APIMONDIA 3 : L’Apiculture professionnelle au Canada : présentation générale d’une hyper-apiculture

Agnès FAYET

À l’échelle européenne, l’apiculture professionnelle au Canada ne peut qu’être perçue comme un modèle extrême à l’image d’un pays grand comme un continent. On parle d’entreprises apicoles et on gère les exploitations à l’aulne des risques encourus, des bénéfices à réaliser et des opportunités de développement. C’est une industrie. L’ensemble baigne dans la culture de la réussite. Bien souvent ce sont des « self-made men » ou women fiers d’une réussite familiale transmise à leurs descendants.

La structure d’accompagnement des apiculteurs

De l’ouest à l’est du pays, de la Colombie-Britannique à la Nouvelle-Écosse, les apiculteurs canadiens sont structurés en associations provinciales :

  • British Columbia Honey Producers Association ;
  • Alberta Beekeepers Commission ;
  • Saskatchewan Beekeepers Development Commission ;
  • Manitoba Beekeepers’ Association ;
  • Ontario Beekeepers’ Association ;
  • Fédération des apiculteurs du Québec ;
  • New Brunswick Beekeepers Association ;
  • Nova Scotia Beekeepers.

Deux structures fédérales apportent des services spécifiques. Le Canadian Honey Council, rassemble des représentants des associations provinciales et compte environ 10 000 apiculteurs qui gèrent plus de 750 000 colonies. Son rôle est de développer les marchés internationaux et la notoriété de l’apiculture canadienne, raison pour laquelle le Canadian Honey Council a pris une part active dans l’organisation d’Apimondia Montréal. Par ailleurs, la Canadian Association of Professional Apiculturists div class="encadre"><p la recherche en lien avec l’apiculture, vulgarise les résultats et fait office d’organisme de réglementation. Chaque année, l’association publie les statistiques sur les pertes de colonies au Canada.

Figure 1 - Mortalité hivernale en intérieur et en extérieur signalée par les apiculteurs ayant répondu à l‘enquête
Canadian Association of Professional Apiculturists

Une bonne trentaine de projets scientifiques ont été financés, souvent en lien avec la santé des abeilles. Ils concernent par exemple :

  • Les pré et probiotiques pour gérer et prévenir les maladies des abeilles ;
  • Les effets des acaricides et des pesticides agricoles sur Varroa destructor et sur la santé et le comportement des abeilles mellifères (2013-2014) ;
  • La lutte intégrée de nouvelle génération pour l’apiculture (2011-2014) avec l’utilisation de la sélection assistée par marqueurs protéomiques pour augmenter la résistance aux pathogènes et aux acariens chez les abeilles ;
  • Etc.
  • D’autres programmes se focalisent quant à eux sur l’élevage de reines ou sur la production agricole. Les problématiques sont souvent typiquement canadiennes comme par exemple :
  • La maximisation de la valeur des services de pollinisation des abeilles fournis à la production de canola (une variété de colza génétiquement améliorée) en Alberta (2014-2017) ;
  • L’élaboration d’un test diagnostique pour les abeilles africanisées et l‘établissement d’un ensemble de données de référence sur la génétique des abeilles mellifères au Canada (2013-2014) ;
  • Etc.

Données économiques

Selon des statistiques publiées par le Gouvernement du Canada, le nombre d’apiculteurs canadiens s’élevait à 9 859 en 2016. Notons que la province de Terre-Neuve-Labrador ne figure pas au tableau, car elle ne déclare pas de production apicole. Les plus grosses exploitations apicoles se situent dans les provinces centrales du pays, dans les grandes plaines dont l’économie est fortement axée sur la production agricole : Alberta, Saskatchewan et Manitoba. Les apiculteurs professionnels des grandes prairies canadiennes possèdent entre 500 et 25 000 colonies.
Le Canada exporte plus de miel qu’il n’en importe. La valeur des exportations est de 72 315 milliers de dollars canadiens en 2016. Celle des importations pour la même année est de 38 062 milliers de dollars canadiens. Le pays exporte principalement, dans l’ordre, vers les États-Unis (71 %), le Japon (24 %) et la Chine (3 %), les autres pays (Corée du Sud, Hong-Kong, Inde, Koweït, Suisse, etc.) ne représentant qu’une part minime des exportations (2 %).

Figure 2
Statistique Canada (CANSIM tableau 001-0007) https://cutt.ly/Geyn7jB

Le Canada importe principalement du miel en provenance du Brésil (28 %), de Nouvelle-Zélande (19 %), des États-Unis (11 %), d’Australie (9 %) et d’Espagne (8 %). Les autres pays d’importation (25 %) sont l’Inde, la Grèce, le Myanmar, l’Ukraine et la Thaïlande.

La pollinisation

La valeur commerciale de la pollinisation dépasse largement la valeur commerciale de la production de miel au Canada. On peut dire que c’est la principale activité des exploitations apicoles. Au total, sur toutes les cultures, la valeur de la pollinisation par les abeilles mellifères a été estimée à 2 570 583 milliards de dollars canadiens.

Fig 3 - Nombre d‘apiculteurs (en noir) et de colonies (en rouge) par état et Ffigure 4
Fig 4 - Statistique Canada (CANSIM tableau 001-0007) https://cutt.ly/Geyn7jB


Les principales productions qui réclament des services de pollinisation sont les pommes, les bleuets (myrtilles), les canneberges (airelles) et la production de canola hybride, pollinisation anémogame dont la production est accrue et de meilleure qualité si une pollinisation par les abeilles est assurée. La pollinisation du canola est surtout importante dans la province de l’Alberta où 75 000 colonies sont nécessaires chaque année pour la production de semences.

Figure 5
Statistique Canada (CANSIM tableau 001-0007) https://cutt.ly/Geyn7jB

Le tableau ne prend pas en compte les autres pollinisateurs. Parmi ceux-ci, citons l’abeille découpeuse de feuilles, Megachile rotundata, qui assure à titre d’exemple la moitié de la pollinisation des champs de canola. Il s’agit d’une abeille gérée et des « boîtes à mégachiles » sont installées dans les parcelles agricoles. Quant aux pollinisateurs sauvages, ils sont en voie de régression nette au Canada et ne suffisent plus à la pollinisation des bleuets par exemple. La transhumance massive de colonies d’abeilles mellifères ne favorise évidemment pas leur maintien. Jusqu’à mille ruches peuvent être déposées dans un champ de bleuets… Rien que dans la province de Québec, plus de 25 000 colonies transhument dans les champs de bleuets chaque année et environ 15 000 dans les champs de canneberges. C’est un cercle vicieux pour les pollinisateurs sauvages. Les immenses monocultures ont un impact négatif sur la nature et sur la faune sauvage, pollinisateurs en tête. On peut dire que dans ce contexte, l’industrie apicole, uniquement focalisée sur les questions de rentabilité des exploitations, prend part à cette destruction des habitats et à cette disparition des espèces. Nous ne connaissons pas ce type de modèle en Europe.
Au Québec, les apiculteurs professionnels ne font pas l’impasse sur les services de pollinisation. Ils rapportent entre 100$ et 150$ par ruche pour une période de deux semaines. Les apiculteurs commencent la saison par les vergers de pommes, puis transportent leurs abeilles sur les champs de bleuets qui dépendent à 90 % des abeilles pour la pollinisation. Elles sont souvent chargées dans des semi-remorques réfrigérées pour le transport. Viennent ensuite les champs de canneberge. Ce n’est pas sans conséquences sur la santé des abeilles. Il est avéré que les abeilles en pollinisation sur les bleuets mais surtout sur les canneberges ont un problème de nutrition. La fleur de canneberge produit très peu de nectar et beaucoup de pollen. Les colonies reçoivent un apport de sirop de sucre pour favoriser la collecte de pollen de canneberge et éviter que les butineuses aillent chercher d’autres sources de pollen loin des plantes cibles. Inutile de préciser qu’elles sortent de ce type de transhumance avec certaines carences nutritionnelles !


Figure 6 et 7
Statistique Canada (CANSIM tableau 001-0007) https://cutt.ly/Geyn7jB

Élevage de reines et turn-over des colonies

Autre aspect du modèle apicole intensif canadien qui pose question à l’échelle européenne : l’élevage de reines et la gestion des colonies. Pour de nombreuses raisons, les pertes de colonies sont envisagées en termes de risques admis dont on tient compte dans le business plan de l’entreprise apicole. On ne déplore pas les pertes de colonies après l’hiver par exemple, on intègre l’idée que l’on va devoir remplacer un certain pourcentage du cheptel. Là encore, la manière d’aborder la gestion apicole est aux antipodes des us et coutumes européennes. De même, les apiculteurs ne remettent pas en cause le modèle agricole et la production sous perfusion de pesticides. Ils l’intègrent dans la gestion de leur entreprise, partant du principe (un peu choquant de notre point de vue) que les agriculteurs ne peuvent pas trouver d’alternatives pour produire à grande échelle. Il existe des réseaux de communication numériques permettant aux apiculteurs de savoir qui traite et dans quelle zone et c’est à l’apiculteur de se débrouiller pour que ses colonies soient protégées. Telle est la réalité de terrain. Dans ce modèle-là, le remplacement des colonies est monnaie courante. L’élevage et l’importation de reines prennent une part non négligeable dans la balance commerciale apicole. On fait venir des paquets d’abeilles et des reines par avion de l’autre bout du monde en assumant les pertes inévitables engendrées par les conditions de transport…

Il faut aussi ajouter le fait que les abeilles d’importation ne sont pas génétiquement équipées pour bien résister aux hivers canadiens. 25 % à 30 % de pertes de colonies à la sortie de l’hiver représentent une norme. Des programmes de sélection canadiens travaillent spécifiquement sur ce type d’acclimatation.
Ces quelques éléments suffisent à brosser un portrait de l’apiculture professionnelle au Canada. À côté des apiculteurs qui vivent de leur métier, il existe aussi une apiculture de loisir qui est tout aussi strictement encadrée que l’apiculture professionnelle. Chaque apiculteur doit s’enregistrer auprès du Ministère de l‘Agriculture, des Pêcheries et de l‘Alimentation dès la première ruche. Les frais d’enregistrement s’élèvent à 18,64 $ par année. En cas de non-respect des règles les amendes sont dissuasives :

  • Pour une personne physique entre 250 et 2 450 $ et entre 1 225 $ et 12 150 $ en cas de récidive.
  • Pour une personne morale entre 625 et 6 075 $ et entre 3 650 $ et 36 425 $ en cas de récidive.
    De nombreux apiculteurs amateurs se trouvent en zone urbaine, impliqués dans des projets d’agriculture en ville. Cela remet l’apiculture, à petite échelle cette fois-ci, au cœur des problématiques de pollinisation et d’autonomie alimentaire. D’autres dimensions s’ajoutent toutefois comme les questions de l’intégration sociale et de l’éducation à l’environnement, incluant les pollinisateurs sauvages, qui n’existent pas du tout dans l’apiculture à large échelle.