Abeilles sauvages de nos régions

Orianne ROLLIN

À la découverte de quelques-unes de nos abeilles sauvages, voici l’Osmie bicolore. Bien répandue à travers toute l’Europe, c’est une abeille sauvage solitaire indigène, de la famille des Megachilidae, au comportement de nidification plutôt insolite : elle niche exclusivement dans des coquilles d’escargots vides.

<span class="caps">CLASSIFICATION</span>
CLASSIFICATION

Période d’activité

Cette espèce monovoltine (c-à-d ne réalisant qu’une seule génération par an) est printanière. Sa période de vol est alors limitée de fin mars à juin avec un pic d’abondance d’individus au début du mois de mai.


Répartition géographique

Répandue à travers toute l’Europe, on la retrouve depuis le Portugal jusqu’à l’extrême ouest dans le Caucase et au Turkestan et dans le nord jusqu’en Scandinavie. Toutefois, elle est absente de Sicile et d’Irlande1. En Belgique, on la rencontre notamment dans la région naturelle de Fagne-Famenne jusqu’en Gaume2.

Caractéristiques morphologiques

Taille : L’osmie bicolore est une abeille trapue de taille moyenne. Les femelles mesurent de 9 à 10 mm de long. Les mâles, de morphologie plus fine peuvent également être légèrement plus petits (jusqu’à 8 mm de long)1.
Pilosité et couleur : L’osmie bicolore tient son nom de sa pilosité drue bicolore, alliant à la fois le roux et le noir. Chez les femelles, la pilosité est de couleur noire sur la tête, le thorax et les pattes à l’exception des tarses médians et postérieurs qui sont roux comme l’abdomen et la brosse ventrale. Les ailes sont plutôt sombres. Chez les mâles, la pilosité rousse se limite à l’abdomen et la tête, le thorax et les pattes sont beige clair, donnant un aspect général plus pâle. Les poils sont particulièrement longs sur les côté du thorax1.
Système de récole du pollen : Comme chez toutes les Mégachilidées, l’osmie bicolore est munie d’une brosse de récolte ventrale qu’elle frotte sur les étamines des fleurs afin d’y récolter le pollen et le transporter jusqu’à son nid.
Possibles confusions : avec Osmia cornuta (pour les femelles) et avec Osmia aurulenta (pour les mâles).

Osmie bicolore femelle (à gauche) et mâle (à droite). - <p>Chaque graduation est égale à 1mm.</p> - © Atlas Hymenoptera
Osmie bicolore femelle (à gauche) et mâle (à droite).
Chaque graduation est égale à 1mm.
© Atlas Hymenoptera

Osmie bicolore mâle - <p>Warwickshire, <span class="caps">UK</span>, avril 2012</p> - © Steven Falk
Osmie bicolore mâle
Warwickshire, UK, avril 2012
© Steven Falk

Osmie bicolor femelle - <p>Cerfontaine, Belgique, mai 2023</p> - © Stéphanie Martens - <span class="caps">BE</span> Cerfontaine
Osmie bicolor femelle
Cerfontaine, Belgique, mai 2023
© Stéphanie Martens - BE Cerfontaine

Préférences alimentaires

L’espèce est considérée comme polylectique, c’est-à-dire généraliste sans véritables préférences alimentaires. Toutefois, l’osmie bicolore apprécie les fleurs à corolle profonde des Lamiacées et des Fabacées1. En effet, sur des pelouses calcaires, elle est fréquemment observée sur des fleurs d’Hippocrépide à toupet (Hippocrepis comosa) et de Lotier corniculé (Lotus corniculatus) (A. Pauly comm. pers. 2015).
On peut également la retrouver sur de nombreux arbres, arbustes et plantes cultivées comme les pommiers sauvages (Malus silvestris), les aubépines (Crataegus sp.), les pruneliers (Prunus spinosa) ou encore le sainfoin cultivé (Onobrychis viciifolia)3.

Reproduction et nidification

L’osmie bicolore est une espèce sauvage solitaire. De ce fait, elle ne fonde pas de colonie et se débrouille seule pour assurer le stockage des ressources nécessaires à chacun de ses œufs, pondus séparément dans des cellules. Elle se plait particulièrement sur les sols calcaires et rocailleux, fortement ensoleillés, où l’on retrouve en abondance des escargots.
Alors pourquoi est-il important de rencontrer ces gastéropodes à proximité de son lieu d’alimentation ? Parce que c’est exclusivement dans les coquilles vides d’escargots que viennent se reproduire puis pondre les osmies bicolores.
Elles affectionnent notamment les coquilles d’escargots des bois (Cepaea nemoralis) mais également de jeunes escargots de bourgogne (Helix pomatia) ou de Moine globuleux (Monacha cantiana). Selon la coquille choisie, l’osmie pourra y construire de 1 à 5 cellules successives.

Osmie bicolore manipulant une coquille d'escargot lui servant de nid - Torgny, Belgique, avril 2015
Osmie bicolore manipulant une coquille d’escargot lui servant de nid
Torgny, Belgique, avril 2015

Par exemple, les coquilles d’escargot des bois sont de forme globuleuse, peu épaisses, très solides mais de petites tailles (diamètre de 18 à 32 mm). Ainsi, une coquille vide d’escargot des bois ne pourra abriter qu’une cellule d’osmie bicolore et par conséquent un seul œuf donnant un seul descendant.
Dès la mi-mars, les mâles sont les premiers à émerger de leur coquille. Comme chez beaucoup d’autres espèces d’osmies, les femelles n’émergent qu’environ 10 à 15 jours après. Ils ont alors le temps de partir à la recherche d’autres coquilles contenant une jeune femelle encore dans sa cellule non éclose. À la sortie de la femelle, l’accouplement a lieu et la femelle part à la recherche d’une nouvelle coquille vide. Une fois trouvée, elle la positionne au soleil, ouverture vers le haut ou sur le côté. Elle commence alors à construire les parois de la première cellule qui abritera son œuf en réalisant une sorte de ciment végétal à partir de salive et de morceaux de jeunes feuilles (fréquemment des Rosacées)4.

Nid d'osmie bicolore recouvert de brindilles - Rochefort, Belgique, mai 2023
Nid d’osmie bicolore recouvert de brindilles
Rochefort, Belgique, mai 2023

Une fois que la ponte est terminée et les cellules fermées, la femelle bouche l’entrée principale à l’aide d’un mélange de terre et de fragment de coquille. Elle va ensuite retourner la coquille (ouverture vers le bas) puis la recouvrir de brindilles de 5 à 10 cm de long pour la dissimuler des potentiels prédateurs mais aussi des espèces pouvant parasiter son nid4.

Avec ce mode de nidification très spécialisé et méticuleux, une femelle d’osmie bicolore ne pond que très peu d’œufs durant la saison (généralement entre 5 et 10). Les descendants passeront le reste de la saison et l’hiver sous forme d’œufs (puis de larve) protégés dans cet écrin de calcaire jusqu’à l’émergence de la nouvelle génération au printemps suivant.

Parasitisme

Comme beaucoup d’abeilles sauvages solitaires, l’osmie bicolore peut être parasitée par d’autres espèce d’hyménoptères, notamment des espèces de guêpes parasites telles que Chrysura cuprea, Chrysura trimaculata, Tortonia dogaressa (Fain et al. 1992), mais aussi des espèces du genre Eulophus et Sapyga.

Menaces

Cette espèce pourrait être menacée par l’intensification d’utilisation des prairies (surpâturage et fauches intensives), l’eutrophisation des prairies pauvres en nutriments due à l’intensification agricole et la destruction des prairies à des fins de remise en culture, de reboisement ou d’urbanisation3.

Population et Statut IUCN

Leurs populations à l’échelle continentale est présumée assez grande mais sans autre information sur la taille et les tendances à des échelles plus locales2.
Selon la Liste Rouge des Abeilles d’Europe publiée en 20145, l’espèce est classée comme LC (= least Concern), c’est-à-dire de préoccupation mineure, espèce pour laquelle le risque de disparition est mineure.
Elle est également considérée comme stable à l’échelle de la Belgique, selon l’évaluation réalisée pour la Liste Rouge des Abeilles de Belgique de 20192. En France, aucune évaluation n’a encore été faite dans le cadre d’une liste rouge nationale6.

Mesures de conservation

Le développement de mesures agro-environnementales (MAE) et la promotion de la conservation des prairies pourraient donc lui être bénéfique. Des recherches sont nécessaires afin d’évaluer l’impact des pesticides (dont herbicides) et des engrais azotés sur l’habitat et les ressources de cette espèce (dont les espèces de gastéropodes dont elle dépend pour son nid). L’évaluation et la surveillance des populations aux échelles nationales doivent être poursuivies2, 3, 5.

Références

1. Michez, D., Rasmont, P., Terzo, M. & Vereecken, N. J. Abeilles d’Europe. (2019).

2. Drossart, M. et al. Belgian Red List of Bees. (2019).

3. Lambaere, K. et al. Species assessement of the Red List of Belgian wild bees. (2021).

4. Bellmann, H. Guide des abeilles, bourdons, guêpes et fourmis d’Europe. (Delachaux et Niestlé, 2009).

5. Nieto, A. et al. European Red List of bees. (2014).

6. Museum National d’Histoire Naturelle. INPN - Inventaire national du patrimoine naturel (INPN). Inventaire National du Patrimoine Naturel https://inpn.mnhn.fr/accueil/index.