Miel végan, un oxymore plus qu’un produit miracle

Doriane ALBERICO

Génération Z oblige, j’ai le réflexe de chercher sur internet les réponses à mes questions. Alors je demande à Google : qu’est-ce qu’un miel végan ? Sous cette appellation, le géant du web me propose un certain nombre de produits qui arborent fièrement sur leurs étiquettes les mentions « Bee-free honey » ou « No bees involved »

Mais pourquoi et comment produire du miel sans abeilles ? Certes, la qualité et l’origine de notre alimentation tout comme le respect du bien-être animal font partie des préoccupations majeures de notre société. Vegan, éco-responsable ou durable sont des concepts qui font désormais partie de notre quotidien. Mais certaines compagnies semblent profiter de cette tendance pour proposer aux consommateurs du « miel respectueux des abeilles ». Pourtant, les arguments avancés par les commerçants pour justifier la production d’un miel sans abeilles sont, pour le moins, contradictoires.


Bien-être animal

Grâce au miel vegan, plusieurs compagnies comme Bee-Io et Fooditive affirment pouvoir « libérer les abeilles et rétablir la vie dans son ordre naturel ». Plus je relis cette phrase, plus il m’est difficile de définir si les responsables marketing sont de fidèles adhérents au mouvement hippie ou s’ils s’auto-proclament maîtres du vivant à l’image de l’agro-industrie. Sans discuter la légèreté de leur argument, pouvons-nous réellement dissocier le développement des abeilles mellifères de celui de l’homme, alors que nos vies sont étroitement associées depuis des millénaires ?

Selon moi, la question n’est pas tant quoi produire mais plutôt comment produire. Là où il me parait plus justifié de parler de bien-être animal en apiculture, et en agriculture au sens large, c’est lorsqu’on confronte une pratique intensive de grande échelle à une pratique raisonnée et locale. Certains élevages industriels ne protègent pas les animaux tout comme certaines exploitations apicoles ne protègent pas leurs abeilles. L’élevage intensif des abeilles mellifères reste donc préoccupant en matières de risques sanitaires, de bien-être animal et d’équilibre environnemental. Cela ne concerne toutefois qu’une production de type américaine intensive dont les images circulent facilement mais ne représentent pas la majorité des pratiques apicoles. Beaucoup d’efforts sont menés depuis des années pour redynamiser et valoriser les productions locales de miel tout en veillant au respect des bonnes pratiques apicoles. Difficile d’accepter, de la part de l’association végane PETA, qu’« après avoir volé le miel, les apiculteurs maintiennent souvent les abeilles en vie en leur donnant du sirop sucré et d’autres aliments de mauvaise qualité », quand on sait ô combien l’apiculteur est soucieux et sensibilisé aux enjeux liés à l’alimentation des abeilles, aux soins à donner aux colonies et à l’attention portée lors de la récolte de miel.

Impact écologique

Comme avancé par Dash Vegan, si « 95 % du miel vendu dans les supermarchés britanniques ont une empreinte carbone élevée en raison des importations, souvent depuis la Turquie ou la Chine », ne faut-il pas justement consacrer plus d’énergie à (re)penser nos pratiques apicoles, et par là nos systèmes de productions végétales et animales en général, plutôt que de mobiliser des ressources pour la production énergivore d’un sirop de sucre au goût artificiel de miel ?

Ainsi, on peut facilement imaginer que pour promettre un approvisionnement toute l’année en produisant l’équivalent de « plusieurs centaines de ruches », « cultiver du miel » comme le font les sociétés Bee-Io (à l’aide d’une machine) ou Fooditive (à l’aide d’une enzyme génétiquement modifiée) qui transforment le nectar de plantes en imitant l’intestin d’une abeille n’est pas énergétiquement neutre. Le coût lié à la fabrication, aux intrants variés et à la mise en route en continu de ces procédés de production sont-ils vraiment « durables » ? L’exclamation « We are making honey ! » de Fooditive semble étrangement refléter plus de prétention que de réelles préoccupations pour les abeilles et l’apiculture.

Composition et appellation

Le sucre, parlons-en. La marque Jack Berry promeut un miel vegan « totalement fabriqué sans nuire à aucun animal ni à la planète ». Pourtant, en y regardant de plus près, ces produits sont le plus souvent composés de sirops de riz, d’agave ou d’érable. Certains mêmes (The Single Origin Food Co.) affirment la présence de nectars de cocotier (Thaïlande) ou de canne à sucre (Colombie). Ces productions sont reconnues issues de cultures intensives dans certaines régions tropicales et elles allient déforestation, détérioration des sols et perte de biodiversité. Peut-on être certains de ne pas nuire aux animaux et à la planète dans ce cas-ci ? J’en doute.




De plus, la composition majoritairement végétale des miels vegans amènent à repenser l’appellation même de ces produits. En Europe, la directive Miel 2001/110 CE est relativement claire puisqu’elle définit le miel comme étant «  la substance sucrée naturelle produite par les abeilles de l’espèce Apis mellifera ». Dans tous les cas, en Europe ou ailleurs, qualifier un produit d’origine végétale de « miel » ne peut que tromper le consommateur. Garder l’appellation miel pour un produit qui ne s’y apparente même pas, c’est probablement détourner les consommateurs de miel en leur faisant croire qu’il vaut mieux acheter un faux miel au goût de miel mais meilleur pour la santé des abeilles sans aucune législation qui l’y autorise, ni sans aucune preuve d’un potentiel « meilleur » (goût ou qualité nutritionnelle).

Plus encore, la société américaine MeliBio ne manque certainement pas de culot lorsqu’elle affirme que son produit Mellody est « le premier miel végétal au monde qui a le goût du miel mais encore mieux ! ». Le bien-être animal et la protection de l’environnement sont-ils vraiment les préoccupations majeures de ces sociétés qui prétendent faire mieux que les abeilles en vendant du sirop jaune dans une bouteille de ketchup ?

À l’heure de la désinformation, les raccourcis trop hâtifs véhiculent des idées simplistes.
Restons attentifs. L’information est fréquemment extraite de son contexte pour générer des débats souvent dénués de pertinence. Et les causes sensées du bien-être animal et de la protection de l’environnement servent parfois à cacher le profond désir d’un profit facile. Du sirop qualifié de substitut au miel pour des raisons éthiques, pourquoi pas, mais pas du faux « miel » pour des pseudo-raisons écologiques ou nutritionnelles.

Sources :
https://nobeeveganhonee.veganly.co.uk/?fbclid=IwAR1AyamCbhgaRzMUfy_iqLKJjo9xTAGglelK7O6pmiwn7xFhAlYtB_YVos4
https://bee-io.com
https://dashvegan.co.uk/product/no-bee-vegan-honey-370g-jar/
https://mellodyfoods.com
https://www.fooditivegroup.com/future/beefreehoney