Le week-end des 17 et 18 février, le CARI organisait son second week-end de formation sur le phénomène de renouvellement anormal des reines. La matière était complexe et a suscité de nombreuses questions des participants. Des réponses aux sujets techniques ont été apportées par les différents conférenciers dont Jean-Luc Brunnet et Marc-Edouard Colin qui avaient fait le déplacement depuis le sud de la France. Derrière ces interrogations, on sentait cependant des questions plus fondamentales et très pertinentes. Vers quoi allons-nous ? Quel type d’apiculture veut-on privilégier ? Que peut-on réellement penser de certaines réponses apportées par des scientifiques ? Où nous conduisent ces récentes recherches sur la génétique ? Le fait d’avoir des orateurs d’horizons différents a permis de dresser un bilan plus nuancé et de mieux discerner les réelles avancées scientifiques.
Le modèle américain
Peut-on comparer notre apiculture au modèle américain ? Ne s’en rapproche-t-on pas de plus en plus ? Dans le Nord de l’Amérique, où en est la biodiversité après avoir traversé des goulots d’étranglement génétiques ? Le premier était, il y a plus de cent ans, l’importation d’un nombre limité de reines sélectionnées provenant de diverses races européennes. La seconde sélection est venue avec l’arrivée de Varroa destructor et d’Acarapis woodi générant de très nombreuses mortalités. Le troisième filtre est lié à la structure actuelle de production des reines. Les mortalités excessives de cheptel génèrent des demandes de reines extrêmement importantes auprès de quelques éleveurs. Aujourd’hui, ceux-ci produisent, au départ de ± 500 reines, le million de reines demandées par les apiculteurs. Chacun de ces éleveurs travaille à la carte pour introduire dans ses lignées des caractères VSH ou autres, visant à renforcer la tolérance de ses abeilles aux varroas.
Aux USA, il n’est pas rare d’avoir 50 % de perte de cheptel, dont un tiers est lié à une faiblesse des reines. Pourtant celles-ci répondent aux critères de sélection les plus stricts sur le plan physiologique et sanitaire. Il a ainsi été confirmé que les virus, s’ils sont toujours présents, ne représentent pas, pour l’instant, une menace réelle pour les reines. Trop d’études se limitent à identifier et éventuellement à quantifier les virus présents sans analyser leur caractère pathogène pour l’abeille. Dans les divers facteurs de stress analysés, les pesticides, y compris les produits de traitement des ruches, sortent clairement du lot devant les pathologies… Et là, les modes d’actions et les voies d’exposition peuvent être multiples et touchent tant les mâles et la viabilité de leurs spermatozoïdes, que les reines.
Mais revenons à cette perte de biodiversité liée au développement d’une apiculture hyper-intensive. On nous dit que les nouveaux outils génétiques nous permettent de bien contrôler ce qui est fait. Là se pose la question : est-on réellement conscient de l’impact qu’on peut avoir lorsqu’on pousse la sélection hors des limites imposées par la nature ? Une question sur l’intérêt de développer des abeilles OGM a trouvé une réponse claire. Celle-ci dit que lorsqu’on manipule le génome, on ne peut connaître toutes les interrelations existantes, par exemple entre les différentes protéines produites, et on pourrait arriver à créer des aberrations débouchant sur une éradication d’une espèce sans en être conscient. Par ailleurs, Vespa velutina a été pris en contre-exemple pour relativiser l’impact de la consanguinité. On peut y ajouter celui des varroas qui se sont développés en Europe au départ de quelques individus.
Et en Europe
Face à cela, dans le cadre de COLOSS, de très nombreux chercheurs nous disent qu’il faut conserver les races existantes, et on ne peut leur donner tort. En parallèle, une tendance de retour à une apiculture plus naturelle prend de l’ampleur. Mais quelles informations peut-on tirer de l’observation dans la nature ? Peut-on y trouver des réponses à ce débat ? On constate qu’il est pratiquement impossible de cadenasser le vivant. La reine, avec ses fécondations multiples (moyenne de 16 mâles) avec des mâles qui peuvent parcourir de longs trajets en réalisant des haltes dans diverses ruches, nous indique que la nature favorise la diversité génétique et qu’une abondance de mâles porteurs d’un patrimoine différent, permet d’augmenter la capacité d’adaptation et la résilience de la colonie. De plus, pour produire leur reine, les abeilles travaillent dans un esprit très collectif et minimisent les phénomènes de compétition à l’intérieur de la colonie pour optimiser leurs chances de survie. L’environnement peut grandement influencer chaque reine, même si elles sont sœurs et cela, les modèles d’analyse génétique n’en tiennent pas compte. La part de l’épigénétique est fondamentale et permet des adaptations très rapides des abeilles à de nouvelles conditions. C’est très heureux vu la vitesse d’évolution de notre environnement aujourd’hui.
Personnellement, je crois qu’on sous-évalue grandement ces phénomènes d’adaptation car nous sommes souvent focalisés sur un ou deux critères qui nous semblent importants ; mais n’oublions pas que le vivant a une capacité d’autogestion lui assurant sa survie depuis des millénaires. Notre rôle ne serait-il pas plutôt aujourd’hui d’assurer un cadre environnemental qui assure à nos abeilles une alimentation suffisante et l’absence de ces produits qui ne sont là que pour détruire la vie ?