Ces derniers mois nous ont, une fois de plus, surpris avec ces températures par moment tropicales et cette miellée totalement hors du commun à plus d’un niveau. Après avoir enregistré près d’un tiers de pertes hivernales, les apiculteurs ne savent plus de quoi demain sera fait. Dans de nombreux endroits la miellée d’été habituelle se termine avec au moins trois semaines d’avance. Que vont donc faire nos abeilles ? Serait-on proche d’un modèle d’apiculture similaire à celui du sud de l’Espagne avec un estivage de six semaines ? Va-t-on connaître à nouveau un automne très chaud ?
Dans de telles conditions, comment peut-on transmettre un modèle aux débutants, comment leur donner des repères ? Je donnais récemment un cours pratique sur la « gestion du trou de miellée »... sans trou de miellée cette année... alors que la miellée d’été était déjà bien entamée…
En préparant une conférence sur l’apiculture, je suis retourné voir un audit réalisé une vingtaine d’années plus tôt. On y indiquait que la durée moyenne d’activité d’un apiculteur était de 34 ans. Ce chiffre semble improbable aujourd’hui vu la rotation rapide observée chez les nouveaux apiculteurs qui souvent laissent tomber après deux à trois années d’activité. Personne n’aime être confronté à des échecs répétitifs surtout si l’on ne voit pas de solution à terme. De fait, dans un contexte mouvant, avec de hauts risques de pertes de colonies, des miellées changeantes, un div class="encadre"><pment de plus en plus difficile à trouver, comment garder le feu sacré ?
Il y a quelques années, face à la diminution inquiétante du nombre de ruches, beaucoup d’efforts ont été placés dans les ruchers écoles qui ont été pris d’assaut. Le Plan Maya qui aidait les nouveaux apiculteurs avait remporté un succès inattendu. Lors des Universités des Abeilles à Paris, un des leitmotivs était encore de renforcer la formation et de professionnaliser et de multiplier les jeunes apiculteurs. C’est interpellant, surtout si l’on veut amener des jeunes à se lancer dans cette profession. Mais la question qui vient à l’esprit est : ne faudrait-il pas avant tout s’assurer que l’environnement dans lequel ils vont devoir évoluer leur assurera un revenu ou, à tout le moins, que les plaisirs et gains que vont leur procurer les abeilles ne seront pas réduits à néant par quelques saisons noires ?
Il semble évident que notre environnement est déjà bien dégradé et que si l’on ne change pas rapidement de cap, la situation risque encore d’empirer. Le public est inquiet. Combien de fois n’ai-je pas entendu « cette année, je n’ai presque pas vu d’abeilles », les gens prennent peur. Heureusement, en haut lieu, on aborde les vrais problèmes. Le récent rapport « Initiatives pour les pollinisateurs » de la Commission ne mâche pas ses mots lorsqu’il parle de l’intensification agricole. Ce modèle doit changer. Pourquoi ne pas faire évoluer rapidement le business des firmes phytosanitaires d’un rôle curatif de marchands de produits à une mission préventive de bonne gestion des cultures pour limiter les prédateurs tout en utilisant un strict minimum de produits ? Ce business répondant à leurs objectifs fondamentaux peut générer un profit tout aussi important. Les firmes de mécanisation sont déjà là avec leurs robots qui pratiquent le binage automatique plant par plant ou les pulvérisations à la carte limitées aux zones où les plantes en ont réellement besoin. Cette révolution va avoir un impact énorme sur notre environnement. Du rôle de victimes, les pollinisateurs vont devenir acteurs, ils seront utilisés pour vérifier l’efficacité des changements opérés par les agriculteurs dans la gestion de leurs productions. Les apiculteurs, d’accusateurs, devraient réellement devenir des partenaires pour les agriculteurs.
Comme vous pouvez le constater, il y a du travail pour arriver à cela mais il faut bien commencer à entamer le changement car il ne se fera pas en un jour et, plus vite le virage sera pris, mieux ce sera. Les deux journées sur l’agriculture de conservation organisées par Greenotech à Ligny vont déjà dans ce sens et elles ont remporté un beau succès. Dans les parcelles d’essais présentées, les plantes mellifères étaient présentes en grande proportion. Les agriculteurs bios sont de plus en plus nombreux aussi. Aujourd’hui, la balle est dans notre camp : va-t-on pouvoir aider les agriculteurs qui veulent entamer ces changements en les conseillant efficacement dans leurs actions en faveur des pollinisateurs ? C’est maintenant qu’on va construire notre futur et le futur de nos abeilles. C’est dans cette perspective que l’on doit former les personnes qui s’intéressent réellement aux pollinisateurs. Nous serons probablement amené à devenir des conseillers environnementaux pour les pollinisateurs. Notre prochain Week-end du CARI « Apiculteurs - agriculteurs, partenaires » des 10 et 11 novembre s’inscrit tout à fait dans ce nouveau cadre. Nous vous y attendrons nombreux.
EDITO : Pourquoi ?
Etienne BRUNEAU