Pouvez-vous nous dire ce qu’est la biodynamie en peu de mots ?
A la base de la démarche biodynamique, il y a la volonté de travailler en relation avec le vivant et ses forces propres. Dans un article intitulé « Comprendre les abeilles, et pratiquer une apiculture respectueuse de leur nature », Johannes Wirz nous ouvre à ces forces, aux impulsions de la colonie. L’état d’esprit qui unit l’apiculteur, l’environnement, la ruche et ses ambiances rejaillit dans les techniques mises en œuvre comme le prescrit la certification en biodynamie (label Demeter). Plus stricte que la certification bio, elle impose des résultats qualitatifs mesurés et des exigences précises quant à la conduite des colonies dans le but « de permettre aux abeilles de retrouver leur véritable nature ».
www.demeter.fr/wp-contentuploads/2016/02/Cahier-des-charges-Production-ed-janv-2016.pdf
Peut-on être professionnel et travailler en biodynamie ?
Le cahier des charges Demeter est précisément là pour les professionnels. Il n’y a aucun professionnel certifié en Belgique et une petite dizaine en France.
Une autre question est de savoir si l’apiculture naturelle est rentable. On peut répondre positivement si on distingue bien rentabilité et productivité. On peut gagner autant en produisant moins si on diminue ses charges et son temps de travail. Il est possible de réduire l’utilisation des sirops de nourrissement, de se passer des cires et même des produits de traitement chimiques si l’on opte pour la technique de la rupture de ponte. J’utilise simplement quelques gouttes d’huile essentielle de thym thymol et des plantes dans le sirop de nourrissement. Je précise que j’ai eu le plaisir de conserver toutes mes colonies en cette sortie d’hiver.
Quelles sont les différences entre l’apiculture dans l’esprit de la biodynamie et l’apiculture « classique » ?
La première différence réside dans la relation au vivant. Les apiculteurs en biodynamie ont à cœur le respect des forces du vivant et donc de la nature de l’abeille. Ils travaillent à l’écoute de la colonie, respectent la vitalité de la ruche et l’honorent. L’essaimage, par exemple, est accueilli comme un élément de base du développement de la colonie. C’est un élément clef de sa multiplication. Il n’est donc pas question de parler de « lutte contre l’essaimage ». L’essaimage est perçu comme un élan de vie et comme une opportunité de diviser la colonie c’est-à-dire simplement de créer des essaims artificiels. D’autre part, la fièvre d’essaimage peut être mise à profit pour récupérer des cellules royales qui seront introduites dans les colonies qui en ont besoin. Cette pratique est acceptée par le cahier des charges DEMETER. Par contre, aucun élevage artificiel de reines n’est autorisé pas plus que le greffage et l’insémination instrumentale. La sélection n’est pratiquée que dans le cadre des divisions de colonies. C’est une sélection naturelle qui privilégie la fécondation multiple de la reine. On peut parler d’une sélection « négative » : les plus faibles ne sont simplement pas conservées. Je cautionne à 100 % cette démarche. Je me demande vraiment si l’élevage de reines n’a pas prouvé sa faillite lorsqu’on constate aujourd’hui que la longévité d’une reine est réduite à 1 ou 2 ans. Par ailleurs, j’accueille avec bonheur les « colonies vives », qui ont conservé leur instinct de défense. Je ne souhaite pas des abeilles qui ont perdu leurs moyens de se défendre. Une abeille calme et qui tient au cadre a-t-elle la réactivité requise face à varroa ou au frelon ? On peut se poser la question de la pertinence de certains plans de sélection. Pour son propre confort, l’apiculteur ne veut pas d’abeilles qui propolisent. Ce faisant, il sélectionne des abeilles privées d’un bon outil de défense sanitaire. De nombreuses questions du même genre peuvent être posées.
Quelles abeilles élevez-vous ?
Je ne me préoccupe pas des races d’abeilles. J’élève de la « zinneke » pure souche ! Mais qu’elles aient de la vitalité ! Je préfère des abeilles vives et bien adaptées à leur environnement. Les colonies particulièrement vives sont simplement placées dans un rucher à 1 kilomètre de toute habitation. D’autres sont à 10 mètres de la pergola où nous mangeons en été.
J’ai l’impression que la notion de « bien-être animal » est omniprésente dans la démarche biodynamique et dans la vôtre. Je me trompe ?
C’est tout à fait vrai. Il s’agit de collaborer avec la colonie et pas de la soumettre à des pratiques contraires à sa nature simplement pour arranger l’apiculteur. Pour le nourrissement, il faut privilégier un aliment qui soit le plus proche possible de la nourriture naturelle de l’abeille, à savoir le miel ou un aliment contenant au minimum 10 % de miel. Je ne pratique pas de récolte sur la miellée d’été et leur laisse une large provision de leur miel. Le clippage des reines est interdit. A titre personnel, je refuse aussi le « tuage des reines ». Tuer une reine est une rupture du contrat d’amour qui me lie à la colonie. Je suis fortement interpellé par le manque de respect absolu qu’est le fait de tuer la reine qui a porté la vie de sa colonie et qui a contribué à son harmonie. Pour autant, on ne peut pas laisser une colonie s’effondrer du fait d’une reine défaillante. Je mets les reines à la retraite avant qu’elles ne soient trop faibles. Une reine qui a été fort productive la saison précédente ou qui n’a plus la force de peupler une Dadant 10 est transférée au printemps dans une ruche de petite taille avec une poignée d’abeilles. Je laisse la colonie dont elle provient se rémérer naturellement avec des cellules de sauveté. Je fais en sorte que les deux colonies puissent hiverner. L’année suivante, la vieille reine peut essaimer. C’est une marque de respect pour la vie qui m’importe beaucoup. C’est aussi une pratique qui me satisfait au niveau apicole car j’ai plusieurs colonies de production qui sont filles de ces reines (Voir Abeilles&Cie n°164 - Une seconde vie pour les reines de réforme ? - www.cari.be/medias/abcie_articles/164_conduite.pdf).
Vous parliez d’une réduction des coûts en faisant l’économie des cires.
Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je me refuse à introduire des cires fondues dans mes ruches. Au-delà du coût que cela représente, je considère cette pratique comme une manière de conserver les polluants liposolubles dans les ruches. Je préfère les constructions naturelles préconisées par la charte Demeter qui laissent à la vitalité des cirières la liberté de s’exprimer selon les besoins de la colonie dans des bâtisses qui respirent la santé. De plus, ceci permet aux abeilles de vivre dans un environnement sain. N’ont-elles pas envie de déserter la ruche lorsqu’elle est polluée par des cires chargées de polluants et ré-introduites par l’apiculteur ? C’est une question que l’on peut vraiment se poser.
Qu’est-ce que vous a appris le travail en biodynamie ?
Travailler en biodynamie est la conséquence de ma remise en question du modèle apicole enseigné et de mes propres pratiques. Pour me sentir en harmonie avec les abeilles, j’ai dû revoir aussi mon modèle financier. Curieux ? Pas tant que ça. Pour mettre moins de pression sur mes colonies, j’ai cherché à limiter les coûts. J’ai commencé à renoncer au modèle commercial Dadant 10 cadres pour des Warré auto-construites en mélèze des Ardennes belges et en bois de palettes de récupération pour les toits et planchers. Les toits sont par ailleurs tôlés avec de l’aluminium de récupération d’imprimerie. Limitation de l’empreinte écologique, relocalisation de l’origine des matériaux et recyclage donc, sans compter le plaisir de fabriquer les ruches soi-même ! La démarche a été comparable à la miellerie. J’ai cherché des méthodes alternatives à la centrifugation des cadres puisque j’ai opté pour les barrettes et les constructions naturelles. J’ai opté pour l’égouttement du miel après découpage sommaire des rayons. J’utilise simplement le système du double seau. L’un, percé pour faire office de passoire, est posé au-dessus de l’autre qui recueille le miel après l’égouttement. Bien sûr, cela demande plus d’espace au sol qu’une centrifugeuse. C’est un petit inconvénient qui est compensé par le fait que le miel n’est pas oxygéné par l’extraction. J’ai choisi de ne pas travailler mon miel.
En 2016, j’ai également mis en pot du miel en rayon. La pureté des cires fraîches et leur faible épaisseur en font un produit incomparable qui, même au cœur de l’hiver, offre l’ambiance de la ruche avec la richesse de ses odeurs et toute la chaleur du soleil. C’est un des produits que j’envisage de développer, l’autre étant la cire pour la cosmétique et les cierges. Mais j’ai encore beaucoup de choses à apprendre. Je compte me former davantage à l’accompagnement de l’essaimage comme aux préparations biodynamiques qui donnent une vitalité très particulière aux sols. Je suis très sensible à l’ambiance qui règne dans mon rucher installé dans une pâture traitée de la sorte.
Quels mots résument le mieux la démarche biodynamique ?
Il y a certainement le mot « observation ». Observer permet de découvrir, de comprendre la colonie, de questionner son attitude. Observer permet de s’émerveiller. J’aime beaucoup le tableau du peintre allemand Hans Thoma (voir p.7) intitulé « Derbienenfreund » (L’ami des abeilles). Il représente un apiculteur assis devant les ruches. Il n’est pas en action. Il ne visite pas sa colonie, il lui rend visite. La suite découle de cette relation.
On peut aussi ajouter le mot « respect » : respect de la nature de l’abeille, de son instinct d’essaimage, de la force vive des colonies, du travail que la colonie et la reine réalisent.
Au-delà même de l’apiculture, je vis l’approche biodynamique comme une démarche globale qui me met en relation avec un organisme complexe et magnifique : le Vivant. Et chacun de nous peut mettre derrière ce V majuscule ce que nos croyances nous amènent à y voir.
Quelques lectures conseillées par François Godet
Bernard Bertrand, Ruches de biodiversité, édition de Terran.
Biodynamis, Le ver de terre, l’abeille et la vache, Hors-série n°11, 75 pages, Ed. MCBD 2009.
Michael Bush, The Practical Beekeeper. Beekeeping Natural.
Gilles Denis, La ruche Warré. Mode d’emploi, techniques et conduite.
David Heaf, The Bee-friendly Beekeeper. A sustainable approach. Northern Bee Books, 2010 et sa version française Une ruche respectueuse des abeilles : la ruche Warré, édition de Terran (voir critique dans la rubrique Voir&Faire p.6-7).
Jürgen Tautz, L’étonnante abeille, De Boeck, 2009.
Thomas Seeley, Honeybee Democracy, Princeton University Press, 2010.
Michael Weiler, Bees and Honey, from Flower to Jar, Floris Books, 2006.
Johannes Wirz, Comprendre les abeilles, et pratiquer une apiculture respectueuse de leur nature
www.bio-dynamie.org/biodynamie/recherche/reference-scientifique/, 2014
Organismes de contact
En Wallonie :
Mouvement de Culture Biodynamique de Wallonie
Jacques Paris
Rue du Vachau, 2 - 5590 Ciney (Serinchamps)
Tél. : 083 / 68.87.89 - biodyn chez ez4u.be
www.ez4u.be/biodyn/
En France :
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5 place de la Gare - 68000 COLMAR
Tél : +33 (0)3 89 24 36 41
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