EDITO : Les épées de Damoclès 

Agnès FAYET

Que de gros dossiers politiques ouverts en ce début d’été ! Et non des moindres ! Les enjeux sont colossaux, d’un côté pour la justice économique et sociale, la santé humaine et environnementale et de l’autre côté pour les marchés internationaux et la sacro-sainte compétitivité économique.
Tout d’abord, évoquons la saga juridico-scientifique des nouveaux OGM et de leur dérégulation. Les techniques de modification génétique ont progressé et certains acteurs économiques et scientifiques font pression sur l’Union européenne et sur les États membres pour déréguler ces produits, compétitivité internationale oblige ! La société civile et certaines ONG militent au contraire pour que ces nouveaux OGM restent dans le cadre de la Directive 2001/18/CE et attirent l’attention sur les dangers potentiels des biotechniques génétiques pour l’environnement et en particulier pour les pollinisateurs. Débat éternel mais bourré de conséquences…

Autre dossier, tout aussi capital : la révision de la Directive Miel qui pourrait être une bonne occasion de soutenir sans restriction le secteur apicole européen. Malgré le gros travail réalisé par le groupe miel du COPA-COGECA (regroupement de syndicats agricoles européens), les instances européennes restent frileuses quant à la mise en place d’une traçabilité complète des miels. 4 approches sont envisagées avec des degrés divers de traçabilité pour remplacer les fameuses appellations « origine EU et non EU » qui ne veulent strictement rien dire :

  • 1. le remplacement du terme « non originaires de l’Union européenne » par l’indication des pays tiers d’origine ;
  • 2. le remplacement du terme « non originaires de l’Union européenne » par l’indication de la région géographique d’origine ;
  • 3. l’indication obligatoire de chacun des pays d’origine (États membres et pays tiers) ;
  • 4. l’indication obligatoire de chacun des pays d’origine (États membres et pays tiers), y compris le pourcentage.

Au moment où ces lignes sont écrites, c’est la position 3 qui semble se dégager alors que 16 ministres de l’agriculture des États membres, le COPA-COGECA, ainsi que les représentants des apiculteurs européens sont favorables à un étiquetage incluant le pourcentage de chaque pays dans les mélanges de miels. Selon Etienne Bruneau, Vice-Président du groupe Miel du COPA-COGECA, « il faudrait idéalement que les trois principaux pays d’origine du miel de mélange soient mentionnés avec un pourcentage. Il faut pouvoir contrôler la séquence d’étiquetage et l’importance des différents constituants du mélange. Une bonne traçabilité est indispensable car, liée à des analyses de laboratoire, elle permet de vérifier la pertinence de l’étiquetage. » La révision de la Directive Miel pourrait également permettre selon lui d’améliorer la lutte contre l’adultération des miels mais il faudrait formaliser des paramètres techniques comme le fait que « la technique d’évaporation sous vide ne soit pas autorisée en Europe alors qu’elle est largement utilisée en Asie du Sud Est ». Il faudrait également stipuler « l’interdiction de modifier la quantité et le spectre des pollens d’une dimension inférieure à 100µm présents dans le miel. Cela nécessite de supprimer les références au miel filtré qui génère une énorme confusion au niveau des consommateurs. Sans cela, les contrôles sur base du spectre pollinique ne sont plus possibles et l’ajout de sirop en est fortement facilité. » Enfin, il précise que « la flash pasteurisation détruit une partie significative de l’invertase (± 85 %). Cette technique ne répond pas aux critères de la Directive mais elle est très largement utilisée sur le marché pour faciliter le maintien à l’état liquide de miels. C’est pourquoi il faut permettre aux apiculteurs et opérateurs qui travaillent correctement sans chauffage d’utiliser une mention valorisante de type « miel vierge (raw honey) ». L’affaire est en cours. Elle semble très technique mais là encore, bourrée de conséquences…
Les batailles technico-juridiques n’atteignent pas forcément les consommateurs et les apiculteurs, même s’ils sont au final, en première ligne. Quand on sait que 72 % des consommateurs wallons et bruxellois achètent leur miel en supermarché (p.30), on se dit qu’il y a encore un énorme travail de communication à faire à destination du grand public sur la réalité de l’acte d’achat et sur la qualité du produit acheté. « On » informe mal. « On » influence. « On » désinforme même. Lisez l’opinion de Doriane Alberico sur le « miel végan » pour en avoir un aperçu (p.34).
Pendant ce temps, les apiculteurs sont bien occupés, la tête dans leurs ruches ou dans leurs seaux de miel. Le début de saison a pu être un peu maussade mais cela n’a pas perturbé le développement des colonies. La situation a pu tromper certains apiculteurs au vue des nombreux essaimages qui ont été relevés. Gilbert Salaün revient pour nous aux fondamentaux de l’essaimage (p.12). De quoi réfléchir… Mai et juin ont connu des records de chaleur sur la moitié nord de l’Europe et le manque d’eau se fait sentir. Orianne Rollin s’est intéressée très pertinemment aux effets des vagues de chaleur sur les pollinisateurs (p.36). Voici donc un numéro en phase avec l’actualité.
Et malgré toutes ces épées de Damoclès sur nos têtes, je vous souhaite un bel été !