Plusieurs moyens de lutte ont été développés au cours des 15 dernières années mais sans grand succès sur la régulation des populations de frelons. En plus d’une efficacité limitée, les méthodes de piégeage ont eu d’importants effets délétères sur l’environnement. Bien que le développement de pièges à sélection physique ait permis de réduire l’impact sur l’entomofaune, actuellement aucune méthode de lutte n’est totalement sélective et sans danger pour l’environnement.
Les phéromones sexuelles, composés non-toxiques et spécifiques à chaque espèce, représentent une piste de recherche prometteuse. Une équipe de chercheurs franco-chinoise a montré l’efficacité d’un appât à base de phéromones sexuelles sur les mâles de frelons asiatiques. Ces résultats font espérer la mise en place dans les années à venir d’un piégeage efficace sans nuisance pour les autres insectes ou toxicité pour l’environnement.
Communication chimique chez les insectes sociaux
Il existe chez les insectes sociaux plusieurs modes de communication utilisant différentes capacités sensorielles. Les signaux transmis peuvent être (i) tactiles, (ii) visuels, (iii) sonores ou (iv) olfactifs (chimiques).
La communication olfactive fait appel à la production de composés chimiques produits par les glandes exocrines des individus (glandes qui sécrètent des substances destinées à être expulsées dans le milieu extérieur). Cette communication est un des modes de transfert d’informations les plus complexes et les plus importants chez les insectes sociaux. Outre le fait qu’elle leur permet d’identifier leurs semblables, elle joue un rôle majeur dans l’organisation et la cohésion de la colonie.
Il existe deux grands types de composés chimiques permettant d’agir sur le comportement et/ou la physiologie des autres organismes : les composés allélo-chimiques et les phéromones.
Les composés allélochimiques entrent dans la communication entre espèces (inter-spécifique), par exemple lors de la mise en place de mécanismes de défense (répulsif contre un prédateur) ou d’attraction (ex. plantes sur ses hôtes).
Les phéromones permettent à l’inverse une communication entre les individus d’une même espèce (intra-spécifique) 1,2 . Chez les insectes sociaux, elles peuvent induire des modifications physiologiques réversibles ou non qui déterminent la fonction de l’individu au sein de la colonie (ex. phéromone de la reine qui inhibe le développement ovarien des ouvrières), ou des réponses comportementales.
Selon ce sur quoi elles agissent, les phéromones ont été classées en 9 catégories telles que les phéromones sexuelles ou d’alarme (voir figure 1) 1,3 .
Les phéromones sexuelles sont des odeurs produites par les femelles ou les mâles et dont le but est de déclencher des réactions comportementales chez les individus du sexe opposé. Elles sont constituées d’un mélange complexe de composés provenant de différents tissus des individus. Chez les hyménoptères, les phéromones sont détectées au niveau des antennes grâce à des sensilles olfactives (structures cuticulaires contenant des neurones sensoriels qui permettent la détection des odeurs) 4 .
Connaissances sur les phéromones sexuelles de Vespa velutina
De manière générale chez les hyménoptères, très peu de phéromones sexuelles ont été identifiées et entièrement caractérisées. Ce manque d’information limite fortement la compréhension de leur action et dans le cas d’espèces invasives, la possibilité de réguler leurs populations en interférant sur leur reproduction.
Le cas du frelon asiatique Vespa velutina ne fait pas exception. Très peu de données sont disponibles sur leurs profils de phéromones sexuelles et les potentielles différences pouvant exister entre les sous espèces ou les populations (natives et invasives).
Vespa velutina est une espèce originaire de l’Est asiatique. L’espèce rassemble une douzaine de sous-espèces, présentant chacune des caractéristiques de coloration corporelle qui lui sont propres (du majoritairement jaune au quasiment noir, en passant par l’orangé) 5 . Parmi elles, on retrouve Vespa velutina nigrithorax (V.v.nigrithorax), la sous-espèce de frelon asiatique qui envahit l’Europe depuis 2005, ainsi que d’autres territoires d’Asie tels que le Japon et la Corée du Sud.
De récentes études ont permis d’identifier trois composés de phéromones sexuelles émis par les gynes (reines vierges mâtures) de V. velutina 6–8 : l’acide 4-oxo octanoic (4-OOA), l’acide 4-oxo decanoic (4-ODA) et l’acide 5-oxo decanoic (5-ODA). Deux de ces composés (4-OOA et le 4-ODA) ont été identifiés à la fois dans les populations invasives européennes de V.v.nigrithorax, et dans les populations natives chinoises de
V.v.auraria. Le troisième (5-ODA) n’a en revanche été identifié que chez V.v.nigrithorax 7 . Ces résultats indiquent que les sous-espèces de frelons asiatiques présentent toujours des similitudes quant à certains composés majeurs 7,8 .
Cela laisse supposer que malgré des profils de phéromones sexuelles qui leurs sont propres, une reconnaissance de certaines phéromones sexuelles entre sous-espèces est possible.
Les conditions environnementales peuvent moduler l’effet de ces composés sur l’attirance des mâles pour les gynes de V. velutina. Le nombre de mâles attirés par une gyne augmente avec l’intensité lumineuse au moment de l’accouplement et avec la température moyenne de l’air (conditions favorables à l’accouplement identifiées entre 15 et 22°C) 6 . En revanche, une augmentation de l’humidité ambiante réduit le nombre de mâles attirés 7 (Fig. 3). L’âge des gynes (en jours) peut également affecter leur production de phéromones. Des études complémentaires sont nécessaires afin de déterminer dans quelle proportion les conditions biotiques (individus) et abiotiques (rayonnement solaire, température...) jouent sur la variabilité de la composition des phéromones sexuelles.
Piège à phéromones et lutte contre le frelon asiatique
L’utilisation d’insecticides dans la lutte contre les insectes nuisibles et invasifs est de plus en plus controversée en raison de phénomènes de résurgence de leurs populations, de résistances aux molécules de synthèse employées et de leur fort impact négatif sur le reste de l’entomofaune (forte toxicité et rémanence dans l’environnement, mortalité d’espèces non-ciblées).
Dans ce contexte, l’utilisation de phéromones dans la lutte intégrée des insectes nuisibles suscite de plus en plus d’intérêt en raison de ses nombreux avantages : spécifique à l’espèce ciblée, absence de toxicité pour les autres espèces, dégradation très rapide dans l’environnement, action même à faible densité de nuisibles, etc... 2,9 . Les phéromones sexuelles en particulier, sont déjà utilisées afin de perturber l’accouplement chez plusieurs ravageurs des cultures et entraver leur colonisation. Les méthodes de lutte à base de phéromones sexuelles telles que le piégeage de masse ou la confusion sexuelle (perturbant l’accouplement des partenaires) représente une piste de recherche majeure quant à la régulation d’insectes invasifs tels que le frelon asiatique 9,10 , tout en limitant l’impact sur l’environnement et la faune locale 11 .
Dans le cadre d’un partenariat entre le Xishuangbanna Tropical Botanical Garden (Kunming, Chinese Academy of Sciences, Chine) et l’Institut de Recherche sur la Biologie de l’Insecte (CNRS-Université de Tours, France), des chercheurs ont testé différents appâts à base de phéromones sexuelles de frelon asiatique sur l’attractivité des mâles lors de la période de reproduction 7 .
Pour cela, ils ont prélevé des mâles issus de trois populations distinctes : (i) V.v.auraria natifs (prélevés sur des colonies en Chine), (ii) V.v.nigrithorax natifs (prélevés sur des colonies en Chine) et (iii) V.v.nigrithorax invasifs (prélevés sur des colonies en France).
Ils ont tout d’abord identifié quelle était la composition du mélange de phéromones (à base des 3 composés identifiés et cités précédemment) le plus attractif sur les mâles de la sous-espèce V.v.auraria de Chine. Puis dans un second temps, ils ont testé son attractivité sur des mâles de populations natives (Chine) et invasives (France) de V.v.nigrithorax. L’essai a montré une attirance significative des mâles de V.v.nigrithorax au mélange, bien que les mâles issus de populations invasives (de France) étaient moins attirés par l’appât que ne l’ont été les mâles issus des populations natives (Fig. 2). Ces différences peuvent être dues à des différences de densités de mâles dans l’environnement, peut-être moins importantes en France que dans leur aire de répartition naturelle en raison de la lutte engagée contre cet insecte invasif depuis plusieurs années.
Bien que de nombreux aspects doivent encore être mis en lumière, leurs résultats, publiés en février 2022 dans la revue scientifique Entomologia Generalis 7 , sont très encourageants. Ils laissent espérer le développement à court terme d’un piège sélectif, utilisant des phéromones spécifiques à l’espèce, pour lutter efficacement contre le frelon asiatique sans causer de dommages à l’environnement.
Références :
1. Pérez de Heredia Ramírez, I. Caste differentiation and analyses of cuticular profile, fats and sperm production in Vespa velutina nigrithorax du Buysson, 1905 (Hymenoptera : Vespidae). (2019).
2. Howse, P., Stevens, J. M. & Jones, O. T. Insect Pheromones and their Use in Pest Management. (Springer Science & Business Media, 2013).
3. Darrouzet, E. & Corbara, B. Les insectes sociaux. (Editions Quae, 2016).
4. Ayasse, M., Paxton, R. J.& Tengö, J. Mating Behavior and Chemical Communication in the Order Hymenoptera. Annual Review of Entomology 46, 31–78 (2001).
5. Darrouzet, E. Le frelon asiatique, un redoutable prédateur. Le connaître pour mieux le combattre. (2019).
6. Wen, P. et al. The sex pheromone of a globally invasive honey bee predator, the Asian eusocial hornet, Vespa velutina. Sci Rep 7, 12956 (2017).
7. Cheng, Y.-N., Wen, P., Tan, K. & Darrouzet, E. Designing a sex pheromone blend for attracting the yellow-legged hornet (Vespa velutina), a pest in its native and invasive ranges worldwide. Entomologia Generalis (2022) doi:10.1127/entomolo-gia/2022/1395.
8. Cappa, F. et al. Female volatiles as sex attractants in the invasive population of Vespa velutina nigri-thorax. Journal of Insect Physiology 119, 103952 (2019).
9. Rizvi, S. A. H., George, J., Reddy, G. V. P., Zeng, X. & Guerrero, A. Latest Developments in Insect Sex Pheromone Research and Its Application in Agricultural Pest Management. Insects 12, 484 (2021).
10. Witzgall, P., Kirsch, P. & Cork, A. Sex Pheromones and Their Impact on Pest Management. J Chem Ecol 36, 80–100 (2010).
11. Turchi, L. & Derijard, B. Options for the biological and physical control of Vespa velutina nigrithorax (Hym. : Vespidae) in Europe : A review. Journal of Applied Entomology 142, 553–562 (2018)
Science et transfert d’information :
Eric Darrouzet, co-auteur de la publication dans Entomologia Generalis, est enseignant-chercheur à l’Université de Tours (France). Il est spécialiste des insectes sociaux et travaille depuis une dizaine d’années sur l’écologie et la biologie du frelon asiatique, en particulier sur la communication chimique de cette espèce.
Lui-même apiculteur, il met ses compétences scientifiques et techniques sur le frelon au service du grand public, en publiant régulièrement des vidéos pour mieux comprendre cette espèce. Un excellent outil pour prévenir la désinformation ! Pour visionner ses vidéos, vous pouvez vous rendre sur sa page à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/c/DarrouzetFrelonasiatique.