Leur passion commune est l’apiculture. Aujourd’hui, ils gèrent ensemble une exploitation de 400 ruches en production. Jérôme produit des essaims, Céline récolte le miel et ensemble, ils travaillent à l’élevage de reines et développent une activité pédagogique à destination des écoles, des visiteurs de passage et de futurs apiculteurs.
Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Dans sa première vie professionnelle, Jérôme était ingénieur dans l’industrie de l’énergie. Instrumentation, conduite de process mais aussi développement de gros projets informatiques étaient son quotidien. A 35 ans, après un parcours de formation en apiculture, il réoriente sa vie vers plus de nature et de liberté. Le voilà devenu apiculteur professionnel.
Le Vercors comme décor…
Leur exploitation se compose de plusieurs ruchers situés exclusivement dans le Parc Naturel du Vercors. Ils travaillent sur 3 secteurs étalés sur 40 km :
• dans le nord-ouest du massif, le Royans : petit golfe à 300 m d’altitude rempli de tilleuls, d’acacias, de pissenlits, de châtaigniers ;
• la montagne, de 800 à 1500 m d’altitude, avec des ruchers sur des versants nord et sud, des boisements et des alpages ;
• la région de Die, extrêmement continentale, remplie de lavandes, de thyms et de chênes.
Ce territoire hyper contrasté permet de faire plusieurs miels différents dans un rayon d’action court sans avoir recours à la transhumance. Suivre au mieux les colonies dans ce massif très diversifié en termes de miellées et de conditions météo représente un défi quotidien pour nos 2 apiculteurs qui souhaitaient connaître réellement ce qui se passait dans chaque rucher sans devoir se déplacer inutilement dans ces territoires montagneux.
Ingénieur un jour,… ingénieur toujours !
Afin de se faciliter la tâche et ne trouvant pas chaussure à son pied dans le commerce apicole (prix trop élevés, pesée unique et infrastructures de communication compliquées), Jérôme développe alors son propre système connecté de pesée de ruches.
Son cahier des charges est ambitieux : il souhaite pouvoir suivre dans un même rucher, en temps réel et à distance, les variations de poids de 4 ruches, l’évolution de la température ambiante, le tout pour un prix abordable et dans des lieux isolés et dépourvus d’alimentation électrique. Il se met au travail et développe une « borne à miel » comme il aime l’appeler !
Cette approche de pesée de 4 colonies dans un même site est importante pour Jérôme. En effet, le suivi d’une colonie n’apporte pas grand-chose. Avec deux colonies, il n’est pas possible de savoir quelle ruche est la plus représentative du rucher sans une visite de celui-ci. Dès le suivi en poids de 3 colonies, et a fortiori 4 colonies, il est possible de s’affranchir de la défaillance d’une des colonies. L’apiculteur peut, dès lors, avoir une vue extrêmement précise de ce qui se passe sur chaque emplacement. Il peut déterminer la tendance mais aussi l’ampleur de la miellée sans à avoir à visiter le rucher.
Notre apiculteur/ingénieur prend rapidement la décision de répartir, sur chaque secteur clé de son exploitation, une dizaine de prototypes de « bornes à miel », soit 40 colonies suivies. Et Jérôme de nous indiquer : « Dès les premières années, les relevés de température et de poids nous ont beaucoup
surpris et avons déjà découvert des miellées que nous ne soupçonnions même pas. Ces informations nous ont conduits à faire évoluer nos pratiques pour maximiser au mieux les récoltes de miel dans notre environnement si diversifié et d’optimiser nos visites tout en prévoyant le matériel nécessaire. La comparaison de 4 courbes de poids nous a apporté tous les éléments de décision pour gérer au mieux la miellée, l’essaimage, le nourrissement, l’agrandissement ainsi que la santé de nos colonies. »
Les tests pratiqués dans ses ruchers et dans ceux de collègues permettent d’affiner le concept. Encouragé par les résultats, Jérôme décide au terme de 4 ans d’investissement et de développement, de passer le cap. Pourquoi ne pas mettre à disposition des apiculteurs cette balance connectée à un prix abordable (moins de 100 euros par ruche pesée). Le concept de la balance Beescale4 était née ainsi que sa société CONNECTED BEEKEEPING.
La balance Beescale4 en quelques mots…
Le principe est simple nous dit Jérôme : « Une balance Beescale4 de base comprend 4 pesons à placer sous les 4 ruches choisies. (Fig.1) Ces pesons sont reliés via des câbles à un boîtier (la distance entre les ruches et le boîtier peut aller jusqu’à 10 m) qui va émettre chaque heure un signal contenant les informations de poids et de température. Une antenne du système SIGFOX capte alors ce signal et transfère les données vers un serveur. Les données et graphiques seront alors disponibles et consultables par l’api culteur. Pour cela, il se connecte à un site internet sécurisé et convivial avec son PC, sa tablette ou son smartphone ».
Nul besoin d’être un ingénieur pour utiliser la balance Beescale4. Jérôme a veillé à ce que l’installation soit extrê mement facile et réalisée en moins de 10 minutes.
« Les pesons sont placés sous les ruches : l’apiculteur connecte les câbles des pesons au boîtier émetteur. Il lui reste à pousser 3 secondes sur le bouton « reset » du boîtier et d’attendre la réception d’un e-mail envoyé automatiquement par le système sur l’adresse privée communiquée par l’apiculteur lors de l’achat.
Ce message lui indique que le système est fonctionnel et que la balance se situe dans une zone couverte par le réseaux SIGFOX ». Dès ce moment, le boîtier transfére les données de poids et de température à un rythme horaire ; 24 h sur 24 et en toute saison. Le système enverra également une alerte mail au bout de 4 minutes si le poids d’une ruche varie de plus de 10 kg ; l’apiculteur est ainsi averti si quelqu’un ouvre ses ruches ou les retire des supports. »
SIGFOX ?
Le réseau européen SIGFOX repose sur une infrastructure d‘antennes réparties et couvrant une large superficie des pays de l’ouest européen*.
Ces antennes forment un maillage per mettant de capter, même à plusieurs kilomètres, un signal de faible inten sité provenant d’un émetteur. SIGFOX est une technologie parfaitement adap tée au transport à bas débit des don nées émises par les objets tels que les balances de Jérôme.
La technologie SIGFOX permet de faire communiquer des objets pendant plusieurs années avec une très faible consommation d’énergie et avec un nombre d’antennes très réduit et dis tantes parfois de plusieurs dizaines de km de la source émettrice.
« Pour communiquer avec les balances, j’ai choisi de travailler avec SIGFOX », nous explique Jérôme.
« Lorsqu’une balance sort de mon atelier, elle est capable de fonctionner en France, mais également de façon identique dans tous les pays d’Europe quand la zone est couverte par SIGFOX. Un apiculteur peut donc déménager sa balance, même dans un autre pays, et celle-ci restera fonctionnelle sans avoir à la reprogrammer ».
« Le côté économe en énergie de SIGFOX m’a également permis de m’affranchir de la dépendance énergétique et mes balances peuvent ainsi fournir des données fiables de façon autonome durant environ 1 an, juste avec 2 piles rechargeables ou un petit panneau solaire. Cette faible consommation permet l’utilisation de la balance loin de toute source d’électricité, ce qui est souvent le cas des ruchers. »
Comment savoir si mon rucher est couvert par SIGFOX…
« C’est souvent une inquiétude légitime pour l’apiculteur qui souhaite s’équiper » nous dit Jérôme. « Il suffit qu’il me fasse parvenir les coordonnées GPS de son rucher. Je vérifie s’il est couvert par SIGFOX et recommande le modèle de balance qui convient le mieux. Lorsque l’apiculteur reçoit sa balance, tout est configuré, il n’a qu’à installer la balance sous ses ruches.
Jérôme l’affirme, l’apiculture connectée n’est qu’à ses débuts !
Pour preuve, il a développé un nouveau boîtier « relais » qui permet de centraliser les informations provenant des balances et de les transférer vers le réseau SIGFOX « Cette configuration permet l’utilisation d’une balance si la zone du rucher n’est pas ou pas bien couverte par SIGFOX. L’exemple typique est le fond de vallée en montagne que je rencontre parfois dans le Vercors. Dans ce cas, je dispose le boîtier « relais » dans une zone de couverture (sur un point élevé) à une distance de maximum 1 km. Les informations seront ainsi transmises vers SIGFOX ».
« Ce boîtier « relais » est également particulièrement utile pour les apiculteurs ou les centres de recherche qui souhaitent multiplier les pesées de ruches au niveau d’un ou de plusieurs ruchers voisins. Les données sont alors centralisées Ce sys tème permet de suivre jusqu’à 24 ruches (6 balances dans un rayon d’ 1 km) en ne payant qu’un abonnement annuel SIGFOX soit une vingtaine d’euros par an ». (bas de Fig.3)
Jérôme termine actuellement la mise au point d’un système de transfert de données via un boîtier utilisant le WIFI à la place de SIGFOX. « C’est une application qui pourra être utile pour l’apiculture urbaine ou quand le rucher est à moins de 500 mètres d’un routeur. Le boîtier peut alors utiliser ce système pour transmettre les données au serveur ».
Et Jérôme de poursuivre : « Les expériences scientifiques sont l’occasion de mettre en œuvre sur les ruches et autour de celles-ci des systèmes de mesure très diversifiés. On peut citer pour exemple : le son et les vibrations de la ruche, les compteurs d’abeilles (entrée et sortie), la température et l’humidité du couvain, les mesures infrarouges. A ce jour, il n’existe pas d’utilité concrète de ce type de mesure dans le savoir-faire apicole courant sauf pour l’humidité et la température à l’intérieur de la ruche qui commence à faire l’objet d’articles ».
C’est pourquoi, Jérôme a imaginé une sonde « météo » qui peut être placée à l’intérieur du couvain ou à l’extérieur de la ruche selon le choix de l’apiculteur. Cette sonde mesure les variations de température, d’humidité et de pression atmosphérique. Cette sonde remplace alors le 4ème peson de la balance Beescale. L’ensoleillement au rucher pourra également être connu pour les détendeurs d’un boîtier alimenté par un petit panneau solaire intégré. Ce dernier permet alors une autonomie complète du système au niveau énergétique
Le BIG DATA apicole…
« Pour nous, le seul et unique propriétaire des données, c’est l’apiculteur qui utilise la balance » martèle Jérôme.
« Ce sont ses données ; elles sont personnelles et privées. Sur demande des apiculteurs, nous pouvons donner accès aux données des uns et des autres sans aucune difficulté. Nous proposons égale ment une carte des balances pour inciter les apiculteurs à se rapprocher de leur voisin déjà équipé ou de permettre à des organismes apicoles de réaliser de plus vastes analyses sur les données ; mais cela seulement avec le consentement des apiculteurs concernés. Nous nous attachons à fournir des données brutes sans aucun traitement. Cela n‘empêche pas de proposer des outils d’aide à la visualisation graphique au travers de notre interface. Bien sûr, s’il le souhaite, l’apiculteur peut télécharger ses données et développer ses propres modèles informatiques (tableur Excel,...) ».
Un premier bilan
« Nous avons déployé depuis 2 ans environ 350 balances (soit environ 1500 ruches suivies). Cela m’a amené à beaucoup travailler sur la tenue aux intempéries et nous utilisons maintenant des techniques de fabrication proches de celle de l‘aéronautique qui nous permettent d’atteindre un très bon niveau de fiabilité. Nous avons également acquis une bonne expertise en terme de couverture réseau et nous pouvons dire à l’avance au client s’il va être bien couvert ou non ». « De nombreux apiculteurs se sont équipés dans plusieurs pays d’Europe Fig.5).(Ce sont soit des professionnels qui achètent un jeu de 5 à 10 balances beescale4 et couvrent ainsi 10 % à 15 % de toutes leurs ruches en production, soit des ama teurs, généralement plutôt confirmés, qui vont équiper de 4 à 20 ruches dans leur rucher. Certains ont utilisé nos formules de location de balance afin de se faire une idée avant d’investir ».
« J’ai été assez étonné de la qualité des récoltes des ruchers de certains apiculteurs que ce soit en amateur ou chez les professionnels. Je ne résiste pas à la tentation de vous afficher ces courbes d’un apiculteur finlandais (avec son accord) qui a produit, cette année, plus de 150 kg de moyenne par ruche (Fig.4) ; je savais que c‘était possible, mais jusque là je n’y croyais pas vraiment ! »
« C’est une très grande fierté pour moi de pouvoir rendre accessible, à tous les apiculteurs, les technologies de l’apicul ture connectée. Ils peuvent ainsi réaliser un suivi de qualité de leurs ruchers pour moins de 100 € par ruche connectée ».
Et le futur ?
Sous un grand tilleul qui embaume une belle soirée estivale, un verre de clairette de Die à la main, Jérôme conclut : « Nous ne sommes qu’au début de l’apiculture connectée et tout reste à faire. L’aventure est passionnante pour l’apiculteur/ingénieur que je suis. De nombreuses technologies émergent ; je vais m’attacher dans le futur à examiner leur pertinence et surtout leur utilité pour l’apiculture de terrain afin de rendre accessible au plus grand nombre ce qui est utile pour le suivi des colonies au jour le jour. »
* Avec SwissCom, un système a été développé pour l’utilisation de beescale4 pour la Suisse car SIGFOX n’est pas disponible actuellement