Réagir au rucher
Agir dépend bien entendu de la situation de chacun. On peut d’ailleurs davantage parler de réaction. Si vous avez un rucher transhumant, vous avez intérêt à rapidement déménager les ruches. Si vous avez un rucher sédentaire, vous avez un travail important à faire pour rectifier la situation. En effet, les abeilles vont obstruer les cadres avec le miellat. Elles remplissent les cadres jusqu’à bloquer les cellules, y compris dans le nid à couvain. Comme nous le dit Monsieur José Artus, la reine va arrêter de pondre et se cacher, bien souvent en rive à l’arrière des cadres selon ses observations. Attention donc en manipulant les cadres de rive ! Autre symptôme : les butineuses peuvent se masser à l’entrée de la ruche produisant des grappes.
Dès que l’on observe un tel phénomène, il est conseillé d’extraire le miel récolté pour éviter qu’il ne fige dans les rayons. Cette cristallisation est très rapide (24 à 48 h) et demande donc à l’apiculteur beaucoup de réactivité. Il doit aussi disposer d’assez de cadres en rotation (on n’insiste jamais assez sur ce point). Ce n’est possible qu’avec un petit nombre de colonies et avec beaucoup de temps disponible. Pour les apiculteurs disposant de plus de colonies et de moins de temps, la contrainte de la mélézitose nécessite quelques sacrifices. En fonction de la situation et en particulier de la météo, mettre une hausse sur la colonie atteinte permet d’évacuer le mélézitose en jetant les cadres de hausse. Pour certains apiculteurs, c’est 400 kilos de mélézitose et parfois bien plus qui doit être supprimé...
L’évolution de la situation devra être suivie de près pour vérifier que le couvain n’est pas bloqué. L’observation est importante, comme toujours en apiculture. Une lampe de poche permet de bien vérifier que le fond des cellules est dégagé. Un changement de cadres permet à la colonie de repartir. Dans la mesure du possible, il est bon de laisser 3 cadres de couvain, d’ajouter 4 cires pour que la reine recommence sa ponte, et de nourrir au sirop. Attention de bien respecter le rapport d’équilibre de la colonie : pour deux cadres retirés plein d’abeilles, une cire sera ajoutée et toujours placée entre deux cadres de la ruche. Un cadre de pollen en rive peut aider la colonie. Il est important de donner à la colonie la possibilité de retrouver son plein équilibre (voir page 30).
Le mélézitose agit comme un abrasif : les abeilles sont brûlées, condamnées. Elles ne seront plus capables de chauffer la colonie ni de produire de la gelée royale. Il faut parfois intervenir en introduisant du couvain naissant en provenance de colonies non touchées. Idéalement, 100 % de la cire devrait être renouvelée pour encourager la ponte de la reine. Attention cependant ! Cette méthode ultime implique que la colonie devra trouver du pollen (les protéines nécessaires au couvain) dans son environnement et c’est loin d’être toujours le cas à la période de l’année où cela se produit. Ces conseils sont généraux et l’apiculteur doit naturellement adapter ses interventions à la situation qui est la sienne et à ses contraintes. Le premier paramètre, et la première contrainte, reste la météo.
Quels facteurs influencent la présence des pucerons et cochenilles responsables du mélézitose ?
Le miellat contenant des proportions variées de mélézitose provient de cochenilles (Physokermes hemicryphus, Physokermes piceae) et de pucerons (Cinara pilicornis, Cinara piceae, Cinara confinis, Cinara pectinatae...). Cinara piceae et Cinara pilicornis produisent des proportions de mélézitose allant jusqu’à 70 %. Ces insectes se nourrissent de la sève des plantes alors qu’elle circule dans les vaisseaux du phloème, tissu conducteur de la sève.
Divers facteurs environnementaux peuvent influencer les populations d’hémiptères. L’un d’eux est la présence de colonies de fourmis qui vivent en symbiose mutualiste (win-win) avec les insectes producteurs de miellat, comme Lasius niger par exemple. Les fourmis protègent les hémiptères contre les maladies et leurs prédateurs naturels (chrysopes, coccinelles) et favorisent ainsi les populations de pucerons.
Plusieurs autres critères influencent le développement des pucerons comme l’abondance et les dates d’apparition des stades phénologiques, le taux de consommation des végétaux, les capacités de dispersion via le nombre d’individus ailés reproducteurs et leur capacité de reproduction sexuée qui dépend là encore des températures. A priori, l’année 2021 en Belgique n’a pas été favorable à leur développement : un printemps frais avec des enneigements tardifs et un été très arrosé. Mais les phénomènes climatiques extrêmes favorisent par contre le stress physiologique des arbres.
Le climat peut influencer le développement, la santé et la biochimie des végétaux. Les mélèzes souffrent de la sécheresse mais aussi de drainages rapides et excessifs. Ils craignent les gels printaniers tardifs et les gels précoces de l’automne. C’est également le cas des douglas pour ce dernier point.
Pourquoi les hémiptères synthétisent-ils le mélézitose ?
La sève est constituée d’eau, de sucres solubles, d’acides aminés, de phénols, etc. qui interviennent dans la défense chimique de la plante ou dans sa résistance au stress hydrique. Le puceron prélève la sève passivement et doit en réguler les déséquilibres nutritionnels et les toxicités éventuelles. La composition chimique de la sève des arbres est modifiée par plusieurs facteurs. Ces variations expliquent la disponibilité des nutriments et l’attractivité pour les hémiptères. Une hypothèse est que les insectes synthétisent le mélézitose pour augmenter le taux et la quantité d’azote fixé dans le sol. Cela bénéficierait à la croissance de l’arbre et ferait de l’insecte suceur non pas un parasite mais un mutualiste. C’est une hypothèse qu’il reste à confirmer.
Par contre, on sait que, en se nourrissant de miellat, les fourmis qui s’occupent des pucerons ont accès à des glucides et des acides aminés qui peuvent stimuler la croissance de leur colonie. Les fourmis ouvrières de Lasius niger sont directement influencées par le contenu nutritionnel du miellat des pucerons, affichant une préférence pour les miellats riches en trisaccharides comme le mélézitose. En réponse à cette préférence, les pucerons peuvent ajuster la production du mélézitose en présence des fourmis. Le coût métabolique du mélézitose est ainsi compensé par la protection des hyménoptères.
En résumé, ce qui bénéficie aux colonies de fourmis a des conséquences moins heureuses pour les colonies d’abeilles une fois l’hiver venu et présente de gros inconvénients et parfois de grosses pertes pour les apiculteurs. Du point de vue de la société des hommes, le mélézitose a semble-t-il des débouchés prometteurs en particulier dans l’industrie pharmaceutique, cosmétique et chimique. À quelque chose malheur est bon !
Références :
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- Crumière, A. J., Stephenson, C. J., Nagel, M., & Shik, J. Z.(2020). Using nutritional geometry to explore how social insects navigate nutritional landscapes. Insects, 11(1), 53.
- Owen, D. F.(1978). Why do aphids synthesize melezitose ? Oikos, 264-267.
- Seeburger, V. C., D’Alvise, P., Shaaban, B., Schweikert, K., Lohaus, G., Schroeder, A., & Hasselmann, M. (2020). The trisaccharide melezitose impacts honey bees and their intestinal microbiota. PLoS One, 15(4), e0230871.
- Seeburger, V. C., Shaaban, B., Schweikert, K., Lohaus, G., Schroeder, A., & Hasselmann, M. (2021). Environmental factors affect melezitose production in honeydew from aphids and scale insects of the order Hemiptera. Journal of Apicultural Research, 1-11.
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- Volkl, W. ; Woodring, J. ; Fischer, M. ; Lorenz, M.W. ; Hoffmann, K.H. Ant-aphid mutualisms : The impact of honeydew production and honeydew sugar composition on ant preferences. Oecologia 1999, 118, 483–491.