FICHE PEDAGOGIQUE : La communication sonore

Agnès FAYET

On ne peut pas parler de communication dans la ruche sans évoquer les sons émis par les abeilles. Pour définir précisément ce type d’émission, on peut parler de communication vibratoire audible par l’homme. Le sujet reste encore peu connu malgré les progrès que permettent aujourd’hui les enregistrements à grande vitesse.

Un apiculteur expérimenté est capable de reconnaître les sons de la ruche. Ils traduisent « l’humeur » de la colonie : agitation, énervement, calme, faim… Il y a certains « souffles » quand on lève tel ou tel cadre. Des signes sonores interprétés. Un langage assez subtil.

Comment les abeilles produisent-elles des sons ?

À la différence des grillons, les abeilles ne sont pas équipées biologiquement pour la production spécifique de signaux acoustiques. Mouvements du corps, mouvements des ailes, contractions musculaires à haute fréquence sans mouvements des ailes et en appuyant le thorax contre un support ou contre une autre abeille, sont autant de mécanismes qui permettent aux abeilles d’émettre un son. Le son le plus familier est le bourdonnement généré par les étirements et les contractions des muscles antagonistes (dorsaux-ventraux et dorsaux-longitudinaux), mouvements également utilisés pour voler. La fréquence d’oscillation du thorax de l’abeille est toutefois plus élevée en produisant un son qu’en volant. La rigidification du thorax produit une modulation de fréquence, modulation plus haute lorsque les ailes sont repliées (les ailes amortissent les vibrations). Les vibrations sont à la fois transmises par le support (le rayon de cire) et par l’air (les vibrations audibles). Les ailes peuvent battre 11.400 fois par minute mais le son varie en fonction des circonstances, des colonies et même des sous-espèces d’abeilles mellifères.

Le chant des reines

Le chant des reines, que la langue anglaise appelle « piping », est le son phare de la colonie. Ce chant marque la période d’essaimage. Dans les colonies fortes, après un premier essaimage et en raison d’une période de mauvais temps qui paralyse un peu la colonie, les reines (celle qui est là et celles qui vont bientôt naître) se mettent à chanter. Cela prépare ce qui est appelé un « essaim primaire de chant ». La reine en place émet un son proche du « tuuuuuuut-tut-tut-tut-tut-tut-tut-tut ». La reine prête à naître, toujours dans sa cellule royale, répond par un « kwak-kwak-kwak-kwak-kwak ». Les signaux sonores sont transmis par la reine qui presse son thorax contre le rayon de cire ou contre la paroi de la cellule. Dès que la météo sera redevenue plus clémente, l’essaimage aura lieu. Puis peut-être un secondaire et même un tertiaire en cas de colonie très forte.

Le chant des ouvrières

Nous ne sommes sans doute pas encore au bout des découvertes concernant l’usage sonore dans la colonie. Quelques faits vérifiés par la science peuvent déjà être signalés ici.

Pendant la danse frétillante, les butineuses produisent des sons lorsqu’elles sont dans la ligne droite. Le nombre d’impulsions sonores émises transmet des informations sur la distance des ressources. Plus les émissions sonores sont longues, plus loin se trouve la source de nourriture.

Durée des sons et distance dans la danse frétillante - Kirchner et al., 1988
Durée des sons et distance dans la danse frétillante
Kirchner et al., 1988

Les butineuses chargées du déchargement du nectar règlent leurs vibrations à basse fréquence sur la concentration en sucre de la récolte. L‘amplitude de la vitesse et la fréquence principale des vibrations thoraciques augmentent en même temps que l‘augmentation des concentrations en sucre. Quant à elles, les butineuses à nectar réduisent l‘intensité de leurs vibrations basses fréquences lorsqu‘elles abandonnent leur collecte alimentaire. Un lien étroit existe entre les vibrations thoraciques à basse fréquence et les températures thoraciques des ouvrières. Des associations peuvent donc être faites, du point de vue de la communication dans la colonie, entre émissions sonores et perceptions sensorielles. Les stimuli thermiques et vibratoires/sonores ont ensemble une valeur informative au sens où ils fonctionnent comme des indicateurs de l‘activité d’une ouvrière. Il semble que des liens pourraient être faits entre production sonore, état d’occupation des groupes d’ouvrières et motivation des ouvrières confrontées aux messages sonores perçus, (Hrncir et al., 2019).

Au moment de l’essaimage, les éclaireuses exécutent une danse d’orientation très similaire à la danse frétillante. Elles vibrent et émettent des sons très brefs de quelques dixièmes de secondes sur une fréquence de 200-300 Hz. A l’instar des reines, les éclaireuses communiquent la vibration sonore via le rayon de cire. Elles peuvent le faire aussi en appuyant la tête contre une autre ouvrière tout en émettant le son. Par ailleurs, une sortie d’essaim s’accompagne, comme chacun sait, d‘un bruit très caractéristique ressemblant à un fort bourdonnement : le vrombissement caractéristique de 10.000 à 30.000 abeilles qui s’élancent hors de la ruche.

Principales signatures acoustiques des colonies d'abeilles
Principales signatures acoustiques des colonies d’abeilles

Surveillance et sons de la colonie

Une relation stricte entre les caractéristiques sonores d’une colonie et certains événements ou certains états peuvent avoir lieu : essaimage, colonie orpheline, etc. Lorsqu‘une colonie perd sa reine, toutes les abeilles ont tendance à passer d‘un état d‘activité organisée à un état désorganisé (Butler, 1954). Cela se marque par une modification de l’ambiance sonore de la colonie. D’autres facteurs comme le nombre d‘abeilles, les conditions météorologiques et les données écologiques, peuvent influer sur le modèle sonore d‘une colonie (Eskov et al., 2011 ; Howard et al., 2013). De même, une infestation de varroas peut modifier le son produit par une colonie par rapport à un état défini de « bonne santé » (Qandour et al., 2014). Il existe des signatures sonores produites par les colonies infestées. De même, on peut identifier la présence de produits chimiques toxiques pour les abeilles, la colonie se montrant plus bruyante lorsqu’elle est exposée (Bromenshenk et al., 2015). Cet ensemble de données présente un fort potentiel dans le cadre de monitoring environnementaux incluant des ruches ainsi que dans le contexte de ce qu’on appelle aujourd’hui l’apiculture de précision qui se base sur des informations captées dans la ruche.

Références :

  • Bromenshenk, J., Henderson, C., Seccomb, R., Welch, P., Debnam, S., & Firth, D. (2015). Bees as biosensors : chemosensory ability, honey bee monitoring systems, and emergent sensor technologies derived from the pollinator syndrome. Biosensors, 5(4), 678-711.
  • Cecchi, S., Terenzi, A., Orcioni, S., Spinsante, S., Primiani, V. M., Moglie, F., ... & Isidoro, N. (2019, May). Multi-sensor platform for real time measurements of honey bee hive parameters. In IOP Conference Series : Earth and Environmental Science (Vol. 275, No. 1, p. 012016). IOP Publishing.
  • Eskov, E. K., & Toboev, V. A.(2011). Changes in the structure of sounds generated by bee colonies during sociotomy. Entomological review, 91(3), 347.
  • Howard, D., Duran, O., Hunter, G., & Stebel, K. (2013). Signal Processing the Acoustics of Honeybees (Apis Mellifera) to Identify the ‘Queenless’ State in Hives. Proceedings of the Institute of Acoustics, 35(1), 290-297.
  • Hrncir, M., Maia-Silva, C., & Farina, W. M. (2019). Honey bee workers generate low-frequency vibrations that are reliable indicators of their activity level. Journal of Comparative Physiology A, 205(1), 79-86.
  • Kirchner WH, Lindauer M (1988), Honey Bee dance communication. Naturwissenschaften 75:629–630.
  • Michelsen, A., Kirchner, W. H., & Lindauer, M. (1986). Sound and vibrational signals in the dance language of the honeybee, Apis mellifera. Behavioral ecology and sociobiology, 18(3), 207-212.
  • Pérez, N., Jesús, F., Pérez, C., Niell, S., Draper, A., Obrusnik, N., ... & Monzón, P. (2016). Continuous monitoring of beehives’ sound for environmental pollution control. Ecological engineering, 90, 326-330.
  • Qandour, A., Ahmad, I., Habibi, D., & Leppard, M. (2014). Remote beehive monitoring using acoustic signals.
  • Robles-Guerrero, A., Saucedo-Anaya, T., González-Ramírez, E., & De la Rosa-Vargas, J. I.(2019). Analysis of a multiclass classification problem by Lasso Logistic Regression and Singular Value Decomposition to identify sound patterns in queenless bee colonies. Computers and Electronics in Agriculture, 159, 69-74.