La rupture de ponte plebiscitée par la science

Agnès FAYET

Les interruptions naturelles du couvain produites par les essaimages sont généralement considérées comme bénéfiques pour les colonies infestées pour réduire fortement la population de varroas (Loftus et al. 2016 [1]). Une récente étude (Gabel et al. 2023 [2]) d’un institut allemand (Bieneninstitut Kirchhain) démontre que l’inhibition de la ponte de la reine pendant des durées comparables aux ruptures naturelles du couvain peut réduire considérablement la probabilité de reproduction des varroas (augmentation de la proportion de varroas femelles infertiles…) au moment de l’encagement mais aussi avec un impact relatif sur les générations suivantes d’acariens. L’interruption de l’élevage du couvain altère nettement le succès reproducteur des acariens, la fréquence de réoperculation et l’infestation du couvain au niveau de la colonie. Après l’interruption du couvain, la population d’acariens semble se rétablir progressivement jusqu’à retrouver des capacités de reproduction normales mais la durée de cette récupération semble dépendre de la durée de l’interruption du couvain. Plus elle est longue, plus efficace est l’encagement. L’étude confirme que les interruptions estivales du couvain sont bénéfiques pour la santé des colonies. Les durées testées ici de 10, 20 et 30 jours d’interruption du couvain sont des durées réalistes sur le terrain si l’on se réfère à l’essaimage naturel. Une fois installées dans leur nouveau site de nidification, il faut au moins 10 jours à l’essaim pour produire des cellules de couvain suffisamment âgées pour permettre l’invasion d’acariens (Rosenkranz et al. 2010 [3] ; Winston 1987 [4]). La partie de la colonie qui est restée dans la ruche a généralement besoin de 22 à 30 jours après l’essaimage avant que la jeune reine ne commence à pondre (Koeniger et al. 2014 [5] ; Seeley et Smith 2015 [6] ; Winston 198713). Les reines ont été encagées (cages standard Büchler avec parois latérales avec grille à reine [7]) mi-juillet.

Plusieurs auteurs (Nanetti et al. 2012, 2016 [8] ; Pietropaoli et al. 2012 [9] ; Lodesani et al. 2014 [10] ; Gregorc et al. 2017 [11]) ont montré que combiner l’application d’acide oxalique avec une rupture de ponte artificielle est une stratégie de gestion efficace pour le contrôle du varroa pendant la saison de récolte.
Une étude italienne (Losedani et al.2019 [12]) dont les résultats sont présentés en Figure 1, prouve quant à elle que la rupture de ponte (groupe S) est plus efficace pour réduire l’infestation de varroas que la suppression du couvain de mâles (groupe R) lorsqu’elle est appliquée au début du printemps. En effet, seule la technique d’encagement de la reine (S) montre une réduction significative du nombre de varroas tués par rapport au groupe contrôle (C) (Fig.1).

Fig. 1 : Nombre d’acariens varroa tués à la fin de la période d’expérimentation (août) pour chacun des 3 groupes testés. Des lettres différentes (a-b) indiquent des différences significatives de résultats entre les groupes testés, alors que des lettres similaires (a-a) n’indiquent pas de différences significatives.
Graphique tiré et adapté de Lodesani et al. 2019.

Dans des conditions de laboratoire, l’étude de Lodesani et al (2019) montre que la rupture de ponte (S) et la coupe du cadre à mâles (R) augmentent significativement la durée de vie des abeilles. L’hypothèse est que la charge de travail pour les ouvrières s’en voit réduite (soin du couvain). En outre ; la durée de vie des abeilles du groupe R (cadre à mâles) est supérieure à celle du groupe S (encagement). Cela pourrait s’expliquer par l’effet bénéfique du piégeage des varroas avec la coupe du couvain de mâles, diminuant la charge des acariens sur les abeilles adultes.
Les deux biotechniques affectent fortement le développement de la colonie au stade initial. Mais environ 40 jours après le traitement, les colonies des groupes traités avaient complètement récupéré leur taille et leur force et présentaient une plus grande quantité de cellules de couvain après le jour 41. Cette différence, combinée à l’augmentation de la durée de vie des abeilles dans les groupes traités, pourrait s’expliquer par une désinfection efficace du couvain qui pourrait encore augmenter le potentiel de récolte en fin de saison pour ces colonies. La quantité totale de couvain élevé par les colonies pendant toute la période de test indique clairement que les colonies ont pu récupérer l’écart initial.
Les méthodes de rupture de couvain pour augmenter l’efficacité du traitement avec des composés organiques contre varroa font encore débat en raison du temps nécessaire à leur mise en application mais aussi en raison de la crainte d’une récolte de miel réduite. Les chercheurs italiens objectent que le temps nécessaire pour trouver la reine et l’encager est plus court au début du printemps puisque la colonie est moins développée qu’en été. Leurs résultats ne montrent pas de diminution de la récolte de miel. Selon leurs données, 2 cycles complets de couvain sont nécessaires pour récupérer un équilibre dans la population d’abeilles par rapport au couvain et 20 jours de plus pour récupérer le plein potentiel de récolte de la colonie. La production de miel, dans le cadre de leur expérience, n’a pas souffert de la manipulation des reines au printemps ni de la gestion biotechnique des colonies.

Fig 2 : Cage Mozzato (1) et son positionnement sur un cadre Dadant (2). Détail (3) et vue d’ensemble de la cage pour cadre entier GB (4).
Lodesani et al. 2019.

Références :
1. Büchler R, Uzunov A, Kovačić M, Prešern J, Pietropaoli M et al (2020b) Summer brood interruption as integrated management strategy for effective Varroa control in Europe. J of Api Res 59(5):764–773.

2. Gabel, M., Scheiner, R., & Büchler, R. (2023). Immediate and long-term effects of induced brood interruptions on the reproductive success of Varroa destructor. Apidologie, 54(2), 20.

3. Gregorc, A., Alburaki, A., Werle, C., Knight, P.R., Adamczyk, J. (2017) Brood removal or queen caging combined with oxalic acid treatment to control varroa mites (Varroa destructor) in honey bee colonies (Apis mellifera). Apidologie. https://doi.org/10.1007/s13592-017-0526-2.

4. Koeniger G, Koeniger N, Tiesler F-K (2014) Paarungs- biologie und Paarungskontrolle bei der Honigbiene. Buschhausen Druck und Verlagshaus, Herten, Westf

5. Lodesani, M., Franceschetti, S., & Dall’Ollio, R. (2019). Evaluation of early spring bio-technical management techniques to control varroosis in Apis mellifera. Apidologie, 50(2), 131-140.

6. Lodesani M., Costa C., Besana A., Dall’Olio R., Franceschetti S., Tesoriero D., Vaccari G., (2014) Im- pact of control strategies for Varroa destructor on col- ony survival and health in northern and central regions of Italy. J. Apic. Res. 53(1), 155–164. https://doi. org/10.3896/IBRA.1.53.1.17

7. Loftus JC, Smith ML, Seeley TD (2016) How honey bee colonies survive in the wild : testing the importance of small nests and frequent swarming. PloS one 11(3):e0150362.
https://doi.org/10.1371/journal. pone.0150362

8. Nanetti, A., Higes, M., Baracani, G., Besana, A. (2012) Control de la varroa con ácido oxálico en combinación con la interrupción artificial de la puesta de cría. Pro- ceeding of II Congreso Ibérico de Apicultura, Guada- lajara, Spain, October 18–20.

9. Nanetti, A., Büchler, R., Uzunov, A., Gregorc, A. (2016) Coloss - varroa control taskforce, brood interruption study 2016/2017. http://www.coloss. org/taskforces/varroacontrol/protocols-brood-interrup- tion- varroa-task-coloss-2016-jan-final

10. Pietropaoli, M., Giacomelli, A., Milito, M., Gobbi, C., Scholl, F., Formato, G. (2012) Integrated pest manage- ment strategies against Varroa destructor, the use of oxalic acid combined with innovative cages to obtain the absence of brood. Eur. J. Integr. Med. 15 , 93.

11. Rosenkranz P, Aumeier P, Ziegelmann B (2010) Biol- ogy and control of Varroa destructor. J Invertebr Pathol 103(Suppl 1):119. https://doi.org/10.1016/j. jip.2009.07.016

12. Seeley TD, Smith ML (2015) Crowding honeybee colonies in apiaries can increase their vulnerabil- ity to the deadly ectoparasite Varroa destructor - Springer. Apidologie 46:716–727.
https://doi.org/ 10.1007/s13592-015-0361-2

13. Winston ML (1987) The biology of the honey bee. Har- vard University Press