Quel est votre conception du métier d’apiculteur ?
Je suis d’abord un apiculteur amateur au sens noble du terme. J’aime mes abeilles. C’est pourquoi je ne conçois pas de monter au-delà de 50 colonies pour continuer à pratiquer une apiculture « à taille humaine ». C’est mon objectif. Je ne souhaite pas me charger de 100 - 150 colonies mais aujourd’hui, mes 24 colonies ne couvrent pas tous mes besoins pour développer mon activité. J’ai subi de grosses pertes en 2014 et perdu 90 % de mes abeilles suite au traitement d’une prairie aux herbicides. Ça a bien sûr ralenti mes projets. J’ai utilisé la voie du financement participatif avec la plateforme Miimosa en 2017 pour obtenir de l’aide. J’ai réussi grâce à cela à acquérir 15 ruches neuves et 12 nouveaux essaims. C’est un petit coup de pouce très appréciable mais pas un franc succès parce que finalement tout le monde connaît un apiculteur dans son village qui a besoin d’aide de nos jours. Pourquoi m’aider moi plutôt qu’un autre ?
Pouvez-vous déjà vivre de votre passion ?
Non, pas encore. Je suis aujourd’hui indépendant complémentaire sous couveuse d’entreprise chez ALPI (Actions Locales pour Indépendants). C’est une couveuse locale basée à Seraing qui aide les futurs entrepreneurs à créer leur emploi. En 2014, j’ai eu la chance d’animer une formation d’apiculture à la prison de Marche-en-Famenne. Je bénéficiais alors d’un emploi à plein temps chez Made in Abeilles asbl, emploi subsidié par la Région Wallonne. C’était très enrichissant humainement parlant. Mais le subside n’a pas été reconduit et j’ai perdu mon emploi. Je souhaite créer mon activité en lien avec les abeilles sans être apiculteur professionnel. La production apicole est soumise à une récolte trop aléatoire aujourd’hui pour prévoir d’en vivre sereinement. L’apiculture dépend de la nature et c’est par définition imprévisible. Les banquiers ne suivent d’ailleurs pas. Quand j’en discute avec eux ou avec les assureurs, ils sont frileux… Rien n’existe pour couvrir les risques liés à l’apiculture. Si les apiculteurs se regroupaient, les assureurs pourraient proposer un produit pour couvrir certains aléas : les pertes, la destruction de ruchers pour des raisons climatiques, etc. Mais les apiculteurs étant ce qu’ils sont, c’est-à-dire très individualistes, cela n’est pas possible. Tout le monde vit caché. Personne ne peut être aidé. Un groupement plus « professionnel » serait un vrai plus. Pour l’instant, développer des produits dérivés me permet de mettre en place un socle d’activités plus stable pour devenir indépendant. Si je me lançais comme indépendant dans un cadre plus purement apicole, je pense que je me tirerais une balle dans le pied.
Qu’avez-vous développé ?
Je suis apiculteur-confiseur. J’ai développé 8 sortes de bonbons sur le principe des Berlingots de Carpentras : au miel nature, à la propolis, à l’eucalyptus, au citron, à la fraise, à la framboise, au rhum et à la mandarine. Tout est manuel et purement artisanal. Je fais tout moi-même. La cuisson se fait au chaudron à 150°. Ensuite il faut passer la pâte dans une berlingotière. Je fais ça dans mon petit atelier à Stembert. La production prend beaucoup de temps. J’ai commencé à commercialiser mes produits avec PROMOGEST, le service de promotion agricole de la Province de Liège. C’est une aide précieuse pour la promotion et la distribution de mes bonbons dans les supermarchés. Ça a vite pris beaucoup d’ampleur et du coup, tout seul, avec mon mode de production, j’ai du mal à suivre la demande mais je suis confiant.
Allez-vous pouvoir vivre de cette activité ?
Le principal problème c’est que c’est une activité très saisonnière : les confiseries intéressent les clients dès les premiers refroidissements, à partir de fin septembre… C’est comparable au miel. La demande diminue en mars - avril. En été, les gens pensent plutôt à être sur les terrasses. Mon idée est de faire une gamme d’été et une gamme d’hiver. Je vends beaucoup sur les marchés, dans le cadre d’événements ponctuels, tout au long de l’année. Je veux proposer une gamme de produits attractifs à mes clients.
D’où la bière…
Exactement… d’où la Bee-R de Stembert pour la saison estivale que je fais brasser à façon par la brasserie Grain d’Orge à Hombourg. Je fournis le miel et j’ai déterminé le goût avec le brasseur pour obtenir une recette qui m’appartient. 18 tests ont été réalisés avant d’arriver au goût qui me plaisait : une bière non amère et peu sucrée, peu chargée en miel. C’est une bière blonde de dégustation, différente des bières au miel traditionnelles. Le miel n’envahit pas le palais. Elle titre à 7,5°. 3.000 bouteilles ont été produites au départ. La Bee-R a été lancée en novembre dernier, lors de la 11e Journée de l’Artisan. Le lancement a bien marché. La période des marchés de Noël a été propice. J’ai repassé une commande de 3.000 bouteilles.
Brasseur local… Vous avez aussi un partenariat avec le chocolatier verviétois Jean-Philippe Darcis. Vous faites le pari du local. Comment cela se concrétise-t-il ?
Oui… j’aime bien travailler au niveau local, valoriser le travail local. Même mes étiquettes sont faites à Verviers. Je m’occupe en effet des ruches Darcis sur le toit de la chocolaterie. Ça demande du temps mais c’est intéressant. Jean-Philippe Darcis est ambassadeur belge du chocolat et a une notoriété reconnue au-delà de nos frontières. C’est un retour de communication gagnant. Je n’ai pas toujours envie de mettre en avant la perte des colonies. Les gens commencent à saturer. Il faut passer à autre chose, à ce qui va bien. J’ai envie d’une communication positive. Le miel produit est vendu dans la boutique Darcis et utilisé dans la confection de sa gamme de pâtisserie. On va mettre en place des dégustations de miel, des conférences dans la salle de formation à l’étage et faire l’extraction du miel en public. Ce sont de petits projets à organiser qui sont autant de fenêtres positives sur le travail de l’apiculteur.
Et quel est votre engagement dans la vie associative apicole ?
Les comités manquent globalement de forces vives et de nombreux apiculteurs préfèrent aussi faire leur vie dans leur coin. Je suis devenu Président de la section de Verviers et environs en 2016. C’est une section modeste qui rassemble 45 membres. Je me rends compte qu’il n’est pas toujours facile d’animer une section. Les conférenciers ne se déplacent pas toujours. Il n’est pas facile de varier les activités pour satisfaire tout le monde. Dans l’idéal, une section nécessite de se réunir autour d’un projet en lien avec la pratique apicole. Il est important d’avoir un local fixe, un terrain (comme la section apicole de Cheratte). Ici, à Verviers, nous n’avons rien. L’autre difficulté c’est la frilosité de certains apiculteurs, parfois trop conservateurs. Un exemple : la section de Verviers est en association de fait. J’aimerais bien qu’elle passe un jour en asbl mais je me heurte à des craintes, à l’envie de vivre tranquille dans son coin avec ses quelques ruches. C’est peu compatible avec le monde d’aujourd’hui. C’est une attitude qui complique beaucoup de choses comme la vente de miel par exemple. Si l’on vit caché, on ne peut pas vendre ses produits ouvertement. Beaucoup d’apiculteurs d’une manière générale ne sont même pas enregistrés à l’AFSCA. J’ai quant à moi une carte d’ambulant, un registre de commerce. Je suis en règle à 100 % et je peux ainsi facilement commercialiser mon miel et mes produits et communiquer pour avoir une visibilité. Ça facilite énormément. Je n’ai jamais démarché un seul magasin. Les commerçants recherchent les apiculteurs qui peuvent fournir une facture. Ils achètent sans vraiment regarder le prix fixé tant l’offre est rare !
Vous semblez beaucoup insister sur la visibilité, sur la communication
C’est la base de notre société aujourd’hui. Si on ne communique pas, on n’existe pas. Tout le monde gagne à communiquer. Dès le tout début, j’ai ouvert une simple page Facebook (je suis de la génération Facebook). J’avais aussi un petit site internet. Deux ans plus tard, lorsque j’ai perdu les 9/10éme de mes colonies. J’ai posté ça sur ma page et le journal local est venu me trouver. Tout cela a immédiatement attiré l’attention de la presse et, depuis, je suis dans leur réseau et j’ai des articles sans rien demander. C’est pratique pour le lancement des nouveaux produits ! Mon objectif est d’en développer un nouveau chaque année, avec un design harmonieux pour les étiquettes. Le marketing compte énormément ! Il faut faire envie.
La transparence signifie que vous êtes parfaitement en règle d’un point de vue sanitaire également. Ça consiste en quoi dans votre cas ?
En production primaire, l’AFSCA n’exige pas nécessairement une miellerie, une cuisine propre et vide peut faire l’affaire. Dès qu’il y a transformation de produit, il y a production secondaire. Là, c’est un peu plus contraignant. L’atelier doit répondre à certaines règles compréhensibles comme l’hygiène, la facilité de lavage des lieux et des surfaces de travail en contact avec la production alimentaire. Il faut aussi travailler avec des gants, porter une charlotte. L’atelier doit être équipé au minimum d’un distributeur de savon liquide, d’un point d’eau avec un robinet actionnable sans les mains, d’un moyen hygiénique pour essuyer les mains, d’un piège à souris et à insectes volants. Il y a aussi un guide d’autocontrôle à respecter, un peu comme le « Guide des bonnes pratiques apicoles ». Dans mon cas, s’ajoute le « Guide d’autocontrôle pour le secteur de l’industrie du biscuit, du chocolat, de la praline, de la confiserie et des céréales petit-déjeuner » qui n’est pas gratuit (plusieurs centaines d’euros). Seule la partie « bonbons en sucre dur » s’applique pour moi. Si je fabriquais et commercialisais du pain d’épice, je devrais également ajouter le « Guide de Bonnes Pratiques d’hygiène biscuits, gâteaux et produits de panification », payant lui aussi. Les apiculteurs ont la chance de disposer d’un guide gratuit. Je n’ai jamais été contrôlé par l’AFSCA en tant que producteur primaire. Je l’ai été dans le contexte de la production secondaire. Les agents ne sont là que pour vérifier les bonnes pratiques d’un produit qui va entrer dans la chaîne alimentaire. Ni plus ni moins. C’est bien normal. L’apiculteur a aussi sa part de responsabilité dans la qualité des produits qui vont être consommés. La visite de l’agent dure 2 heures. Il vérifie la conformité de l’installation, la traçabilité des pots, des couvercles, des sachets. Il demande l’ISO des entreprises qui les fabriquent. Si on obtient une remarque, il revient simplement deux mois plus tard pour vérifier la mise en ordre. Les pots de miel prélevés lors des visites, en particulier pour l’analyse des pesticides, sont achetés à l’apiculteur sans discuter le prix. Il faut ajouter que lorsqu’on est en production secondaire et que l’on commercialise à une certaine échelle, il faut une procédure de rappel. S’il y a un problème au niveau de l’arôme à la fraise que j’utilise par exemple, je dois pouvoir ouvrir une procédure de rappel pour tous les bonbons vendus en grande surface. L’AFSCA souhaite savoir d’où vient l’aliment et où il va. C’est juste une organisation, un peu impressionnante au début, mais qui devient vite une formalité. Dans un petit espace comme mon atelier, je m’organise pour ne pas faire d’extraction de miel en même temps que la production de bonbons. Pour la bière, j’ai simplement le numéro de lot du miel que je fournis au brasseur.
Quelles sont vos principales difficultés ?
Le manque de trésorerie pour investir dans les projets qui me tiennent à cœur. La bière a un coût de fabrication. Comme je ne produis pas assez de miel, je dois en acheter pour mes confiseries et j’ai des difficultés à en trouver. Je rachète des seaux aux apiculteurs de la région mais je ne peux pas avoir de factures… Je sais que c’est du miel produit localement mais cela pose problème pour la traçabilité dans mon cas. Idem pour les essaims. C’est difficile de trouver des essaims déclarés. Mon grand projet intègre toutes les facettes de mon apiculture et valorise mon travail en partenariat avec les apiculteurs locaux. Je voudrais mettre en place un musée didactique de l’abeille. C’est un tel insecte magnifique… Il n’y a pas grand-chose comme structure en Belgique pour le mettre vraiment en valeur. Ce projet intègre une dimension sociale et économique régionale. Je pense à une coopérative à finalité sociale pour la partie économique qui valoriserait les produits de la ruche y compris le miel des apiculteurs locaux sans registre de commerce. Il y aurait un atelier de transformation et une miellerie. Le musée interactif serait en asbl. Il accueillerait un public scolaire autour d’animations modernes et adaptées mettant en scène la vie des abeilles. Une asbl verviétoise a réalisé les prototypes visuels des supports d’animation du musée : des personnages en papier mâché. La section de Verviers pourrait être impliquée et trouverait un local et un site pour retisser des liens autour des pratiques apicoles. La commune de Verviers a donné son accord pour un terrain en centre-ville avec un bail emphytéotique, nécessaire pour envisager des investissements fonciers. Toutes mes activités seraient intégrées dans ce projet : une miellerie-confiserie dans une salle vitrée, une salle de conférences avec la projection d’un film didactique, des jeux, une exposition interactive… Le programme Api-school que je propose aux groupes scolaires depuis plusieurs années trouverait ici un port d’attache. Une synergie pourrait être créée avec les différents musées de Verviers comme le Musée de la laine et la chocolaterie Darcis. Le plan financier a été réalisé par la couveuse d’entreprise ainsi que l’étude de marché. Reste à trouver les investissements. Pour l’instant, tout le monde est d’accord, sauf les banques. Mais je crois à mon rêve !