Au cœur de la cellule : vidéos et éthologie de la colonie d’abeilles

Agnès FAYET

Le Dr. Paul Siefert est chercheur à l’Université Goethe de Francfort-sur-le-Main. Lui et ses collègues de l’Institut fűr Bienenkurde ont mis au point une méthode d’observation vidéo au sein de la colonie d’abeilles. Ils ont ainsi pu précisément étudier le développement du couvain et le comportement des abeilles dans un certain nombre de contextes. Les vidéos réalisées sont diffusées à des fins didactiques.

La méthode d’observation

Les chercheurs allemands ont développé une méthode avec laquelle ils peuvent réaliser des enregistrements vidéo de cellules coupées dans le sens de la longueur. L’enregistrement vidéo macro est réalisé dans une zone de couvain d’une ruche d’observation équipée d’une vitre et d’un plafonnier émettant une lumière infrarouge. Un bol métallique de 20 cm de diamètre, peint avec un vernis blanc mat à l’intérieur reçoit l’objectif de la caméra. Les chercheurs ont ainsi pu filmer des cellules coupées en deux et analyser les enregistrements vidéo sur le long terme. Ils ont pu ainsi obtenir des confirmations sur les comportements des abeilles. Les enregistrements vidéo sont disponibles en ligne et mis à disposition à des fins éducatives pour approfondir les connaissances des apiculteurs et pour faire découvrir la magie de la colonie d’abeilles aux enfants et au grand public.

Dispositif de prise de vue
© Paul Siefert , Nastasya Buling, Bernd Grünewald

Les activités observées

Grâce à leurs enregistrements, les chercheurs disposent d’un aperçu assez complet des comportements des ouvrières au sein du nid à couvain. Cela concerne la construction des cellules (apport d’écailles de cire, modelage de la cire, réparation des cellules, la nutrition (nourrissement des larves, stockage du nectar et du pollen dans les cellules), la thermorégulation et les soins apportés au couvain, l’hygiène et le comportement face aux parasites (pratiques hygiéniques, toilettage, cannibalisme, nettoyage des cellules) et le développement des larves (de la ponte de l’œuf à l’émergence en passant par la métamorphose).

Des œufs à l’éclosion des larves

Après la ponte (Vidéo S1), l’œuf reste immobile mais les ouvrières le poussent parfois vers la base de la cellule (Vidéo S2), surtout lorsque la cellule est intensément vérifiée (Vidéo S3). Les ouvrières entrent dans les cellules pour assurer la thermorégulation du couvain et il est probable que les œufs qui restent en position descendante soient le résultat de la fréquence de cette pratique. L’éclosion de la larve (Vidéo S4) est initiée par des mouvements de flexion qui augmentent jusqu’à ce que l’extrémité antérieure de la larve touche la surface de la cire.

Position de l’ouvrière qui dépose une pelote de pollen dans une cellule
Dessin © Nastasya Buling

Le nourrissement des larves et le tissage du cocon

Le nourrissement des larves est toujours précédé d’une inspection de la cellule. Les antennes et les pièces buccales de la nourrice sont dirigées vers la larve. Après l’inspection, l’ouvrière fait vibrer ses mandibules tout en s’approchant progressivement de la larve. Alors que la nourriture doit être soigneusement positionnée près des jeunes larves (Vidéo S5), dès qu’elles ont trois jours, la nourriture est déposée indifféremment sur les parois cellulaires. Les larves qui reçoivent une alimentation directement dans la bouche ne bougent pas après l’apport de nourriture (Vidéo S6). Une fois que la larve a été nourrie pour la dernière fois, le tissage du cocon commence avec des mouvements de tapotement de l’extrémité antérieure de la larve où se trouvent les glandes à soie (Vidéo S7). Le tissage du cocon dure entre 32 et 35 minutes.

Position des antennes pour le nourrissement
Dessin © Nastasya Buling

La construction des cellules et l’operculation

La cire utilisée pour la construction des cellules se trouve soit sous la forme d’écailles de cire transparentes, soit sous la forme de cire prélevée dans la colonie et étirée en filaments. C’est souvent le cas lorsqu’il s’agit de réparations urgentes. Cette opération d’étirage de la cire peut être réalisée par n’importe quelle ouvrière, même celles qui n’ont pas les glandes cirières développées (Vidéo S8). La production d’écailles de cire est réservée aux cirières qui font rapidement passer les écailles de cire vers leurs pièces buccales (Vidéo S9). Pendant l’activité de construction, les ouvrières se déplacent fréquemment à l’intérieur de la cellule, soit en aller-retour, soit en virages longitudinaux. Les mouvements de la tête et des antennes sont fréquents. Pendant l’operculation de la cellule, l’ouvrière introduit fréquemment ses antennes dans le trou de fermeture de la cellule et place ses tarses avant sur le rebord étendu. On peut supposer qu’elle le fait pour mesurer l’épaisseur de l’opercule. L’operculation est ajustée à l’état de développement de la larve et la fabrication du cocon commence avant que la cellule ne soit complètement fermée (Vidéo S10).

Le stockage du nectar et du pollen

Pour stocker le nectar et le miel, les ouvrières rampent ventre vers le haut dans la cellule. Le nectar est ensuite régurgité vers la paroi cellulaire supérieure et répandu par des mouvements semi-circulaires (Vidéo S11). Si la cellule contient déjà de la nourriture liquide, les mandibules y plongent pour la régurgitation. Concernant le pollen, une fois qu’une cellule a été inspectée et jugée appropriée pour le stockage du pollen, l’ouvrière utilise ses pattes prothoraciques pour s’accrocher à la paroi cellulaire inférieure à côté de la cellule inspectée puis elle serre la paroi supérieure avec ses pattes métathoraciques tout en plaçant son abdomen plié sur la paroi inférieure de la cellule appropriée (Vidéos S12 et S13). Les paniers à pollen chargés sont positionnés à l’entrée de la cellule et l’ouvrière utilise ensuite les pattes mésothoraciques pour brosser lentement les paniers à pollen. Une fois que la pelote de pollen est tombée dans la cellule, l’ouvrière nettoie tout le pollen restant sur les pattes avec des mouvements rapides. L’ouvrière tient ensuite la paroi cellulaire supérieure avec les pattes pro- et mésothoraciques pour frotter ses pattes métathoraciques ensemble, les libérant de petits morceaux de pollen. Le pollen qui a été déposé dans la cellule est ensuite poussé au fond avec plusieurs mouvements rapides des tarses des pattes métathoraciques. Ce processus de nettoyage des pattes et de poussée de pollen est répété plusieurs fois jusqu’à ce que les pattes soient exemptes de pollen restant. L’ouvrière retire ensuite ses pattes et son abdomen de la cellule. Si des ouvrières plus jeunes sont à proximité, ce sont elles qui poussent le pollen plus loin vers la base de la cellule avec des mandibules fermées et des mouvements de la tête vers le haut (Vidéo S12). Le pollen compacté à la base de la cellule peut être hydraté par l’ajout de salive, de nectar et de miel pour constituer du pain d’abeille (Vidéo S13).

Thermorégulation

Position des antennes pendant la thermorégulation
Dessin © Nastasya Buling

La thermorégulation est capitale pour le bon développement du couvain. Les ouvrières utilisent plusieurs méthodes pour maintenir la bonne température et la bonne hygrométrie : regroupement d’ouvrières pour chauffer une zone, abeilles au repos dans les cellules, génération de chaleur métabolique par contractions musculaires continues et rapides, dispersion des ouvrières pour refroidir le nid, ventilation et apport d’eau dans les cellules (Vidéo S14).

Hygiène et cannibalisme

Le comportement hygiénique comprend l’élimination et la prévention des moisissures, des champignons et des parasites qui mettent en danger la survie de la colonie. Les ouvrières présentent un ensemble de comportements hygiéniques, tels que le cannibalisme, l’auto-toilettage, l’allo-toilettage, le nettoyage des surfaces par des mouvements de bascule, le nettoyage des cellules et des larves.
Concernant le cannibalisme, c’est un moyen efficace de recycler les protéines tout en empêchant moisissures et champignons de se développer sur des larves mortes et tout au long du stade de développement du couvain à l’exception des dernières 72 heures où la cuticule durcit. Concernant la cannibalisation des nymphes, elle se fait à l’extérieur des cellules après extraction pour libérer au plus vite la cellule (Vidéo S15). Il est probable que les ouvrières perçoivent les informations chimiques du couvain malade, mal développé, mort ou parasité. Le jeune couvain peut également être cannibalisé pour améliorer les probabilités de survie du couvain plus âgé.
Varroa peut aussi être consommé par les ouvrières avant que la cuticule n’ait durcie (mâle ou stage de protonymphe ou deutonymphe chez la femelle). En présence de cuticule, les ouvrières peuvent blesser le parasite ou lui arracher les pattes pour éviter la prolifération de l’acarien. Certaines ouvrières se contentent de nettoyer les excrétions de varroa tandis que d’autres s’en prennent aux acariens directement après les avoir détectés (Vidéo S16).
Il existe une danse spéciale pour inviter les ouvrières voisines à pratiquer le toilettage par des mouvements rapides d’autonettoyage assortis de flexions du corps (Video S17).
Le nettoyage mécanique des surfaces à l’intérieur de la ruche est réalisé par des mouvements de bascule pendant lesquels les mandibules de l’ouvrière et les tarses de ces pattes antérieures sont utilisés comme grattoirs. L’ouvrière balaie la surface avec des mouvements répétés rapides de ses pattes avant vers ses pièces buccales, tout en se penchant lentement vers l’avant (Vidéo S18).

Lumière blanche

Les chercheurs ont récemment adapté leur méthode en particulier en éclairant non plus avec une lumière infrarouge mais avec une lumière blanche qui permet d’obtenir un effet visuel encore plus réaliste. Nous avons hâte de découvrir la nouvelle série de vidéos qui proviendra de cette adaptation.


Références :

  • Siefert, P., Buling, N., & Grünewald, B. (2021). Honey bee behaviours within the hive : Insights from long-term video analysis. Plos one, 16(3), e0247323.
  • Siefert, P., Hota, R., Ramesh, V., & Grünewald, B. (2020). Chronic within-hive video recordings detect altered nursing behaviour and retarded larval development of neonicotinoid treated honey bees. Scientific reports, 10(1), 8727.
  • Grünewald, B., & Siefert, P. (2019). Acetylcholine and its receptors in honeybees : involvement in development and impairments by neonicotinoids. Insects, 10(12), 420.

Toutes les vidéos sont disponibles :

En téléchargement en suivant le lien :