Jeff Pettis a rappelé avec beaucoup d’émotion les conditions particulières de ce Congrès. Initialement prévue en Russie à Ufa, l’édition 2021 a été reportée en raison de la crise sanitaire liée au Covid-19, puis annulée en février 2022 suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Une minute de silence a été observée en mémoire des victimes du conflit russo-ukrainien mais aussi pour celles du Covid-19. La délégation ukrainienne, venue en petit comité et en habit traditionnel, a également été saluée par le Président.
Ainsi, après 3 années difficiles, c’est de nouveau à Istanbul que nous nous retrouvons. Soulignons l’impressionnant travail de l’Association d’apiculture turque qui a relevé le défi de taille d’organiser en quelques mois seulement un congrès haut en couleurs.
La Turquie, 2ème producteur de miel au monde
Avec plus de 100.000 tonnes de miel produites en moyenne chaque année, la Turquie est le 2ème plus important pays apicole au monde après la Chine (source FAO ). Un de ses produits phares est le miel de pin, avec ses notes épicées si particulières. Selon la FAO, près de 90 % de la production mondiale de miel de pin provient de Turquie. La grande taille du pays (plus de 780.000 km2) et la diversité de sa géologie et de ses paysages offrent aux apiculteurs une grande diversité de ressources florales et par conséquent de miels.
Lors de la journée technique, nous avons eu la chance de visiter les locaux de la société BEE&YOU basée dans la région d’Istanbul (https://www.beeandyou.com). La société, fondée en 2013, se félicite d’avoir créé un modèle commercial unique, dit d’« Apiculture sous contrat » permettant de garantir un approvisionnement durable en produits apicoles de haute qualité, en ne travaillant qu’avec des apiculteurs sous contrat exclusif qui ne produisent que pour BEE&YOU selon une charte de bonnes pratiques apicoles clairement définie.
Selon la fondatrice de BEE&YOU, la Dr. Asli Samanci, ce mode de contractualisation leur permet de « prendre soin des apiculteurs et de leurs familles en garantissant un revenu régulier et juste, ainsi que de garantir la qualité et la traçabilité des produits de la ruche utilisés ».
Actuellement, la société rassemble 5000 apiculteurs conventionnés pour un total d’environ 550.000 ruches. Leur production s’élève à environ 2.000 tonnes de miel, 200 tonnes de pollen, 200 tonnes de propolis et 100 tonnes de pain d’abeille, par an ! Pour exemple, deux tanks de 2,5 t et 3 t sont utilisés uniquement pour la propolis. Des chiffres à la mesure de l’apiculture turque.
L’entreprise a déjà conquis le marché européen et se développe aujourd’hui outre atlantique, en exportant ses produits via une plateforme spécifique.
A l’origine de tout le projet : Asli Samanci, diplômée du département d’ingénierie alimentaire de l’Université technique d’Istanbul et ancienne directrice R&D et qualité de l’une des principales entreprises de miel turque. Convaincue des vertus thérapeutiques de la propolis pour avoir observé ses bienfaits sur elle et sa famille, elle a souhaité développer sa propre gamme de produits de qualité et a mis au point une méthode innovante d’extraction de la propolis qui a été brevetée et a reçu depuis 37 prix internationaux. Une belle preuve de réussite pour l’entrepreneuriat féminin dans le monde apicole !
Toutefois, les objectifs nationaux de production sont en déclin selon le président de l’association d’apiculture truque. En cause : l’utilisation excessive des pesticides et le changement climatique qui menacent la survie des colonies. Depuis quelques années, la Turquie fait elle aussi face à des vagues de sécheresse de plus en plus prononcées, avec des incendies ravageurs comme ce fut le cas en 2021 dans la région de Mugla au sud-ouest de la Turquie, région réputée pour la production de miel de pin. En 2021, ce sont près de 200.000 hectares de forêts qui ont brûlé en Turquie, soit plus de cinq fois la moyenne annuelle.
Le changement climatique : une préoccupation majeure
Un symposium exceptionnel sur la question du changement climatique a ouvert la deuxième journée de conférences avec en introduction, un état des lieux plutôt alarmant d’Etienne Bruneau, responsable de la commission Qualité et Technologie d’Apimondia. Les récoltes de miel deviennent de plus en plus instables. Alors que le nord de l’Europe devient plus propice avec des productions en augmentation, l’ensemble du bassin méditerranéen souffre des sécheresses et des incendies à répétition, avec une diminution voire une disparition de certaines miellées.
Il est grand temps de revoir les modes de productions agricoles mais aussi apicoles pour faire face à cette modification du climat. Comme l’a souligné la chercheuse Coby van Dooremalen de l’Université de Wageningen aux Pays-Bas, il est nécessaire de trouver des solutions techniques pour améliorer la résilience biologique des abeilles face au climat et aux agents pathogènes.
Réaménager des espaces pour favoriser la biodiversité et la pollinisation intégrée des cultures est également un levier majeur pour contrer le changement climatique, permettre une agriculture durable et fournir les ressources nécessaires aux pollinisateurs sauvages et domestiques. C’est le bilan présenté par Lucas Garibaldi, chercheur à l’Universidad del Rio Négro en Argentine. En zone agricole d’extrême intensification, l’ajout d’éléments paysagers favorables aux pollinisateurs (ex. haies, bandes fleuries, corridors écologiques…) de manière réfléchie et coordonnée dans l’espace mais aussi dans la temporalité de la phénologie florale, permet d’augmenter de 20 à 25 % la production des cultures entomophiles.
Enfin, l’intérêt des outils connectés pour aider à comprendre la dynamique des colonies et le suivi de production de miel face aux aléas climatiques est de plus en plus prononcé. Le CARI a d’ailleurs clôturé ce symposium en présentant différents outils existant sur le marché international ainsi que son réseau de balances et les résultats pouvant être utilisés tant en science que par les apiculteurs.
L’apithérapie en plein essor
Au cours de ce congrès, pas moins de 600 abstracts ont été reçus et 185 ont été retenus pour être présentés à l’oral, auxquels s’ajoutent 259 posters. Encore une fois, la thématique « technologie et qualité » était la plus représentée avec 3 symposiums qui lui ont été consacrés et plus de 100 posters sur des sujets divers et variés.
Toutefois, l’apithérapie montre un intérêt grandissant, comme en attestent les 3 symposiums qui lui ont été dédiés. De l’ajout de propolis aux traitements des patients pour soigner l’acné, réduire l’obésité ou accélérer la guérison des patients atteints de Covid-19, la propolis est partout et montre des résultats de plus en plus étonnants et prometteurs.
Authenticité et qualité du miel au cœur du débat international
Autre grande thématique : celle de la qualité et de l’authenticité du miel. Que peut-on appeler miel et comment définir un miel de qualité ? Telles sont les questions soulevées par Norberto Garcia, président de la commission « Économie apicole », dans ce symposium organisé sur le thème de la pureté et de la qualité du miel.
Les entreprises pratiquant des fraudes redoublent d’ingéniosité pour tromper les consommateurs mais aussi les méthodes de détection pourtant de plus en plus performantes. Malheureusement, les coûts très élevés de ces techniques de pointe ne permettent pas de tester tous les miels nécessaires et limitent la détection d’un grand nombre de miels frauduleux.
De plus, du « miel de laboratoire » est désormais apparu sur le marché. Produit intégralement sans abeilles, en milieu artificiel de laboratoire, la compagnie israélienne « bee-io » (https://bee-io.com/about/) vante les mérites de ce nouveau produit comme une solution pour produire le miel le plus sain du monde, en sauvant les abeilles. « Ça sent le miel, ça a le goût du miel, mais c’est produit sans avoir recours à aucune abeille… » Du miel sans abeilles… Nous voilà désormais au paroxysme de l’absurde en terme de définition même de ce qu’est le miel !
L’arrivée sur le marché de ces substances injustement appelées « miel », ne fait que renforcer l’urgence de mieux définir ce qui peut être un miel ou non sur le marché international.