Pour faire face au varroa, de nombreux traitements à base d’acaricides de synthèse ont été employés. Mais l’exposition continue à ces produits chimiques à forte toxicité et rémanence a engendré des mécanismes de résistance chez varroa et une contamination des matrices et produits de la ruche. L’utilisation d’acides organiques purs comme l’acide oxalique et l’acide formique, a été développée comme méthode alternative, et est aujourd’hui largement répandue. Pour assurer une efficacité optimale de ces acides, plusieurs applications à des moments prédéfinis de l’année sont recommandées. Le respect de ces recommandations est essentiel et a un impact direct sur l’amélioration de la production et de la survie hivernale des colonies face au varroa.
Les acides organiques dans la lutte contre varroa
Vecteur de nombreux virus, l’acarien Varroa destructor est considéré comme une menace pathogène majeure pour les abeilles mellifères et a des conséquences directes sur la survie des colonies et l’apiculture. Aujourd’hui, sans une méthode de contrôle de l’infestation par varroa, une colonie est vouée à mourir dans une période d’un à trois ans.
Depuis son arrivée en Europe, les méthodes de lutte se sont principalement tournées vers l’utilisation de molécules chimiques telles que le coumaphos, l’amitraze, le fluvalinate et la fluméthrine. Ces traitements à base d’acaricides de synthèse étaient les plus couramment utilisés au début des années 2000. Mais l’avenir de ces produits dans la lutte contre varroa est remis en question car les acariens ont développé des mécanismes de résistance. De plus, ces traitements n’ont pas d’effet sur les acariens qui se développent à l’intérieur des cellules de couvain operculé, source constante d’infestation [1].
D’autre part, de nouvelles préoccupations sont apparues concernant l’emploi de ces molécules : la présence de résidus et produits de dégradation dans les cires et le miel. Ces produits chimiques sont liposolubles et non volatils. Ils s’accumulent dans la cire d’abeille après des années de traitement, puis par diffusion, migrent des cires vers le miel stocké dans les alvéoles [2].
Face au risque que ces éléments peuvent représenter pour la consommation humaine et la commercialisation du miel, les recherches se sont tournées vers des méthodes de lutte alternatives, comme l’utilisation d’acides organiques. L’acide oxalique (AO) et l’acide formique (AF) sont les plus couramment utilisés [3].
Selon l’Agence européenne des médicaments (EMA) [4] ces deux substances sont connues en médecine vétérinaire depuis longtemps. Elles sont considérées comme sans risque pour la santé humaine ou animale et non dangereuses pour l’environnement si elles sont correctement manipulées, conformément aux informations sur le produit. Elles sont également autorisées en agriculture biologique car elles sont soit présentes dans les aliments de manière naturelle comme dans le miel, soit leur présence est acceptée pour une utilisation dans les aliments.
Aujourd’hui, l’utilisation des AO et AF est généralement combinée à des techniques de lutte physique, telles que l’élimination du couvain ou l’encagement des reines, selon la période d’application.
Efficacité des acides formique et oxalique
Ces acides sont très efficaces pour réduire le développement du Varroa dans les colonies [5]. L’application d’AF permet de contrôler jusqu’à 60 % de la population de varroas phorétiques et l’AO montre une efficacité encore supérieure, avec plus de 90 % des varroas phorétiques détruits [6]. La diminution des taux d’infestation après un traitement d’été à l’AO ou AF peut être comparable à celui enregistré après l’application d’acaricides de synthèse tels que le coumaphos, en l’absence de mécanismes de résistance [7].
Dans le cadre du groupe de travail de la lutte contre varroa de l’association européenne COLOSS, les chercheurs ont testé l’efficacité et la toxicité du premier médicament vétérinaire homologué à l’échelle de l’UE utilisant un mélange d’AO et d’AF (VarroMed®) [8]. Ils ont montré que son efficacité sur la réduction du taux d’infestation de V. destructor allait de 71.2 à 89.3 % pour le traitement d’été/automne et de 71.8 à 95.6 % pour le traitement d’hiver, selon les conditions climatiques.
Les traitements à l’AO peuvent être appliqués sur des colonies avec et sans couvain [9], bien que le traitement à l’AO soit particulièrement efficace en l’absence de couvain [10]. Jusqu’à présent, les traitements à l’AF étaient recommandés en l’absence de couvain pour une efficacité optimale mais de récents résultats ont montré une efficacité significative en traitement de printemps, par application directe sur le couvain operculé. Ces résultats préliminaires doivent être approfondis afin d’évaluer le risque d’effets secondaires sur les abeilles mais aussi pour être adapté aux différentes conditions locales [11].
De manière générale, les effets des acides organiques sont considérés comme assez variables comparés aux acaricides de synthèse. En plus de dépendre de l’état de la colonie avant application (avec ou sans couvain), le traitement doit également tenir compte de la saison. Cette variabilité résulte de la sensibilité de certains composés à la pression d’évaporation au sein de la colonie (paramètre jouant sur le passage de la phase liquide à la phase gazeuse de la molécule). Ainsi, les conditions de température et d’humidité à l’extérieur mais aussi à l’intérieur de la ruche sont très importantes [12]. Des conditions climatiques plus fraîches, comme elles se produisent généralement en Europe centrale à la fin de l’été et à l’automne, peuvent affecter négativement le succès du traitement à l’acide formique par exemple [13].
Quelle toxicité pour la colonie ?
Il n’existe à ce jour aucune véritable solution durable pour réduire la pression de V. destructor sans créer de nuisances aux abeilles, même si celles-ci peuvent être temporaires et réversibles.
Cependant, l’utilisation des acides organiques reste l’un des meilleurs compromis pour réduire significativement les taux d’infestation de varroa, tout en limitant l’impact sur les colonies [14]. En effet, malgré des cas de lésions temporaires observées sur l’intestin des abeilles après l’ingestion d’AO [15], plusieurs études montrent que lorsqu’ils sont manipulés et appliqués de manière appropriée, les traitements à base d’AO et AF ne provoquent pas de réduction de ponte des reines, ni de surmortalité des ouvrières [16].
Afin d’optimiser l’efficacité de ces traitements tout en limitant les potentiels effets délétères, l’association de recherche sur l’abeille mellifère COLOSS (https://coloss.org/) fournit des recommandations de lutte intégrée (IPM) pour les apiculteurs afin d’appliquer le meilleur protocole de lutte contre varroa. Les modes d’application doivent être ajustés en fonction de la période de l’année et des conditions climatiques au moment du traitement et le respect de ces consignes est un élément crucial dans le succès de ces traitements et la survie des colonies.
Respect des recommandations et impact sur la survie
Une équipe de chercheurs suisses [17] a évalué l’impact du non-respect des recommandations d’application des AO et AF sur les taux d’infestation de varroa et le taux de survie des colonies à l’hivernage. Leurs résultats sont clairs : plus l’apiculteur s’éloigne des fréquences et périodes d’application recommandées, plus l’efficacité du traitement baisse et le risque de perdre des colonies augmente.
Dans cette étude, les chercheurs ont travaillé en collaboration avec un réseau de 30 apiculteurs répartis dans trois cantons de Suisse. La gestion et la santé de 300 colonies (10 par apiculteur) ont été suivies pendant deux années consécutives, selon un protocole standardisé. Ils ont évalué la conformité (respect) aux recommandations de lutte contre les acariens et mesuré différents indices de l’état de santé des colonies à savoir les taux d’infestation par V. destructor, les indices de productivité des colonies (taille du couvain et récolte de miel) et la mortalité des colonies.
Les analyses ont montré que les taux élevés d’infestation par les acariens V. destructor et la mortalité des colonies étaient associés à la « non-conformité » des pratiques (Fig.1). Par rapport aux colonies d’apiculteurs qui respectaient pleinement les recommandations de traitement, la mortalité des colonies était dix fois plus élevée en cas de « légère non-conformité » et vingt-cinq fois plus élevée en cas de « non-conformité ». En ce qui concerne la récolte de miel, celle-ci différait significativement entre les groupes, avec des rendements jusqu’à trois fois plus bas pour le groupe dont les méthodes d’application étaient « non-conformes » aux recommandations.
À la fin de la première année d’expérimentation, les chercheurs ont communiqué aux apiculteurs le lien apparent entre une faible conformité et une faible survie des colonies. Il a alors été observé au cours de la 2ème année, un meilleur respect des recommandations d’application associé à une meilleure survie des colonies.
Ces résultats soulignent l’importance que joue l’apiculteur dans le succès des traitements contre V. destructor, selon le degré de conformité aux recommandations qu’il applique. Il est donc essentiel de mieux communiquer sur les conséquences qu’un écart par rapport aux recommandations de traitement aura sur la protection et la santé des colonies.
Références :
1. Chauhan, A., Dabhi, M. & Patnaik, R. J. P. Review on Varroa mite : An invasive threat to apiculture industry. Journal of Entomology and Zoology Studies 9, 535–539 (2021).
2. Wallner, K. Varroacides and their residues in bee products. Apidologie 30, 235–248 (1999).
3. EMA. European Medicines Agency. European Medicines Agency https://www.ema.europa.eu/en.
4. Campolo, O. et al. Field efficacy of two organic acids against Varroa destructor. Entomologia generalis 36, 251–260 (2017).
5. Girişgin, A. O.& Aydın, L. Efficacies of formic, oxalic and lactic acids against Varroa destructor in naturally infested Honeybee (Apis mellifera L.) colonies in Turkey. Journal of the Faculty of Veterinary Medicine, University of Kafkas, Kars (Turkey) (2010).
6. Škerl, M. I. S. et al. Efficacy and Toxicity of VarroMed® Used for Controlling Varroa Destructor Infestation in Different Seasons and Geographical Areas. (2021) doi:10.20944/preprints202107.0362.v1.
7. Charriére, J.-D. & Imdorf, A. Oxalic acid treatment by trickling against Varroa destructor : recommendations for use in central Europe and under temperate climate conditions. Bee World 83, 51–60 (2002).
8. Maggi, M. et al. A new formulation of oxalic acid for Varroa destructor control applied in Apis mellifera colonies in the presence of brood. Apidologie 47, 596–605 (2016).
9. Căuia, E. & Căuia, D. Improving the Varroa (Varroa destructor) Control Strategy by Brood Treatment with Formic Acid—A Pilot Study on Spring Applications. Insects 13, 149 (2022).
10. Rosenkranz, P., Aumeier, P. & Ziegelmann, B. Biology and control of Varroa destructor. Journal of Invertebrate Pathology 103, S96–S119 (2010).
11. Steube, X., Beinert, P. & Kirchner, W. H. Efficacy and temperature dependence of 60% and 85% formic acid treatment against Varroa destructor. Apidologie 52, 720–729 (2021).
12. Vilarem, C., Piou, V., Vogelweith, F. & Vétillard, A. Varroa destructor from the Laboratory to the Field : Control, Biocontrol and IPM Perspectives-A Review. Insects 12, 800 (2021).
13. Hernandez, J., Hattendorf, J., Aebi, A. & Dietemann, V. Compliance with recommended Varroa destructor treatment regimens improves the survival of honey bee colonies over winter. Research in Veterinary Science 144, 1–10 (2022).