Une mycorévolution pour les abeilles ?

Agnès FAYET

Les abeilles mellifères sont des animaux forestiers. En observant les colonies d’abeilles dans leur milieu originel, le mycologue américain Paul Stamets a remarqué que les butineuses vont boire les sécrétions produites par le mycélium de certains champignons, ce qu’il appelle le « miellat fongique ». Les chercheurs vérifient actuellement l’hypothèse selon laquelle ce comportement viserait à rechercher un soutien nutritionnel destiné à maintenir les abeilles en bonne santé. Le ganoderme luisant (Ganoderma lucidum), le polypore marginé (Fomitopsis pinicola), l’amadouvier (Fomes fomentarius), le strophaire à anneau rugueux (Stropharia rugosoannulata) sont autant de champignons aux propriétés prometteuses pour la santé des abeilles.


Le miellat fongique

Paul STAMETS - Steve SHEPPARD

Paul Stamets1 est tombé dans les spores de champignons quand il était petit. Aujourd’hui, il est très impliqué dans la reconnaissance des propriétés médicinales des champignons et leur utilisation dans le cadre de la santé humaine et animale, en particulier la santé des abeilles2. Il a observé que les butineuses collectent des champignons sur la litière forestière ou sur le bois mort en décomposition3. Le mycelium exposé aux ultra-violets exsude un « miellat fongique » contenant de l’acide paracoumarique aux propriétés antioxydantes4. On trouve également de l’acide paracoumarique dans les composés fongiques trouvés dans le bois en décomposition et dans certains produits de la ruche5 comme la propolis6 et le pain d’abeille7. Pour Paul Stamets, le comportement des abeilles observées sur la litière forestière peut être assimilé à une automédication. Des champignons comme Fomitopsis officinalis, Inonotus obliquus, Fomes fomentarius et Ganoderma resinaceum participent, selon le mycologue, à la réduction de la charge virale de l‘abeille. Les liens entre immunité et champignons ne constituent pas une totale surprise, particulièrement en ce qui concerne l’alimentation des colonies. On considère que la diversité des champignons du mycrobiome participant à la conversion du pollen en pain d‘abeille peut influencer sa valeur alimentaire. Une exposition aux fongicides présents dans l’environnement d’un rucher peut donc, de ce point de vue, avoir un impact indirect sur la santé des colonies exposées8. Selon une étude, ces « champignons bénéfiques » présents dans le tube digestif des abeilles sont également affectés par le sirop de maïs (riche en fructose), l‘acide formique et l‘acide oxalique qui sont des intrants fréquents dans les colonies9. Concernant l’habitat, les colonies férales (sauvages), vivant à plusieurs mètres du sol dans des cavités arborescentes en décomposition progressive10 sont exposées régulièrement à des champignons qui participent à la santé de la colonie. Elles contiennent par exemple deux fois plus d‘Aspergillus spp. et de Penicillium spp. que les colonies élevées dans des ruches au ras du sol. Ces deux champignons ont été identifiés comme utiles pour lutter contre l’ascosphérose (couvain plâtré)11. Partant de ces constatations, les chercheurs explorent différentes méthodes d‘utilisation d’extraits de champignons pour améliorer la santé des abeilles. Paul Stamets (via son entreprise « Fungi Perfecti ») a déposé un brevet12 pour un produit à base d’extraits de mycéliums de plusieurs espèces fongiques. Ce mélange offrirait aux abeilles des défenses contre plusieurs facteurs de stress, améliorerait le système immunitaire des abeilles, leur résistance aux maladies, leur tolérance aux pesticides, à la pollution et à la sécheresse.

Mycellium

Des biopesticides pour la lutte contre Varroa destructor

Steve Sheppard et Brandon Hopkins de la Washington State University se sont associés à Paul Stamets et aux apiculteurs de l’état de Washington pour tester les effets des champignons entomopathogènes dans le cadre du contrôle de Varroa Destructor dans les colonies. Les champignons entomopathogènes infectent leurs hôtes par des spores qui se fixent sur le tégument où ils germent. Ils pénètrent dans la cuticule avant de se multiplier dans l‘hémocèle et les tissus mous de l’insecte. La mort survient habituellement dans les 3 à 10 jours après l‘infection (perte d‘eau, privation de nourriture, toxines)13. Certains champignons entomopathogènes semblent prometteurs pour la lutte biologique contre Varroa tant du point de vue de leur efficacité que de leur innocuité. Aucun effet délétère n’a été remarqué sur le couvain, les abeilles adultes et la fécondité des reines. Certains d’entre eux, comme Hirsutella thompsonii, sont déjà utilisés comme bio-acaricides dans certaines cultures. Citons à leur avantage un coût de développement moins élevé que celui des pesticides traditionnels. En revanche, leur temps d’action est plus long que celui des acaricides chimiques. Les champignons ne produisent donc pas un effet choc sur les populations d’acariens mais sont actifs pendant une durée de 42 jours après l’application. Ils ont un effet durable et travaillent progressivement sur le long terme. C’est un fonctionnement propre aux biopesticides. Il leur faut également pour germer des conditions de température particulières (entre 25 et 32° pour Hirsutella thompsonii) qui ne sont pas toujours efficaces dans les conditions de température du couvain (35°). Certains champignons entomopathogènes ont cependant passé avec succès les tests d’efficacité. Selon des analyses effectuées dans des conditions de laboratoire, les souches EA3 et EA26.1 du bien connu Bacillus thuringiensis peuvent être utilisées, dans les ruches pour lutter contre Varroa destructor et réduire la pression de l’acarien sur les larves et les adultes sans effets létaux et sublétaux sur les abeilles. Des études menées à la Cornell University ont montré que les champignons entomopathogènes Metarhizium anisopliae et Hirsutella thompsonii, bien connus comme myco-insecticides et myco-acaricides, tuent les varroas sans impact sur les abeilles qui peuvent éliminer les spores grâce à leur faculté de toilettage. Reste à trouver la méthode d’application la plus pertinente et efficace. On parle de ruches fabriquées avec du mycelium de champignons dans de la sciure de bois compressée, de bandes cartonnées inoculée14, de poudre à mélanger à du sucre en poudre ou encore de candi contenant les spores des champignons, méthode qui semble pour l’instant la plus efficace du point de vue de la conservation de l’efficacité des champignons15. Outre la composition précise des agents fongiques et/ou microbiens à mettre en synergie, les principales exigences sont bien connues : application facile, détermination du bon moment pour réaliser le traitement, durabilité et conservation du produit, dosage optimal, etc. Rien n’est encore approuvé.

… et Aethina thumida

Blatte tuée par Metarhizium anisopliae
CC Chengshu Wang and Yuxian Xia

De son côté, le gouvernement australien a publié une étude sur l’utilisation possible de champignons dans le cadre d’un bio-contrôle du petit coléoptère des ruches16. D’après ce document, Metarhizium anisopliae et Beauveria bassiana montrent une bonne efficacité au stade adulte et larvaire de l’insecte. Les spores des deux champignons ne semblent pas avoir d’effet sur les abeilles et sont très vite nettoyés dans les colonies fortement peuplées. Les recherches dans ce domaine sont en cours et semblent prometteuses17.

Il reste encore beaucoup à découvrir dans ce champ de recherche encore peu connu du grand public. Les champignons pourraient bien être une solution innovante pour le maintien de la santé des abeilles mais aussi pour le bio-contrôle dans le cadre de la protection des végétaux. Cela pourrait constituer une alternative positive à l’utilisation de produits phytosanitaires chimiques et donc une amélioration de l’environnement agricole.


Bibliographie et références

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  • 9 - Yoder, J. A., Christensen, B. S., Croxall, J., Sammataro, D., (2008) Suppression of growth rate of colony-associated fungi by high fructose corn syrup feeding supplement, formic acid, and oxalic acid. Journal of Apicultural Research 47(2) : 126-130.
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  • 17 - Muerrle, T. M., Neumann, P., Dames, J. F., Hepburn, H. R., & Hill, M. P. (2006). Susceptibility of adult Aethina tumida (Coleoptera : Nitidulidae) to entomopathogenic fungi. Journal of economic entomology, 99(1), 1-6.

Autres références

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  • Kanga, L. H. B., Jones, W. A., & James, R. R.(2003). Field trials using the fungal pathogen, Metarhizium anisopliae (Deuteromycetes : Hyphomycetes) to control the ectoparasitic mite, Varroa destructor (Acari : Varroidae) in honey bee, Apis mellifera (Hymenoptera : Apidae) colonies. Journal of economic entomology, 96(4), 1091-1099.
  • James, R. R.(2009). Microbial control for invasive arthropod pests of honey bees. In Use of microbes for control and eradication of invasive arthropods (pp. 271-288). Springer, Dordrecht.
  • Paul Stamets - How Mushrooms Can Save Bees and Our Food Supply