Fiche pédagogique - Désertion

Agnès Fayet

La désertion est un comportement largement observée chez les abeilles mellifères tropicales (A. cerana, A. mellifera, A. florea, A. andreniformis, A. dorsata et A. laboriosa) et assez peu sous les climats tempérés.

La désertion répond à un dérangement suffisamment grave pour que la colonie décide de quitter son nid pour rejoindre un autre site de nidification. Cela peut être une réponse d’urgence à une agression par un prédateur, à un problème sanitaire, à un manque de ressources alimentaires…

Abandon du nid

A la différence de l’essaimage, la déser- tion se caractérise par un abandon généralisé du nid. Il y a bien départ d’essaim mais toute la colonie quitte le nid. Il s’agit d’un comportement de survie de la colonie face à un déran- gement qui la met en péril. C’est très souvent le cas dans les zones tropi- cales lors de la destruction partielle du nid, d’invasions de fourmis, de préda- tions massives par des oiseaux ou des hyménoptères par exemple. La cause peut également être environnemen- tale, conséquence d’une inondation du nid, d’une sécheresse, d’un incendie, d’une difficulté à maintenir la tem- pérature du couvain ou encore d’un problème de ressources alimentaires. Ces explications ne sont cependant pas suffisantes pour expliquer le com- portement d’abandon du nid qui n’est pas observé systématiquement dans toutes les colonies d’un même site subissant les mêmes conditions. Cela reste aujourd’hui un des phénomènes les moins bien expliqués en matière de comportement des abeilles.

Une étude portant sur Apis mellifera scutellata (Schneider et al. 1992) précise que la migration est associée principalement aux colonies qui s’affaiblissent démographiquement (par la réduction de la taille des populations et l’aug- mentation de la mortalité du couvain) pendant les périodes de disponibilité réduite de nourriture. Des facteurs tels que le nombre d’ouvrières adultes et la mortalité du couvain peuvent influer sur la capacité des colonies à collecter suffisamment de nourriture ou à survivre à de longs voyages, ce qui à son tour peut affecter le comporte- ment migratoire. A ce titre, les mêmes abeilles accueillies dans des ruchers gérés vont réduire leur comportement d’abandon du nid, bénéficiant de soins alternatifs.

Par contre, les ruches peuvent être elles-mêmes des facteurs d’abandon si elles ne permettent pas aux abeilles une thermorégulation effi- cace. Des études ont été faites sur des colonies d’ A. cerana conservées dans des ruches ou des cavités de nidifica- tion naturelles. Toutes les colonies en ruches artificielles ont tenté de s’enfuir alors qu’aucune dans les cavités natu- relles des nids ne l’a fait (Punchihewa et al., 1990). Les chercheurs ont attribué cette différence aux conditions microclimatiques dans les ruches. L’im- pulsion de fuite peut donc être dû à un habitat artificiel inadapté et à des perturbations constantes, y compris celles provenant d’apiculteurs.


Deux types d’abandon

La fuite préparée se traduit par le comportement d’une colonie qui prévoie d’abandonner ses rayons. Dans ce contexte, les termes « fuite nomade » (Crane, 1990), « fuite prépa- rée » (Woyke, 1978 ; Nakamura, 1993, 1995), « fuite non perturbée » (Mut- saers, 1991) et « fuite chronique per- turbée » (Nakamura , 1993, 1995) sont synonymes de « migration » car toutes impliquent des préparatifs au départ des colonies.
La simple fuite, appelée également « perturbation aiguë », est une réaction à la catastrophe. Cet abandon répond à une urgence comme un incendie, une inondation ou une grave prédation.

Conditions de l’abandon du nid

Comme pour un essaimage, les abeilles doivent disposer de suffisam- ment de réserves d’énergie pour voler, construire de nouveaux rayons sur un nouveau site. Les colonies en fuite engorgent généralement le miel, accé- lèrent la production de cire, réduisent la ponte et consomment des œufs et de jeunes larves pour stocker des protéines. Il a même été observé que de petites colonies d’abeilles tropicales fusionnent en essaims polygynes (avec plusieurs reines) pour être capable d’assumer la migration. La conséquence est la mort des reines surnuméraires une fois ce type d’essaim installé. Cela peut être considéré comme une sorte de réunion naturelle de colonies.

Particularités des abeilles tropicales

Les abeilles mellifères tropicales comme les sous-espèces africaines d’Apis mellifera, ne connaissent pas la saison hivernale et sont potentiel- lement capables de butiner toute l’année. Reste que la disponibilité de la nourriture en zone tropicale est souvent imprévisible dans le temps et dans l’espace, essentiellement en raison des régimes pluviométriques. De ce fait, les colonies sont amenées à abandonner leur site de nidification si elles sont confrontées à ce problème à la fois climatique et nutritif. Dans le contexte tropical, le comportement de désertion maximise la colonisation de nouvelles zones et sert de cycle de ravitaillement spatial. C’est une alter- native à la thésaurisation abondante des ressources alimentaires qui carac- térise les abeilles mellifères des zones tempérées.

Les abeilles en zones tempérées désertent-elles ?

Comme le dit Mark L. Winston, « les dérangements provoquant l’abandon du nid sont rares en climats tempérés, en partie parce qu’il y a peu de prédateurs pour provoquer un tel abandon, mais aussi parce que les abeilles des régions tempérées ont moins tendance à abandonner leur nid. » Notons le « rares » et le « moins tendance » qui n’excluent malgré tout pas un tel comportement. Notons aussi que les dérangements et les mauvaises conditions de vie ne manquent pas non plus dans les régions tempérées. Ceci ne répond bien entendu pas à la question.


Références :

  • Crane, E., 1990. Bees and Beekeeping : Science, Practice and World Resources. Heinemann Newnes, Oxford, UK, 614 pp.
  • Hepburn, H. R.(2006). Absconding, migration and swarming in honeybees : an ecological and evolutionary perspective. Life cycles in social insects : behaviour, ecology and evolution, 121- 135.
  • Hepburn, H. R.(2006). Absconding, migration and swarming in honeybees : an ecological and evolutionary perspective. Life cycles in social insects : behaviour, ecology and evolution, 121- 135.
  • Mutsaers, M., 1991. Bees in their natural environ- ment in southwestern Nigeria. The Nigerian Field 56 :
  • 3–18.
  • Nakamura, J., 1993. Regulatory System in a Honeybee Colony toward Resource Deteriora- tion. Thesis,Tamagawa University, 94 pp.
  • Nakamura, J., 1994. Absconding as an adaptive behaviour of the Asian honey bee, Apis cerana. Bulletin of the Faculty of Agriculture, Tamagawa University, 34 : 81–102 (In Japanese).
  • Punchihewa, R.W.K. and N. Koeniger, D. How- page, 1990. Absconding behaviour of Apis cerana in Sri Lanka. Proceedings of the Eleventh International Congress of the International Union for the study of Social Insects, pp. 106–107.
  • Schneider, S. S., & McNally, L. C.(1992). Factors influencing seasonal absconding in colonies of the African honey bee, Apis mellifera scutellata. Insectes Sociaux, 39(4), 403-423.
  • Winston, M. L., Otis, G. W., & Taylor Jr, O. R.(1979). Absconding behaviour of the Africanized honeybee in South America. Journal of Apicultu- ral Research, 18(2), 85-94.
  • Winston, M. L., Taylor, O. R., & Otis, G. W.(1983). Some differences between temperate European and tropical African and South American honey- bees. Bee World, 64(1), 12-21.
  • Winston, M. L. (1991). The biology of the honey bee. harvard university press.
  • Woyke, J., 1978. Biology of Reproduction and Genetics of the Honeybee. BeeCulture Division, Warsaw Agricultural University, Warsaw, Poland, 382 pp.