Les abeilles sont de précieux bioindicateurs de la qualité de notre environnement. Là où elles tombent en masse, les problèmes de santé humaine suivent rapidement. Nos parlementaires européens sont conscients du problème lié à cette disparition très inquiétante des pollinisateurs. Ils ont d’ailleurs largement soutenu (560 oui contre 27 non et 28 abstentions) le rapport Erdős sur les perspectives et les enjeux du secteur apicole de l’Union européenne. Ce document pointe du doigt les principales menaces actuelles sur le secteur et soutient les dossiers suivants : la suppression des pesticides dangereux pour les abeilles, le renforcement des contrôles sur les miels d’importation, l’importance de sources diversifiées d’alimentation pour les pollinisateurs, la promotion des bénéfices santé des produits de la ruche. En revanche, la situation sur le terrain est loin d’être aussi positive.
Les problèmes de marché
Sur le terrain, les apiculteurs sont dans l’expectative car tous les indicateurs restent dans le rouge et la situation continue à s’aggraver sans pour autant voir une lueur d’espoir poindre à l’horizon. L’état du marché du miel est très alarmant pour les apiculteurs professionnels qui n’ont pas la chance de pouvoir commercialiser leurs miels au détail. Les prix atteignent des montants ridiculement bas qui n’avaient pas été atteints depuis des années dans plusieurs pays parmi les gros producteurs de miel (autour de 2 €/kg (toutes fleurs) ce qui est 25 % en dessous des coûts de production minimum). Sur les marchés internationaux, les prix continuent à descendre et le miel chinois (qui ne répond pas aux critères dictés par la définition européenne du miel) n’échappe pas à la règle : il atteint son seuil le plus bas (sous les 1,5 €/kg). Les producteurs européens qui vendent en gros ne peuvent différencier et ainsi valoriser leurs miels par un étiquetage indiquant leur origine géographique.
Ils sont donc contraints de s’aligner sous la pression des acheteurs et ils laissent partir leurs miels à perte pour continuer à le vendre et à en dégager un revenu.
Aujourd’hui, on sait clairement que ces chutes de prix sont directement liées à l’apport massif de miels adultérés sur le marché. Ainsi, le Centre Commun de Recherche de la Commission, après avoir clairement montré qu’un pourcentage important des miels était adultéré, a défini un plan d’actions pour limiter les fraudes. Mais les Etats membres ne semblent pas sensibilisés pour l’instant par ce problème sans risque réel pour la santé humaine. On pourrait également modifier la directive Miel comme le demandent les parlementaires européens mais là, ce sont les directives du Conseil des ministres de l’Union européenne visant à une simplification administrative qui s’opposent à une indication des différents pays d’origine de provenance des miels. Les pays sont libres de faire ce choix. Ce n’est pas contraignant… et l’industrie alimentaire freine des quatre fers !
S’ajoutent à ces contraintes économiques des événements climatiques perturbants ces dernières années qui ont eu pour conséquences des réductions importantes de production et des pertes de rentabilité.
Les pesticides
La décision de la Commission d’interdire les trois insecticides néonicotinoïdes les plus préjudiciables a été accueillie avec une grande satisfaction par tous les défenseurs des abeilles et autres pollinisateurs. Aujourd’hui, les demandes de dérogations sont cependant de plus en plus nombreuses et l’on est en droit de se demander quel sera l’effet réel de cette interdiction si nos terres continuent à être polluées par de tels contaminants qui se retrouvent encore plusieurs années après leur usage dans les fleurs mellifères qui les remontent des sols.
Depuis 2013, une majorité d’Etats membres au sein du comité permanent spécialisé (Scopaff) bloquent la mise en application du document d’orientation de l’EFSA pour améliorer l’évaluation des risques des produits phytosanitaires sur les abeilles (Apis mellifera, Bombus spp. et abeilles solitaires). Ce document était pourtant mis en application par l’EFSA dans les nouveaux dossiers d’agréments. Pour sortir de l’impasse, la Direction Générale de la Santé vient d’annoncer la proposition de retarder de deux ans la mise en application des tests de toxicité chronique, élément clé du banc imposé aux firmes désirant introduire un nouveau produit. Pourtant ces tests sont indispensables pour permettre une évaluation correcte de tous les pro duits persistants, éventuellement systémiques (utilisés en traitement de semences), capables de générer des problèmes létaux et sublétaux chez les abeilles mellifères. On peut assimiler ceci à un retour de 5 à 10 ans en arrière malgré les très nombreuses publications scientifiques qui mettent en évidence l’importance de ces tests.
La future PAC
Le constat sur ce point est franche ment alarmant car la politique se dirige vers un nivellement par le bas. A titre d’exemple, les règles de conditionnalité ne reprennent que les impositions légales qui ont pu être appliquées dans tous les Etats membres. Le simple respect de la législation européenne n’est donc pas demandé en matière d’utilisation des pesticides ou de respect de l’environnement. Les Etats membres vont pou voir demander plus à leurs agriculteurs s’ils le désirent en créant ainsi une dis parité entre les conditions de production de chaque pays. Ils doivent atteindre des objectifs basés sur des critères impartiaux. Là aussi l’environnement est le parent pauvre et les pollinisateurs sont totalement oubliés même si la Commission indique clairement dans son rapport « Initiative européenne sur les pollinisateurs » (COM/2018/395 final) que les pollinisateurs devraient faire partie de ces indicateurs dès qu’ils seront opérationnels.
Comme nous pouvons le constater, LES CITOYENS, RELAYÉS LARGEMENT PAR LES PARLEMENTAIRES EUROPÉENS NE SONT PAS ENTENDUS PAR LE CONSEIL DES MINISTRES DE L’UNION EUROPÉENNE.
Nous demandons expressément aux différents ministres nationaux participant au Conseil des Ministres de l’Union européenne, d’agir rapidement pour mettre fin à ces menaces qui détruisent le tissu professionnel apicole mais également les colonies d’abeilles et les autres pollinisateurs. Pour cela plusieurs actions conjointes doivent être menées rapidement :
Pour assainir le marché :
1.Donner les moyens au Centre Commun de Recherche de la Commission de mettre en place son plan d’actions.
2.Améliorer la traçabilité des miels et autres produits de la ruche.
3.Revoir la directive miel (2001/110) pour imposer la mention des pays d’origine sur tous les mélanges de miels ou, au moins, l’utilisation d’un QR code qui y fait référence.
Concernant les pesticides :
1.Renforcer les contrôles visant à autoriser les dérogations non seulement sur base de l’analyse administrative des dossiers mais surtout sur la pertinence de l’absence de traite ment alternatif et sur l’impact économique réel de l’absence d’utilisation des néconicotinoïdes pour les cultures concernées zone par zone.
2.Lever le blocage de la mise en appli cation du document de l’EFSA au plus vite. En attendant de reconduire les tests de toxicité chronique, tous les nouveaux pesticides persistants éventuellement systémiques doivent être bloqués vu que leur impact sur les pollinisateurs ne peut pas être évalué correctement.
3.Développer davantage la mise en application de la lutte intégrée et privilégier les stratégies de pro tection alternative au niveau des exploitations agricoles. En cas de traitement, il faut choisir les pro duits les moins préjudiciables pour les abeilles :
• Éviter les produits à large spectre d’activité et présentant une longue rémanence,
• Éviter d’utiliser des mélanges,
• Traiter en dehors des périodes d’activité des pollinisateurs et après avertissement des apiculteurs.
Concernant la PAC :
1.Les pollinisateurs doivent être intégrés directement dans la future PAC.
2.Les pollinisateurs doivent être repris dès que possible comme un indicateur de la richesse biologique.
3.Des mesures spécifiques en relation avec les pollinisateurs doivent être préconisées comme par exemple :
• La gestion des relations agriculteur - apiculteur : accueil de colonies et éventuellement de nichoirs à abeilles sauvages dans l‘exploitation durant la saison apicole et mise à disposition d’éléments nécessaires au développement des abeilles (point d’eau claire à proximité, etc.)
• La gestion des parcelles : taille de parcelles limitées (max 10 ha) afin de conserver une surface de bords de
champs représentative avec présence d’une bonne diversité florale dans les bords de champs et les prairies (largeur respectant au moins la législation) et présence de plantes attractives pour les pollinisateurs dans les rotations (soit via des cultures spécifiques ou la présence d’adventices comme les bleuets ou les coquelicots en céréales).
• Une gestion des éléments environnementaux : maintien, aménagement et gestion de haies et autres éléments arborés afin d’arriver à au moins 5 espèces botaniques et deux ou trois strates (herbacée, arbustive, arborescente) en évitant la taille en période de floraison.
• Une gestion des pesticides respec tueuse des pollinisateurs.
C’est seulement avec la mise en place de l’ensemble de ces mesures que l’on pourra assurer une survie des pollinisateurs dans l’Union européenne et qu’un développement d’une apiculture durable pourra se faire. Cela permettra également d’assurer une bonne pollinisation de nos cultures et de notre environnement et de fournir le marché européen en produits apicoles de haute qualité.