Le marché international du miel en 2022 : pression des miels à bas coût et du climat

Orianne ROLLIN

Zone majeure de transit international du miel, l’Union européenne voit depuis de nombreuses années l’état de son marché du miel se dégrader. En cause, les importations massives de miels bon marché dont la qualité est pointée du doigt et les évènements climatiques qui altèrent la production et le coût du miel sur le marché européen. Décoder la dynamique de ces flux internationaux est un élément clef de la compréhension des pressions qui s’exercent sur le marché local des apiculteurs.

Une demande en miel toujours plus grande

Estimé à 8,17milliards de dollars en 2021, le marché mondial du miel a atteint les 8,9 milliards de dollars en 2020 pour une production de 1,771 millions de tonnes. Il s’agit d’un commerce considérable et en constante augmentation, puisque certaines études estiment que ce marché pourrait dépasser les 12,6 milliards de dollars d’ici 2028 avec un taux de croissance de plus de 5 % (source : IMARC group).

Le miel est principalement utilisé comme aliment. Toutefois, le marché du miel tire également avantage des propriétés médicinales de ce produit de la ruche, de plus en plus mises en avant par des études scientifiques. En effet, le miel est utilisé dans l’élaboration de nombreux produits de soins et de cosmétiques mais aussi comme ingrédient de premier choix dans la formulation de médicaments pour le traitement des infections aiguës de la gorge, de la toux et du rhume. Ces éléments jouent positivement sur la croissance du marché du miel mais également sur les flux d’import-export de ce produit.

L’analyse présentée dans cet article fait état des lieux de la situation enregistrée à la fin de l’année 2021 et dans certains cas pour le premier semestre 2022. Sources des données : Eurostat Comext et FAOSTAT.

Principaux pays importateurs et exportateurs de miel au niveau mondial

En 2021, les principales régions importatrices de miel sont l’Amérique du Nord (40,3 %, principalement les États-Unis responsables de 38,8 % des importations mondiales), l’Union Européenne (UE) (30,6 %), puis l’Asie (12,8 %, principalement importé par le Japon) et les autres pays européens Hors-UE (10,5 %) (Fig.1).

Au cours de la première moitié de 2022 (Janvier-Juillet), cette tendance s’est poursuivie avec environ 200.000 tonnes de miel importées par les États-Unis, 115.000 tonnes par l’UE et 55.000 tonnes par le Japon. Les données totales sur les importations 2022 ne sont pas encore disponibles lors de la rédaction de cet article.

En revanche, l’UE exporte beaucoup moins de miel qu’elle n’en importe avec seulement 25.475 tonnes exportées en 2021 contre 173.356 tonnes importées. Les principaux pays exportateurs de miels au niveau mondial sont la Chine, l’Inde, l’Argentine, l’Ukraine, le Brésil, le Mexique, le Vietnam, la Turquie et l’Uruguay, avec des miels de qualité très variable (Fig.2).

Figure 1 : Principaux pays importateurs de miel au niveau mondial
Figure 2 : Principaux pays exportateurs de miel au niveau mondial
© Adapté depuis Eurostat Comext

Climat et impacts sur la production de miel dans l’UE

Globalement, l’Union Européenne est un poids lourd sur le marché international du miel. Deuxième producteur mondial après la Chine et deuxième importateur après les États-Unis, elle présente toutefois de fortes disparités entre les pays membres. L’apiculture se caractérise par des pratiques, des rendements et des productions très diversifiés selon les pays. Les plus fortes productions de miel se situent principalement dans la moitié sud et l’Est de l’Europe, là où les conditions climatiques sont historiquement les plus favorables à l’apiculture. Aujourd’hui, les plus gros producteurs de miel des pays membres de l’UE sont notamment de la Roumanie, l’Espagne, la Hongrie, l’Allemagne, l’Italie, la Grèce, la France et la Pologne.

Cependant, l’impact du changement climatique rend les productions de plus en plus variables et imprévisibles. C’est ce qui a été observé en Europe pour la saison 2022, avec de forts contrastes entre les régions. Après un début de saison globalement bon sur l’ensemble du territoire, la saison estivale a divisé le continent en deux : d’un côté le nord de l’Europe avec une production assez bonne, et de l’autre le sud touché par d’intenses sécheresses (les pires depuis des décennies) qui ont mis à mal les productions de miel. Par exemple, une diminution de 80 % de la production de miel a été observée dans certaines zones de la péninsule ibérique.
Ces fluctuations de productions dues aux évènements climatiques peuvent ainsi affecter les flux d’importations de miels au sein de l’UE et favoriser la dégradation du marché, notamment par l’importation de miels de basse qualité vendus à bas coût.

Les imports de miels au sein de l’UE

En 2021, les miels importés dans l’UE provenaient majoritairement de pays hors-UE, notamment l’Ukraine (53.849 tonnes y soit 31,1 % des importations), la Chine (48.026 tonnes soit 27,7 % des importations), le Mexique (8,9 %) et l’Argentine (8,3 %) (Fig.3).

Figure 3 : Principales origines des miels importés en UE
© Données issues de Eurostat Comext

La crise sanitaire du Covid et ses répercussions économiques sur les flux de marchandises en provenance de la Chine a fortement profité à l’Ukraine en 2020 et 2021. Ce pays est devenu le premier pays exportateur de miel à destination de l’UE au cours de cette période, prenant la place de que la Chine occupait depuis plusieurs années.
Attention toutefois, exporter du miel ne signifie pas nécessairement produire ce miel. Ainsi, du miel importé en Ukraine et réexporté vers l’UE perd toute traçabilité de son origine initiale. Un manque de clarté sur les produits au détriment des producteurs de miels locaux, qu’ils soient de l’UE ou ukrainiens, mais également pour les consommateurs.
Le début du conflit russo-ukrainien en février 2022 a renversé la tendance et a rendu à la Chine sa place de leader pour l’exportation de miel au sein des pays membres. Au cours de la période de janvier à juillet 2022, la Chine avait déjà exporté 41.491 tonnes de miels dans l’UE (soit 36,6 % des importations totales) contre 27.646 tonnes en provenance de l’Ukraine (24,3 %) (Eurostat comext).

Notons également que l’Argentine, avec 10,9 % des importations enregistrées sur cette période, retrouve sa 3ème place de miels les plus importés en Europe devant le Mexique (5,7 %). Reste à voir si cette tendance s’est maintenue sur l’ensemble de l’année 2022 (résultats non disponibles).

Les deux géants du transit de miels en Europe : l’Allemagne et l’Espagne

Parmi les états membres, les plus gros pays importateurs de miels d’origine hors-UE sont l’Allemagne, suivie de loin par la Belgique, la Pologne et l’Espagne (Fig.4).

Figure 4 : Évolution des quantités de miel importées, exportées et produites en Allemagne, Espagne, Belgique et Pologne
© Données issues de FAOSTAT  ; les données 2022 ne sont pas encore disponibles  ; les productions de miels en Belgique ne sont pas disponibles.

Comme sa production locale de miel ne suffit pas à satisfaire la demande, l’Allemagne compense son manque en important d’énormes quantités de miels hors-UE. En 2021, l’Allemagne est le premier pays européen importateur de miel avec plus de 82.410 tonnes de miels importées, dont 51.886 tonnes de miels en provenance de pays hors-UE, dont 21,7 % des importations en provenance d’Ukraine (soit 11.692 tonnes). Toutefois, une grosse partie de ces miels importés d’origine UE et hors-UE est ensuite exportée vers d’autres pays membres de l’UE, avec les problèmes de traçabilité dus aux lacunes des normes d’étiquetage que l’on connait maintenant.
L’Espagne est un autre cas particulier : production, exportation et importation de miel sont quasiment à l’équilibre. Comme expliqué dans un précédent article de Abeilles & Cie (« La pression des importations », A&Cie n° 203), l’Espagne est un gros producteur mais la vente directe de miel est très limitée en raison d’une production locale principalement réalisée par de très grosses exploitations apicoles mais aussi par les préférences des consommateurs pouvant privilégier des miels produits dans d’autres régions (par exemples des miels plus clairs).
Toutefois, aucune donnée ne permet actuellement de déterminer qu’elle est la part des miels produits en Espagne et celle des miels importés d’origine non-UE dans les volumes de miels exportés par l’Espagne. Le manque de traçabilité lié notamment à l’étiquetage des miels rend est un des éléments clefs de ce problème.

Depuis plusieurs années déjà, la Belgique et la Pologne importent beaucoup de miels d’origine hors-UE pour la consommation de leurs populations mais également de gros volumes dans un objectif de développement du commerce d’import-export avec des miels de basse qualité provenant principalement de Chine et d’Ukraine. Là encore, le manque de traçabilité dans l’étiquetage des miels ne permet pas de savoir quelle est la part de ces miels de basse qualité importés puis revendus dans d’autres pays de l’UE.

Prix des miels importés : un jeu de dupe

Avec un prix moyen d’importation des miels hors-UE de 2,56 € le kilo en 2022 contre 6,10 € à l’exportation, ce business d’import-export du miel au sein de pays membres de l’UE représente un marché florissant (Fig.5).

Figure 5 : Prix moyen du Kg de miel à l’importation et à l’exportation dans l’UE
© Données issues de Eurostat Comext

Le manque de traçabilité sur l’origine des miels une fois entrée dans l’UE ne fait qu’accentuer la dégradation du marché local, fortement pénalisé par la concurrence déloyale de ces miels à prix cassés en provenance d’Asie.

La Chine, l’Inde et le Vietnam, en proposant des « miels » de basse qualité à moins de 2 € le kilo, ébranlent fortement l’équilibre du marché international du miel.
En moyenne, le kilo de miel importé depuis la Chine est à 1,60 €/kilo, à 1,65 €/kilo en provenance d’Inde et à 1,93 €/kilo en provenance du Vietnam (Fig.6).

Figure 6 : Prix des miels à l’importation dans l’UE

Après une chute vertigineuse des prix du miel durant des années, depuis 2020 le prix est en légère hausse (impact des coûts de transport suite à la crise économique mondiale observée depuis le covid, puis la guerre en Ukraine ?). Exception faite de la Turquie dont le prix au kilo reste en diminution malgré une légère stabilisation à 2,52 € le kilo. Notons également que malgré cette augmentation des prix, la Chine et le Vietnam continuent de proposer des miels à l’importation à moins de 2 € le kilo.

Ces trois pays au profil économique particulièrement interpellant, sont les pays d’où proviennent la majorité des miels frauduleux d’importation mis en évidence dans le rapport d’enquêtes de la Commission européenne et de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF). Ainsi, les négociants chinois, turques ou encore ukrainiens agissent en toute puissance, en verrouillant le marché international du miel inondé par leur miels frelatés.
Ces miels coupés avec des sirops de sucre à base de betterave sucrière, de riz ou de blé, bien qu’interdits par la réglementation européenne, circulent en toute liberté au sein de l’UE notamment en raison d’un étiquetage et d’une traçabilité aujourd’hui plus que lacunaires.

Depuis des années, les apiculteurs européens ont alerté les autorités de la dégradation du marché du miel avec l’arrivée massive de ces miels bas de gamme à prix cassé. Les récents résultats du rapport de la Commission européenne sur l’adultération des miels d’importation dans l’UE apportent des éléments tangibles quant à la présence de fraudes (voir section Info et p. 9) et confirment le besoin urgent d’une révision majeure de l’étiquetage des miels, tant pour les producteurs que les consommateurs.