Pendant ce temps, les instances européennes sont l’objet d’un intense lobbying pour déréglementer ce qu’on appelle « les nouveaux OGM ». Tout cela se fait en catimini, passe inaperçu. Par chance, certaines ONG veillent au grain et font un excellent travail d’information. N’hésitez pas à consulter le site de Nature&Progrès (natpro.be) qui propose un dossier très documenté sur les OGM cachés. Je vous invite à lire ces informations pour garder les yeux ouverts sur ce qui est en train de se passer. L’association a mis en place une pétition. Une fois que vous aurez pris conscience du problème, je vous invite à la signer et à la partager pour garder espoir. L’abandon progressif des néonico- tinoïdes et le consensus sur la nocivité des pesticides traditionnels auraient dû nous mettre la puce à l’oreille depuis bien long- temps.
« Quelque chose » était déjà dans les tiroirs de l’agrobusiness. On cherche à rendre ce « progrès » technologique sym- pathique : il va sauver l’humanité de la faim, il va supprimer l’usage des pesticides, il va permettre de cultiver sans subir l’impact du dérèglement climatique. Gare au miroir aux alouettes, même s’il est vert ! Qui a une idée de ce qu’il se passe quand des organismes au génome modifié sont lâchés dans l’environnement ?
Aujourd’hui, des technologies simples permettent de modifier le génome des plantes et des ani- maux. La technique CRISPR–Cas9 est un outil d’édition génomique qui permet de réaliser des modifications ciblées du matériel génétique d’une cellule, comparable à une paire de ciseaux moléculaires. Cette simplicité devrait s’accompagner d’une législation européenne simplifiée pour faire l’économie d’une analyse des risques pour la santé des hommes, des animaux et de l’environnement. C’est du moins ce que prétendent les défenseurs de cette technologie qui ouvre la porte à la brevetabilité du vivant.
Quant à nous, nous souhaitons que soit maintenue la barrière législa- tive européenne contre les OGM et leurs évolutions. La Cour de justice de l’Union européenne a émis une décision le 25 juillet 2018, indiquant que les OGM obtenus par la technique de mutagénèse pou-vaient faire l’objet d’une interdiction par les États membres de l’Union européenne sans contrevenir au traité sur le fonction- nement de l’Union européenne (TFUE). La directive du Parlement européen et de la Commission européenne 2001/18 du 12 mars 2001 div class="encadre"><p et réglemente la mise sur le marché et la dissémination des OGM dans l’environnement.
Ce sont ces règles qui sont remises en question aujourd’hui. Il y a péril en la demeure, un péril sournois qui échappe aux médias. Ce sont des enjeux économiques colossaux qui sont à l’œuvre. Une fois la boîte de Pandore ouverte, ce sera irrémédiable.
Puisqu’il est question d’engagement, sou- lignons qu’il peut prendre de bien beaux atours. L’artiste turc Arif Turan, dont vous découvrez une œuvre en p.11, s’inspire des abeilles et de leur poésie inhérente pour poser un acte militant. Il dénonce tout ce que le monde moderne a inventé pour mettre en péril l’ordonnancement naturel : hyper-technologie, génie génétique, pesti- cides, dérives de la mondialisation économique…
Pour Patrice Le Rouzic, apiculteur engagé et déterminé, les abeilles sont plus que jamais des sentinelles de l’envi- ronnement. Il s’engage dans son parcours personnel non seulement pour elles mais aussi pour la biodiversité, pour un meilleur environnement et pour l’inclusion de tous dans l’aventure apicole. Doriane l’a rencontré pour nous et vous lirez son entretien en p.32. Vous découvrirez aussi en p.37 l’engagement scientifique et écologique du Dr Lucy E. King qui cherche à préserver les éléphants d’Afrique et d’Asie en s’ap- puyant sur une alliée inattendue : l’abeille mellifère ! Bonne découverte !
Il y a là de quoi redonner le sourire.
Alors que Apimondia Istanbul se profile, je ne résiste pas à la tentation de citer le romancier turc Yaşar Kemal dont l’engage- ment n’a jamais failli. Il célèbre ici la vie et sa profusion inspirante :
« La terre de l’Anavarza, ce n’est pas de la terre, c’est de l’or. Seul Ali Safa Bey le sait, seul Ali Safa Bey ressent jusqu’au fond du coeur la saveur de cette terre. Chacun de nous connait plus ou moins l’amour, chacun de nous nourrit une passion. La passion d’Ali Safa est folle, incurable, la pire de toutes. La passion d’Ali Safa, c’est la terre noire, féconde de l’Anavarza. À chaque aurore, plantant solidement ses pieds sur cette terre noire, tremblant de volupté, Ali Safa observe la plaine de l’Anavarza, au moment où s’éveille l’univers. Ce réveil, [...] ces insectes aux carapaces dures, multico- lores, ces abeilles, ces oiseaux, ces gazelles, ces fleurs géantes, ces moissons jaillissantes, ces rizières repues débordant de verts, ces papillons, ces eaux, ces marais, ces sources, ces routes, ces colonnes de poussière, ces nuages argentés qui déversent la pluie en tourbillon, cet univers pris de folie, cette plaine de l’Anavarza, il voudrait la saisir dans ses bras, la serrer contre lui. » (Mèmed le faucon, 1969).
La nature est généreuse. Soyons-le aussi avec elle.