer très efficacement les adventices qui pourraient rentrer en compétition avec la culture de sapins. Parmi les ovins, il n’y a que la race des moutons « Shropshire » qui est adaptée pour pâturer dans les parcelles de sapins de Noël (Destombes_2021). Grâce à une sélection génétique, ces moutons ne s’attaquent pas aux jeunes pousses de sapin et deviennent ainsi des alliés essentiels pour faire pousser les jeunes plants sur sols vivants. Des tests de pâturage sont également réalisés avec les vaches de la race « Highland » mais elles ne sont pas actuellement spécifiquement utilisées pour le pâturage des parcelles de sapins. Il est à noter qu’une telle gestion des cultures de sapins exige un nombre de sapins à l’hectare moindre (30 % en moins) afin de permettre le bon développement des graminées et des fleurs, ce qui garantit ainsi un pâturage de qualité pour les moutons.
D’un point de vue environnemental, l’absence de traitement avec des produits phytosanitaires est bénéfique de manière générale. Mais la méthode de destruction du couvert par le bétail présente un avantage supplémentaire pour l’entomofaune pollinisatrice : en effet, la destruction « lente » des adventices par pâturage laisse le temps à de nombreuses espèces de plantes de fleurir, ce qui représente une certaine ressource mellifère pour les pollinisateurs. Michaël Rood, cultivateur de sapins de Noël « en pâturage » et également apiculteur confirme l’attrait des parcelles de sapins pour ses abeilles. Elles viennent butiner la flore présente sur la parcelle et profitent même du miellat des pucerons présents sur les sapins.
D’un point de vue économique, cette technique de culture permet un rendement total au moins équivalent à la seule culture conventionnelle de sapins. En effet, la vente des moutons et l’absence d’achats de produits phytosanitaires viennent compenser la perte de rendement en sapins, elle-même liée à la réduction du nombre de sapins à l’hectare et à l’absence de traitement phytosanitaires. De plus, le marchand de sapins n’accorde pas plus de valeur à un sapin produit « en pâturage » qu’à un sapin conventionnel, puisqu’il ne s’intéresse qu’aux critères esthétiques et de qualité du produit. Il n’existe à l’heure actuelle pas de label permettant de certifier et de valoriser un sapin issu d’une production alliant le pâturage.
D’un point de vue social, les races de vaches « Highland » et les races de montons « Shropshire » utilisés pour le pâturage des cultures de sapins améliorent l’esthétique du paysage et suscitent tant la curiosité que l’admiration des promeneurs. Le pâturage des parcelles de sapins par les moutons génère également un environnement plus sain, exempt de produits phytosanitaires et bénéfique pour la santé des exploitants.
Cette gestion de la culture de sapins rentre donc parfaitement dans une démarche agro-écologique, alliant des externalités positives d’un point de vue environnemental, économique et social. Elle est moins dommageable pour l’environnement étant donné l’absence de l’utilisation de produits phytosanitaires, elle s’inscrit dans une vocation nourricière grâce à la valorisation du bétail en viande, elle représente une source de nourriture pour l’entomofaune pollinisatrice et enfin elle permet un certain enrichissement des sols en matière organique (dû aux déjections du bétail) et en améliore ainsi la qualité des sols.
Si la culture de sapins alliée au pâturage présente de nombreux avantages, elle nécessite néanmoins des compétences et des aménagements supplémentaires. Le producteur devra se familiariser avec les techniques de gestion du pâturage et observer ses bêtes afin de comprendre ce qui fonctionne le mieux. Pour se lancer dans cette démarche, il faut donc s’y connaitre un minimum en gestion du bétail afin de mener à bien son troupeau (agnelages, régime alimentaire,…). Cette année, la gestion du retour du loup est un challenge supplémentaire qui préoccupe énormément les éleveurs et espèrent que ce dernier ne mettra pas en péril leur méthode de production. Ensuite, cette technique de désherbage n’est pas 100 % efficace car les moutons ne mangent pas certaines zones de la parcelle appelées « zones de refus ». Il faut alors combiner le pâturage avec des méthodes mécaniques traditionnelles telles que la fauche ou faire appel aux vaches Highland qui pâtureront les orties, les chardons et les ronces laissées par les moutons.
Enfin, une troisième approche consiste à diminuer l’utilisation des produits phytosanitaires si les grandes plantations de sapins de Noël décident de ne pas s’en passer. Il leur est par exemple conseillé de ne pas appliquer de pesticides le long des frontières de la parcelle pour que les produits se répartissent moins facilement dans l’environnement (Streitberger et al., 2020). Il est également recommandé de ne pas installer une culture de sapins sur des parcelles à haute valeur biologique (Streitberger et al., 2020).
Être écoresponsable pour Noël,
c’est possible !
Différentes possibilités existent afin d’être plus éco-responsable pour Noël.
Soutenir les exploitations durables
Un premier réflexe est de soutenir des exploitations durables en achetant leurs produits. Pour ce faire, partir à la rencontre de certains exploitants qui mettent en place de bonnes pratiques tels que le pâturage (Michaël Rood du pré des Monts) ou se référer à certains labels constituent un premier pas. Par exemple, le label « véritable et écoresponsable » certifie par exemple un sapin respectant certaines notions environnementales. Le label MPS venu des Pays bas garantit quant à lui une production horticole « raisonnée » mais qui n’exclue pas les intrants chimiques. La dénomination MPS-A+ certifie une gestion qui protège et préserve l’environnement. Enfin, le label BIO impose certaines mesures telles que la plantation des plants de sapins sur un couvert de trèfles blancs limité avec un désherbage mécanique et l’implantation de bandes fleuries pour le développement des auxiliaires (Destombes et al., 2021). Il existe un producteur Bio de sapins de Noël à Anhée (https://www.biowallonie.com/acteursbio/sapi-grange/).
Diminuer ses critères d’exigences en tant que consommateur
Le client, exigeant sur la qualité de ses achats (souvent selon des critères esthétiques) pousse le producteur à recourir aux produits phytopharmaceutiques. Il est essentiel de garder en tête que des critères de qualité existent pour satisfaire aux besoins du client et que ce dernier a donc un rôle fondamental à jouer ! Pour réduire l’utilisation de produits phytosanitaires par les exploitants, le client peut à la fois diminuer ses exigences mais également soutenir les exploitations qui mettent en place des bonnes pratiques.
Un sapin artificiel comme solution ?
Une autre alternative, toutefois moins charmante pour certains, consiste à recourir à un sapin artificiel. Mais attention : les sapins en plastique ont un impact sur l’environnement supérieur aux sapins naturels. En comparant leur cycle de vie pour quantifier leur impact environnemental (en terme de quantité de CO2 émise), une étude canadienne menée par la société Ellipsos a conclu que « l’arbre artificiel dont la durée de vie moyenne est de 6 ans, contribuerait trois fois plus aux changements climatiques et à l’épuisement des ressources que l’arbre naturel » (Couillad_2009). Autrement dit, il faudrait conserver son sapin de Noël au moins 20 ans pour que son empreinte carbone soit équivalente à celle d’un sapin naturel. D’autres études tirent des conclusions similaires (PE Americas_2010). Lorsque l’on opte pour un sapin artificiel, il est plutôt conseillé de construire son sapin soi-même par exemple à l’aide de matériaux de récupération. En 2016, Ecolo Luxembourg a proposé un des ateliers DIY (« Do It Yourself ») de confection de sapins de Noël.
« Cultiver » son sapin de Noël soi-même
Pour replanter son sapin dans son jardin, il faut s’assurer que ce dernier soit encore pourvu de racines. Si vous avez pour objectif de garder votre sapin d’une année à l’autre et de replanter ce dernier, pensez donc à acheter un sapin en pot.
Conclusion
Que ce soit pour les sapins ou d’autres cultures agricoles, il est toujours important de s’interroger sur l’origine du produit et sur la méthode utilisée pour sa production. De plus en plus d’exploitations agricoles repensent leur système de production et élaborent des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement. Pour que ces dernières continuent dans cette direction, il est important de les soutenir dans leur démarche, notamment en achetant les produits qu’elles proposent. N’hésitez donc pas à contacter et rencontrer les exploitants qui mettent en place des pratiques alternatives pour vos achats de Noël !