(Re)-Développer le savois-vivre ensemble avec les ruchers partagés

Doriane ALBERICO

Solidarité, altruisme, bienveillance et partage. Voilà des concepts qui ont déserté les « flash info » pour laisser place à des faits désolants dans l’actualité : refus à l’asile de réfugiés climatiques ou politiques, pandémies, réactions hostiles et pénuries irrationnelles de biens de première nécessité ou encore guerres et propos xénophobes. Dans un monde parfois égocentrique et trop souvent désinformé, peut-on encore rêver d’une société fondée sur des concepts positifs ? Si le programme déprimant du journal ne nous avance pas sur la question, nous pouvons néanmoins aspirer à une société plus ouverte en s’inspirant de nouvelles dynamiques positives comme on l’observe dans le secteur de l’apiculture. En effet, rien ne symbolise plus le partage que les « ruchers partagés » et ce n’est pas uniquement littéral...

Différents types de ruchers se distinguent sous l’appellation de « ruchers partagés ». Chacun possède un but différent : partage des connaissances, soutien matériel ou encore sensibilisation. Partons à la découverte de certains d’entre eux pour comprendre le rôle important qu’ils jouent dans le secteur apicole mais aussi leurs atouts et les différents points à considérer avant de s’investir dans un rucher partagé.

Les ruchers écoles et les ruchers tampons

Les ruchers écoles sont par définition de véritables lieux de formation qui ont toute leur place dans la famille des ruchers partagés car les ruches sont des outils d’apprentissage mis à disposition des étudiants et autour desquelles s’opère la transmission des savoirs apicoles. Ainsi, l’objectif de formation prime sur celui de la production : les ruchers écoles favorisent les échanges intergénérationnels dûs aux différents profils des étudiants et offrent une assistance tant technique qu’économique (conseils, rencontres, prêts de matériel, achats groupés).
Les « ruchers tampons », ou ruchers solidaires, représentent quant à eux un soutien solide pour les apiculteurs qui les sollicitent. En Wallonie, une section apicole est dite « rucher tampon » lorsqu’elle propose un service pour venir en aide à l’apiculteur subissant des pertes dans son cheptel. Ici aussi, l’objectif n’est pas la production de miel : le rucher tampon et les apiculteurs qui le supervisent ont pour mission de fournir des essaims de qualité et à prix limité pour permettre à l’apiculteur en détresse de relancer son activité.

D’autres exemples de ruchers partagés
Suivant une démarche tout aussi positive, nous avons découvert d’autres ruchers collectifs en France et en Belgique.

1. Le rucher partagé de Charleroi Nature asbl (CHANA) au verger de Parentville (Charleroi, Belgique

Objectif : l’asbl met gratuitement un terrain naturel et conforme aux exigences légales, à la disposition d’apiculteurs qui souhaitent établir une activité mais qui n’ont pas la possibilité de pratiquer chez eux.

Composition du rucher :
actuellement 10 ruches dont 2 appartenant à l’asbl et gérées par un apiculteur référent (Fig.2). Les 8 autres appartiennent à 3 apiculteurs de la région, principalement des débutants mais ayant impérativement suivi une formation apicole.

Autre(s) activité(s) : le rucher partagé est aussi un lieu didactique. L’absl reçoit sur place des groupes scolaires et organise des journées de stage pour faire découvrir l’apiculture aux enfants. Les riverains sont aussi les bienvenus sans rendez-vous pour cueillir les fruits du verger.

Fig. 2 Rucher partagé de Chana
Fig. 2 Rucher partagé de Chana

ATOUTS DU RUCHER PARTAGE
Échanges permanents de connaissances et d’expériences : un apiculteur profite du regard extérieur d’autres apiculteurs du rucher partagé sur sa propre pratique, lui permettant d’évoluer continuellement dans son activité.

Type de ruche : pas imposé, même si la ruche Dadant est majoritaire sur le rucher.
Espace d’entraide : les apiculteurs observent et signalent entre eux les problèmes rencontrés.

Environnement : conditions idéales pour la production de miel. Bois, forêts, terrils, verger, rucher excentré de la ville et des habitations.

Autonomie : chaque apiculteur reste autonome dans sa façon de travailler, organise sa propre conduite apicole et gère ses colonies.
Les apiculteurs du rucher bénéficient du conseil et du soutien technique d’un apiculteur référent.

Production de miel : pas de contrepartie. Chaque apiculteur garde sa production. Pour les ruches de CHANA, une partie de la récolte revient à l’apiculteur référent, l’autre sert de support pour illustrer l’activité du rucher lors des animations.

CONSIDERATIONS AVANT DE S’IMPLIQUER
Différences dans la formation apicole : les apiculteurs ne sont pas toujours formés de la même manière. Si la façon d’intervenir lors d’un problème rencontré au rucher peut être source de débats, la communication reste de mise.

Nombre de ruches : limité à 3 ruches par personne. Le rucher arrive ainsi progressivement à sa limite. Pas d’utilité de surcharger le verger et nécessité de limiter les concurrences avec les pollinisateurs sauvages.

Achats de matériel : à la charge de l’apiculteur. Seul le site est mis à disposition.
Autonomie encadrée :la convention mise en place par l’asbl reprend les grandes lignes de conduite à respecter en matière de sécurité, de responsabilités et de gestion du lieu sans pour autant imposer des exigences matérielles ou biologiques. Aussi, chaque apiculteur doit prévenir lorsqu’un traitement est effectué et avec quel produit.
Processus de création du rucher partagé qui peut prendre du temps, au travers des rencontres et par le bouche à oreille.

Témoignage de Sabrina Beaudoux, apicultrice au rucher partagé de CHANA
« Je viens de terminer ma deuxième année de formation en apiculture. Je vais commencer cet hiver les cours d’élevage. Je vis dans une maison sans jardin, avec juste une petite courette. J’ai donc cherché un emplacement pour y mettre des ruches et comme j’habite tout près du verger, c’est le lieu idéal pour moi. J’ai actuellement trois ruches au rucher partagé et je m’occupe aussi de celles de mon voisin sur le rucher. Les supports étaient déjà prêts et disponibles lors de l’installation des ruches, qui s’est d’ailleurs très bien passée. Je n’ai pas de problème avec les autres apiculteurs. Au final, on ne se croise que très rarement. Mais je pense que les apiculteurs doivent s’entraider : quand je vais au rucher et que je vois un problème, je le signale à Eric Baudoux, l’apiculteur référent. Inversement, lorsque les membres de CHANA, Eric ou les autres apiculteurs détectent un problème, ils nous préviennent par téléphone. En cas de doute, Eric est toujours là pour répondre présent sur les aspects techniques. David Dumont nous soutient pour la partie logistique. Actuellement, on a un problème avec le frelon asiatique. On va collaborer pour trouver une solution.Ce que j’apprécie le plus c’est la proximité par rapport à mon domicile et la bonne entente. Je souhaiterais d’ailleurs installer un point d’eau. On en a déjà discuté et ils sont très ouverts aux idées nouvelles. »

2.Le rucher pédagogique de la Maison des Jeunes et de la Culture (MJC) de Morangis (Paris, France)

Objectif : La MJC* a établi un rucher pédagogique dans le but de sensibiliser les habitants de la région au maintien de la biodiversité. Des animations sont organisées au rucher pour informer petits et grands sur le rôle de l’apiculture et plus largement des pollinisateurs dans notre environnement.

Composition : 3 ruches Dadant et une colonie en ruche-tronc naturelle récupérée dans le parc de la ville (Fig. 3 et 4).

Autre(s) activité(s) : le rucher fait partie intégrante d’un jardin mellifère partagé qui répond au projet « zone de Bzzz » de l’association Agir pour l’environnement dont l’objectif est d’établir une terre d’accueil pour les insectes pollinisateurs. Pour créer un espace dans lequel des graines de fleurs nectarifères et pollinifères sont semées et où les pesticides chimiques sont proscrits, la MJC achète des « kits zones de Bzzz » et les distribue au public qui souhaite semer des zones de Bzzz. L’association est également intervenue dans le collège de Morangis pour sensibiliser les élèves de 11-12 ans au monde des abeilles. Au-delà des enfants, l’équipe de la MJC organise régulièrement des expositions ciblant les adultes en présentant les différentes missions de l’association dont le rucher et les projets associés.
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Fig. 3 Ruche-tronc du rucher de la MJC de Morangis

Fig. 4 Rucher Dadant de la <span class="caps">MJC</span> de Morangis
Fig. 4 Rucher Dadant de la MJC de Morangis

ATOUTS DE RUCHER PARTAGE
Échanges permanents de connaissances et d’expériences : l’apiculteur référent décide des aspects techniques et forme l’équipe de la MJC au fur et à mesure des interventions. Avec l’intérêt croissant de l’équipe, les échanges de connaissances et les suggestions abondent.

Environnement : la floraison du jardin partagé est étalée sur toute la saison apicole, favorable à la nutrition des abeilles (fleurs ornementales, plantes aromatiques, fruitiers et quelques légumes).

Autonomie : une relation de confiance s’est instaurée et l’équipe de la MJC peut intervenir lorsque l’apiculteur n’est pas disponible. L’expérience grandissante de l’équipe facilite les interventions au fil de la saison.

L’équipe de la MJC et les adhérents qui s’investissent au rucher bénéficient du conseil et du soutien technique d’un apiculteur référent : il est lié par une convention avec la MJC et dirige les actions à mettre en place au rucher.

Production de miel : le miel récolté sert de support lors des différentes animations de sensibilisation. Les surplus sont vendus aux adhérents de la MJC ce qui permet d’équilibrer les budgets et de réinvestir dans le rucher.

CONSIDERATIONS AVANT DE S’IMPLIQUER
Fréquence des animations variables : dépend des disponibilités de l’apiculteur référent ainsi que de la météo. L’impossibilité d’anticiper les activités longtemps à l’avance entraine une certaine difficulté à réunir le public autour du rucher. Les activités sont plus faciles à mettre en place l’hiver : les bénévoles sont impliqués dans l’entretien et la préparation du rucher pour la saison suivante.

Capacité d’accueil au rucher limitée : le rucher est enfermé par une palissade pour respecter les exigences légales en matière de distances. L’espace restreint autour des ruches limite les animations et le nombre d’adhérents au rucher.

Type de ruches adapté aux activités du rucher : la ruche Dadant est plus pratique à utiliser lors des animations pédagogiques. La ruche-tronc est intéressante pour illustrer la vie des abeilles à l’état naturel mais elle est peu pratique : difficile d’entrer dans la ruche, d’intervenir, de traiter ou de faire l’état des lieux.

Processus de création du rucher nuancé :

  • Facile d’un point de vue technique grâce à l’expérience de l’apiculteur en charge de trouver les essaims et le matériel.
  • Contraintes légales surmontées par la palissade construite avec les bénévoles de la MJC.
  • Financé par des subventions. Pour limiter les coûts, l’équipe de la MJC se veut raisonnable dans ses achats (réparer, recycler, faire soi-même).

Témoignage de Stéphane Girard, animateur à la MJC de Morangis.
Par son travail, Stéphane a découvert le monde des abeilles, il s’est investi et a créé son propre rucher chez lui.

« De fait, le rucher de la MJC est partagé, ne serait-ce déjà qu’entre l’apiculteur et l’équipe de la MJC. Puis, il reste visible dans la palissade. Tous les adhérents qui le souhaitent peuvent venir observer les abeilles sans être équipés. C’est l’intérêt premier du rucher : on est dans la sensibilisation (…) Plus on va en parler au plus grand monde, plus on va sensibiliser à cette nécessité de préserver la biodiversité, de souligner le côté « indispensable » des abeilles pour les humains (…) On se dit aussi que plus les sensibilisations commencent tôt (en âge), plus on a de chance que ce soit efficace pour les adultes de demain. »

Conclusion

Chaque rucher partagé a un objectif subtilement différent qui en fait sa spécificité et chacun s’inscrit ainsi dans une dimension particulière : tantôt sociale, tantôt agronomique, économique ou matérielle. Que ce soit pour former les uns, pallier aux pertes de cheptels des autres, établir une activité pédagogique, partager un terrain pour y installer des ruches ou encore susciter l’intérêt et pourquoi pas des vocations, les ruchers partagés sont des structures utiles tant aux apiculteurs qu’au grand public.